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Et si l’Ukraine perdait la guerre… quelles conséquences pour l’Europe ?

Le président Zelensky dans son bureau, le 22 avril 2024.

Atlantico : Les espoirs d’une contre-offensive ukrainienne qui repousserait la Russie jusqu’à ses frontières se dissipent de plus en plus. La crainte d’une défaite de l’Ukraine refait surface. Quelles seraient les conséquences géopolitiques pour l’Europe si l’Ukraine perdait la guerre ?

Nicolas Tenzer : Vous avez raison de dire que, pour l’instant, les espoirs d’une contre-offensive ukrainienne restent ténus : si celle de 2023 a échoué, c’est essentiellement parce que les Alliés n’ont pas donné à l’Ukraine les armes décisives pour y parvenir. En effet, aucune des armées de l’OTAN n’aurait pu réussir sans des missiles à longue portée et des avions de combat capables de frapper les forces ennemies en profondeur, c’est-à-dire en Russie même, et sans autant de munitions disponibles que Moscou. J’ai pu constater par moi-même lors de mon dernier voyage à Kiev, il y a trois semaines, un pessimisme accru et un reproche principalement dirigé vers les États-Unis : oui, l’Ukraine peut perdre. En même temps, penser que sa défaite est inévitable est complètement faux : non seulement les Ukrainiens font preuve d’une remarquable ingéniosité technologique, mais les Russes sont loin d’avoir aujourd’hui les capacités nécessaires pour conquérir la majeure partie de l’Ukraine. Le défaitisme est aussi un discours poussé par la propagande russe. Toutefois, l’Ukraine se trouve dans une situation particulièrement difficile.

S’il devait être vaincu, ce serait pour l’Europe une catastrophe presque de la même ampleur que si les puissances alliées avaient dû reconnaître en 1945 la victoire des puissances de l’Axe. Premièrement, nous savons parfaitement que Poutine ne s’arrêterait pas là et qu’il se laisserait enhardir par le manque de volonté des démocraties occidentales. La Moldavie, les pays baltes et même la Pologne seraient donc les prochains sur la liste. Ensuite, toutes les puissances révisionnistes – la Chine populaire, l’Iran, la Corée du Nord notamment – ​​seraient incitées à aller plus loin dans leur politique d’agression. Poutine aurait ainsi montré que l’agression paye et que le respect du droit international n’est qu’une proclamation dénuée de sens de la part de l’Occident. Enfin, tous les alliés de Moscou, ou du moins les pays complaisants, y compris au sein de l’UE (Hongrie, Slovaquie, Autriche) et ailleurs en Europe (Serbie), seraient encouragés à aller plus loin dans la complicité. Sans oublier bien sûr les conséquences directes pour les Ukrainiens, car une défaite signifierait certainement des centaines de milliers de morts supplémentaires et, pour les autres, l’esclavage.

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L’Europe a-t-elle mis sa crédibilité en jeu en soutenant l’Ukraine ? Après avoir apporté un soutien moral, militaire et financier à son allié ukrainien depuis maintenant deux ans, la perspective d’une défaite va-t-elle mettre à mal la stratégie et la crédibilité de l’UE ? Fallait-il faire davantage d’efforts plus en amont pour mieux soutenir Kiev ?

Certes, la crédibilité de l’Europe, mais aussi, et probablement plus encore, de celle des États-Unis en serait sérieusement affectée. Cela signifierait que l’Europe et les Alliés seraient restés au milieu du gué et que leur proclamation de soutien ne serait pas complète. Cela correspond également à la réalité : les économies des pays de l’UE ne sont pas encore complètement passées à une économie de guerre ; certains pays – l’Allemagne notamment avec les missiles à longue portée Taurus – ne livrent pas toutes les armes disponibles ; certains pays européens – en l’occurrence l’Allemagne a pris la bonne décision – hésitent à livrer d’urgence les batteries Patriot (défense anti-missile) dont ils ont besoin pour sauver ce qui reste des infrastructures énergétiques en Ukraine et la population civile ukrainienne, quotidiennement ciblée par Moscou. . Enfin, les Etats européens n’ont toujours pas mis en place de régime de sanctions extraterritoriales pour cibler les pays qui contournent les sanctions et ils n’ont pas pris de décision sur la saisie au profit de l’Ukraine des 200 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale russe (sur au total 300 milliards) qui sont actuellement gelés en Europe. Ces retards sont absurdes, inacceptables et scandaleux. Ils révèlent les divisions européennes à venir. Surtout – ce sur quoi j’insiste dans Notre guerre – ils n’ont pas pris la mesure de la guerre totale que la Russie nous mène. Dans un tel contexte, également marqué par une criminalité radicale, une réponse globale s’impose. Il n’est pas acceptable que certains pays, dont la France, continuent d’acheter certains biens à la Russie – je pense notamment au gaz naturel liquéfié (GNL) – ou de réaliser d’importants profits en Russie (la Banque autrichienne Raiffaisen a ainsi réalisé la moitié de son bénéfices là-bas en 2023).

Si l’Ukraine perd, quelles seront les conséquences politiques au sein de l’Union européenne ? Le camp conservateur, Viktor Orbán en Hongrie ou Marine Le Pen en France, ne critiquera-t-il pas la stratégie déployée en Europe concernant le soutien à Kiev ? Des tensions politiques pourraient-elles surgir suite à la gestion du dossier ukrainien ?

Une défaite de l’Ukraine serait naturellement une aubaine pour l’extrême droite européenne – comme d’ailleurs pour une partie de l’extrême gauche. On verrait ces partis pro-russes pousser à une normalisation des relations avec l’État russe alors que son président était inculpé le 17 mars 2023 pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale. On peut aussi craindre que certains partis conservateurs qui comptent parfois dans leurs rangs des partisans du Kremlin – ce qui est également le cas de certains partis sociaux-démocrates, notamment le SPD allemand – poussent aussi encore plus pour un retour au statu quo avec Moscou. Tout indique également que les entreprises de corruption du Kremlin en Europe vont encore augmenter.

George Robertson, l’ancien chef de l’OTAN, a prévenu que « si l’Ukraine perd, nos ennemis décideront de l’ordre mondial ». La stratégie de l’OTAN devra-t-elle être repensée en cas de défaite de l’Ukraine et pour contrer l’influence de Vladimir Poutine ou de Xi Jinping ?

Lord Robertson a tout à fait raison. Les États-Unis, comme les pays européens, mais aussi les démocraties du Pacifique comme le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et l’Australie, auraient perdu toute crédibilité. L’ordre juridique mondial, qui repose en fin de compte sur l’héritage de Nuremberg, serait totalement détruit, ce qui a été, dès le début, comme je le démontre dans mon dernier livre Notre guerre, l’intention première du régime Poutine. C’est aussi l’objectif de Xi Jinping, qui se distingue ainsi par sa radicalité de ses prédécesseurs Hu Jintao et Jiang Zemin.

Certes, on peut dire, comme vous le suggérez, qu’il faudrait repenser la stratégie de l’OTAN en cas d’une telle défaite, mais l’OTAN serait alors affaiblie et aurait perdu toute crédibilité, voire toute légitimité. , que je ne vois pas ce qu’elle pourrait faire. C’est aujourd’hui que l’OTAN doit agir et, concrètement, déployer des troupes en Ukraine pour dissuader Poutine d’aller plus loin et de pousser ses forces armées hors des frontières ukrainiennes. Je suis heureux qu’Emmanuel Macron ait repris cette suggestion que j’avais faite il y a plus d’un an et réexpliquée dans mon livre et qu’elle soit désormais suivie par au moins neuf pays de l’UE. En revanche, je suis alarmé par la timidité, voire la lâcheté, de Washington et son manque de vision stratégique à moyen et long terme. Autrement dit, demain, il sera trop tard. Si l’Ukraine est vaincue, l’OTAN pourra envisager toutes sortes de plans pour dissuader Poutine et Xi Jinping d’aller plus loin, mais je ne vois pas alors leur crédibilité possible. Cela signifierait alors non seulement l’heure de la « mort cérébrale » de l’OTAN, mais aussi celle de sa mort – et en premier lieu de sa principale puissance, les États-Unis. Le sort de l’OTAN se joue en Ukraine, même si ce pays n’en est pas encore membre. Je crains que de nombreux dirigeants de l’Alliance, en insistant sur la distinction entre pays membres et pays non membres, n’aient contribué à affaiblir la dissuasion de l’Alliance à l’égard des premiers en n’agissant pas de manière décisive en Ukraine. Certes, le scénario d’un retour de Trump à la Maison Blanche accroît encore le risque d’une perte de crédibilité de la dissuasion dans le cadre de la défense mutuelle sous-tendue par l’article 5 du Traité de Washington.

L’Europe et l’OTAN pourraient-elles être menacées militairement en cas de défaite de l’Ukraine ? L’Europe est-elle préparée à une telle éventualité sur le plan militaire ?

C’est effectivement le sujet clé. Malgré les déclarations prétendument rassurantes de Joe Biden sur une action américaine décisive en cas d’attaque contre l’un des pays de l’Otan, je ne suis pas sûr que, si Washington et Bruxelles laissent tomber l’Ukraine, ces proclamations soient prises au sérieux par Moscou. Il est évident qu’en refusant d’intervenir pour l’instant en Ukraine au nom d’un prétendu risque – celui d’une Troisième Guerre mondiale, d’une implosion de la Russie, d’une attaque nucléaire, toutes les histoires propagées par Moscou comme je le montre dans Notre guerre – nous augmentons le risque d’un conflit beaucoup plus vaste, plus intense et plus risqué. Le refus d’affronter militairement Moscou aujourd’hui comporte pour nous le risque d’une confrontation beaucoup plus dangereuse demain, car la Russie se sera renforcée.

En ce qui concerne l’UE, elle n’est naturellement pas prête aujourd’hui si elle devait se défendre. En particulier, nos armes conventionnelles sont loin d’être suffisantes, conséquence dramatique des choix budgétaires désastreux effectués par la plupart des pays de l’UE avant 2022, dont la France, ainsi que le Royaume-Uni. Cependant, si nous passons à une économie de guerre, nous avons le pouvoir de reconstruire une capacité de défense parfaitement adéquate. Dans l’ensemble, l’armée ukrainienne a résisté aux forces russes. Je ne pense pas qu’une armée améliorée des pays de l’UE soit sérieusement mise en danger par les forces russes. Mais il faut agir vite. Nous devons repenser la défense de l’UE sur la base du modèle de défense territoriale.

Même si l’Ukraine gagnait la guerre, l’Europe devra-t-elle changer ? Le « projet de paix » devra-t-il s’adapter à un monde dans lequel la guerre est, sinon probable, du moins possible ?

Déjà, si nous, Alliés – je veux dire nous – montrons notre plein engagement à aider l’Ukraine à gagner et à vaincre la Russie, nous aurons fait plus de la moitié du chemin. Si nous décidons de repousser Moscou, nous avons le pouvoir de le faire. Ce sera en soi la meilleure assurance-vie de demain. Bien entendu, il ne faut pas s’arrêter là et il faudra repousser Moscou non seulement en Ukraine, mais aussi en Géorgie – dont 20 % du territoire est encore aux mains des Russes –, en Transnistrie, en Biélorussie, où Moscou entretient la régime criminel de Loukachenko, ainsi qu’en Syrie et dans plusieurs pays africains. Le modèle doit être inférieur à celui de endiguementcertainement nécessaire, que celui de retour en arriere pour utiliser la terminologie de la guerre froide. Nous savons en effet que si Moscou n’est pas vaincue, la défaite se poursuivra dans le monde entier et en Europe en particulier.

Mais il est également vrai que Moscou n’est pas le seul risque et que d’autres puissances représentent des menaces directes, y compris la République populaire de Chine, que ce soit à travers des menaces conventionnelles ou des menaces non conventionnelles (cyberattaques, corruption et influence, criminalisation et action des mafias comme le montre Antoine Vitkine dans son grand film sur Les triades, action de démoralisation et d’affaiblissement de la jeunesse, notamment par certains réseaux sociaux comme) ou encore l’Iran. Nous devrons donc dépenser beaucoup plus dans toutes les formes de défense à l’avenir. Il faudra certainement dépasser les 2% du PIB si nous voulons garantir notre sécurité. Mais encore une fois, si nous agissons de manière décisive, c’est-à-dire militairement, la victoire de l’Ukraine sera déjà un premier pas vers plus de sécurité.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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