et si l’armée française quittait complètement le continent ?
Après la Centrafrique en 2020, suivis du Mali, du Burkina Faso et, fin 2023, du Niger, du Sénégal et du Tchad annoncent vouloir mettre fin à la présence militaire française sur leur sol. Et ils le pensent franchement. Le ministre des Affaires étrangères (démissionnaire), Jean-Noël Barrot, en a fait les frais, jeudi 28 novembre. Son avion venait à peine de décoller de N’Djamena, après avoir rencontré ses interlocuteurs tchadiens, que son homologue, Abderaman Koulamallah, a annoncé sur Facebook la fin de la coopération militaire entre les deux pays.
En déclarant, à l’occasion de l’anniversaire de la proclamation de la République du Tchad (28 novembre 1958) : « Après 66 ans de proclamation de la République du Tchad, il est temps pour le Tchad d’affirmer sa pleine souveraineté. » Cette rupture, ni Jean-Noël Barrot, ni le Quai d’Orsay, ni la défense, ni l’Élysée ne l’avaient anticipée.
« France, sortez ! » »
La poursuite de ces relations était même au cœur du rapport présenté le 25 novembre à Emmanuel Macron par Jean-Marie Bockel sur la reconfiguration de la présence militaire française en Afrique. Prenant acte des récents revers subis par Paris et voulant sauvegarder sa présence sur le continent, le rapport propose une réduction drastique du nombre de militaires sur le continent : une centaine en Côte d’Ivoire et au Gabon, environ 350 au Tchad. Le cas du Sénégal n’a pas été abordé par Jean-Marie Bockel en raison du contexte électoral qui y a prévalu, ni de la base de Djibouti car rattachée à la zone Indo-Pacifique.
Cette nouvelle organisation était souhaitée, affirment les auteurs du rapport, par les chefs d’Etat de Côte d’Ivoire, du Gabon et du Tchad. La suite a prouvé le contraire, même s’il faut rester prudent quant à l’annonce des autorités tchadiennes, qui doit encore être confirmée dans les faits.
La décision du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye de fermer la base française de Dakar semble définitive. Elle résulte d’une promesse faite lors de sa campagne présidentielle, et répond à une demande forte de l’opinion publique sénégalaise, en phase avec l’opinion ouest-africaine. « Quand j’étais jeune, nous marchions avec le slogan : « Les États-Unis rentrent chez eux ». Aujourd’hui, les jeunes manifestent pour dire : « France, dégagez ! » « , observe le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne. Et d’ajouter que ce rejet se cristallise autour de la présence militaire française !
Dans une note de l’Ifri consacrée à l’armée française en Afrique, Thierry Vircoulon plaide pour une démilitarisation de la relation française avec le continent. Car, constate-t-il, la France ne dispose plus des moyens indispensables pour financer une coopération militaire efficace. De plus, poursuit-il, les régimes en place ne le recherchent plus forcément. Cette présence, ajoute-t-il également, suscite l’hostilité de l’opinion publique.
Enfin, maintenir une coopération militaire avec des pays qui violent les principes élémentaires de la démocratie, comme le Tchad et le Gabon – deux pays dont les dirigeants sont issus d’un coup d’État – contredit les propos d’Emmanuel Macron du 27 février 2023 : « Notre intérêt, c’est la démocratie. La France est un pays qui soutient, en Afrique comme ailleurs, la démocratie et la liberté. » « Il faut espérer que le partenariat militaire franco-tchadien sera très profitable en termes de sécurité, notait non sans ironie Thierry Vircoulon, avant l’annonce surprise des autorités de N’Djamena, car, pour l’opinion publique africaine, cela met en lumière la duplicité de la politique française sur le continent. »
Rester en contact
De leur côté, les militaires français et leurs partisans ont défendu la nécessité de maintenir cette présence, expliquant qu’elle serait d’abord sollicitée par certains pays africains, comme la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Tchad. Ils soutiennent que cette présence est essentielle pour lutter contre le terrorisme, les trafics et la piraterie pour les pays côtiers.
Une présence au service du soutien et de l’entraînement des armées locales. Cela permettrait également à la France de rester un acteur sur le continent et de rester en contact avec les réalités locales afin de savoir ce qui s’y passe et d’anticiper les évolutions qui pourraient menacer les intérêts de Paris, la stabilité sous-régionale et celle de l’Europe. Enfin, les mêmes militaires mettent également en garde contre une éventuelle substitution par des puissances rivales, comme la Russie.
Or, force est de constater que cette présence n’a empêché ni l’expansion des mouvements jihadistes au Sahel, ni l’anticipation d’événements majeurs, comme les coups d’État au Niger et au Gabon, à l’été 2023. Ni la fin du conflit. accord de défense annoncé par le Tchad le 28 novembre. Quant à empêcher l’arrivée ou le remplacement de la France par une puissance rivale comme la Russie, cela n’a été le cas ni dans l’arc sahélien, ni en Afrique de l’Ouest, ni en Afrique centrale. . La France est la seule ancienne puissance coloniale à avoir conservé des bases militaires permanentes en Afrique. Le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie et le Portugal y ont renoncé dès que leurs anciennes colonies ont accédé à l’indépendance. Sans que cela pénalise leur relation avec le continent.