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Et pendant la tempête des élections législatives, l’Allemagne vit son propre psychodrame politique autour du vote de son budget.

Le chancelier allemand Olaf Scholz.

Le chancelier allemand Olaf Scholz.Et pendant la tempête des élections législatives, l’Allemagne vit son propre psychodrame politique autour du vote de son budget.

©RALF HIRSCHBERGER / AFP

Gros challenge

Atlantico : En Allemagne aussi, les élections européennes ont été l’occasion de sanctionner le gouvernement en place en raison, entre autres, de problèmes budgétaires. Certains estiment en effet que le trou dans la caisse est d’au moins 25 milliards d’euros (potentiellement plus si l’impôt de solidarité devenait inconstitutionnel). Quelle est la situation budgétaire de l’Allemagne, exactement aujourd’hui ?

Alexandre Delaigue : La situation de l’Allemagne peut être décrite comme un verre à moitié vide et à moitié plein. Si l’on regarde notamment le volume total de la dette par rapport au PIB, la situation de l’Allemagne est beaucoup plus confortable que la réalité de la France, avec une dette publique relativement maintenue. En revanche, l’économie allemande va en réalité assez mal depuis la fin du Covid. L’économie allemande ralentit. Cela a des conséquences sur le budget, comme dans n’importe quel pays. Cette réalité va détériorer la situation budgétaire avec le trou dans la raquette de 25 milliards. Cela crée une situation dans laquelle il est difficile d’établir un budget. Il faut ajouter que l’Allemagne ne peut plus bénéficier du dividende de la paix comme avant. Le gouvernement s’est engagé à respecter les 2 % du PIB consacrés à la défense, ce qui n’était pas le cas avant. Cela signifie que l’Allemagne va devoir dépenser plus. Pour la défense, l’Allemagne doit rattraper son retard.

L’Allemagne est victime d’un sous-investissement public assez chronique. Il y a des problèmes d’infrastructures. Il y a des besoins de dépenses et les ressources qui pourraient provenir des recettes fiscales font cruellement défaut. Cela met le budget allemand à rude épreuve.

L’Allemagne va-t-elle faire face à de nouvelles difficultés avec le frein à l’endettement ?

Il y a une contrainte supplémentaire qui s’ajoute pour l’Allemagne. Le pays a intégré dans sa Constitution toute une série de mécanismes visant à réduire automatiquement la dette publique en fonction de la situation économique. Le debt break, le frein à l’endettement, est un mécanisme encore plus restrictif que les contraintes européennes qui limitent les déficits à 3% du PIB et la dette à 60% du PIB.

En Allemagne, il existe un mécanisme qui vise à réduire progressivement la dette publique jusqu’à presque zéro. En réalité, la situation économique étant mauvaise, nos voisins allemands se retrouvent avec un trou dans le budget, avec une forte contrainte qui nécessite des économies d’environ 25 milliards d’euros.

Il y a une différence majeure avec la situation française où, en l’absence de ce genre de contraintes, il y a beaucoup plus de liberté dans le type d’ajustement que l’on peut faire. Certains diront que c’est pour cela qu’en France, il y a des finances publiques qui ne sont pas en bonne santé. Mais on peut aussi dire que dans le cas de l’Allemagne, il serait justifié de considérer que nous sommes face à l’excès inverse.

Le gouvernement a voulu ajouter un impôt de solidarité supplémentaire et il y a une incertitude sur la constitutionnalité de cette mesure. Il y a tout un aspect juridique. Le problème traditionnel de l’Allemagne concerne le poids des règles que l’Allemagne s’impose à elle-même. Cela finit par créer une sorte de camisole de force budgétaire.

Ces choix, qui sont relativement populaires, ont été faits consciemment par les Allemands. Ce n’est pas quelque chose qui est antidémocratique ou qui est imposé par l’Union européenne. Les Allemands, dans leur majorité, souhaitent de telles mesures. Mais cela entraîne des contraintes assez importantes sur la préparation du budget et cela entraîne des tensions politiques autour de la préparation du budget.

Faut-il craindre que cette situation perdure ou s’agit-il simplement d’un problème temporaire qui sera facile à résoudre ?

En réalité, c’est un peu un mix des deux. Les finances publiques allemandes ne vont pas bien. C’est lié à la situation économique et au fait que l’économie allemande n’a pas redémarré depuis le Covid. L’Allemagne a une des économies les moins performantes d’Europe et de la zone euro en ce moment. Il faut se demander s’il y a quelque chose de durable dans cette situation ? Est-ce que cette situation économique est durable ? Il y a toute une série de facteurs qui doivent nous rappeler que ce qui apparaît comme la solidité de l’économie allemande est assez largement menacée. L’Allemagne voit toute une série de secteurs d’activité évoluer et dans lesquels elle était très forte. L’Allemagne a bénéficié du redémarrage de la Chine, de la croissance chinoise, du fait que la Chine s’équipait pour devenir l’un de ses principaux fournisseurs en termes de biens d’équipement. Mais la stratégie chinoise est désormais de remplacer l’Allemagne et dans différents domaines. La Chine était l’un des principaux marchés des constructeurs automobiles allemands. Aujourd’hui, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de véhicules automobiles, après avoir dépassé l’Allemagne il y a deux ans et le Japon l’année dernière.

L’Allemagne est un pays vieillissant. Il existe encore de nombreuses raisons de penser que la situation économique allemande pourrait signifier que l’Allemagne a bénéficié d’une situation favorable au cours des 15 à 20 dernières années.

On pourrait revenir durablement à la situation où, au début des années 2000, l’Allemagne était économiquement considérée comme l’homme malade de l’Europe.

Il y a toute une série de raisons de s’inquiéter. Pour corriger cette réalité, il est important de combler le retard dans les investissements de l’Allemagne. Il faut donc craindre que la combinaison de règles budgétaires assez strictes et d’une situation économique qui n’est pas très bonne ne crée une sorte de cercle vicieux dans lequel la situation économique est mauvaise. Il devient alors difficile de réaliser les investissements qui aideraient l’économie allemande à se spécialiser dans d’autres domaines. La situation économique est donc mauvaise.

Dans quelle mesure une telle situation pourrait-elle conduire à des troubles politiques en Allemagne ?

Ce qui va provoquer et générer des troubles politiques, c’est la question des règles qui limitent ce qui est possible dans cette situation. Dans la situation actuelle, les gouvernements en Allemagne fonctionnent sur la base de coalitions.

Il est assez clair que dans la coalition gouvernementale actuelle, la droite libérale, dont est issu le ministre de l’Economie, extrêmement attachée aux règles budgétaires et à toutes ces questions, a gagné la partie. Cela crée des tensions car ceux qui prônent l’abandon des règles budgétaires pour essayer de faire face à la situation dans laquelle se trouve l’économie allemande pourraient provoquer des fractures au sein de la coalition au pouvoir. Cela pourrait poser des problèmes au gouvernement et ajouter une contrainte supplémentaire. Le SPD serait peut-être favorable à essayer de relancer l’investissement et serait un peu plus favorable à une politique de relance. Mais d’un autre côté, ses partenaires de coalition ne veulent pas en entendre parler.

Comment expliquer que ce sujet ne fasse pas l’objet d’une couverture médiatique plus importante, notamment en France ? Est-ce un effet des élections législatives ?

C’est un peu comme la flamme olympique. Depuis qu’il y a de grands sujets dans l’actualité, on ne sait plus où elle est. Dans nos débats. Il y a toujours un complexe sur l’Allemagne, cette idée que tout ce que fait notre voisin allemand est parfait et un modèle à reproduire. Il y a encore une grande méconnaissance de l’Allemagne, pas seulement en matière économique. Il y a de moins en moins de gens qui étudient la langue et qui sont capables de la parler. L’Allemagne au cœur de notre débat public fait l’objet de pas mal de mythes mais on ne cherche pas particulièrement à connaître ni particulièrement à comprendre l’Allemagne. Cette crise des déficits est le dernier avatar de cette situation qui a toujours été un peu présente.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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