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Est-il vrai que 700 000 personnes ayant déjà fait l’objet d’une OQTF vivent actuellement en France ? – Libération

C’est un chiffre qui refait surface grâce à l’émotion suscitée par le meurtre de Philippine, 19 ans, dont l’assassin présumé est un Marocain, déjà condamné pour viol en 2021, qui a fait l’objet d’une OQTF. En France, ce sont 700 000 personnes qui vivent dans le pays et qui ont déjà fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire. Une décision administrative prise par une préfecture, qui peut cibler les étrangers entrés irrégulièrement en France, d’autres entrés sous le couvert d’un visa qui n’est plus valable, ceux qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié, ou encore ceux qui représentent une menace à l’ordre public.

« Vous les mettez dans un avion et vous les laissez là » a suggéré, à propos des personnes sous OQTF, Cyril Hanouna dans son émission On marche sur la tête sur Europe 1tandis qu’un de ses chroniqueurs mentionnait « 500 000 à 700 000 personnes. » Ce même chiffre était repris dans les émissions de Pascal Praud, que ce soit dans Heure professionnelle sur CNews, ou dans Pascal Praud et vous, sur Europe 1. Sur la radio de Vincent Bolloré, le député RN Laurent Jacobelli avait déjà fait une présentation similaire mardi 24 septembre : « Savez-vous combien de personnes ayant fait l’objet d’une OQTF vivent en France ? 700 000. Certains ont vu leur OQTF expirer au bout d’un an. C’est ce que le Sénat a cité dans une étude récente. Il y a aujourd’hui 700 000 personnes qui ne devraient pas se trouver sur le territoire français. Et parmi eux, des personnes condamnées, des récidivistes, des personnes qui ont purgé une peine de prison, ou qui parfois n’ont pas purgé leur peine et auraient dû le faire.

On retrouve ces données dans la facture « visant à mieux protéger la société contre les étrangers clandestins dangereux et à faciliter leur expulsion »déposée jeudi 26 septembre par Laurent Wauquiez et les membres du groupe Droite républicaine à l’Assemblée. Dans leur texte, les députés LR dénoncent la présence sur le « territoire national » de« environ 700 000 personnes soumises à l’obligation de quitter le territoire français ou ayant déjà fait l’objet d’une OQTF ».

Calcul simpliste

D’où vient cette estimation ? Plusieurs parlementaires l’ont évoqué ces dernières années. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, à l’automne 2022, le rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration », Sébastien Meurant, sénateur LR passé dans la bourse RN-Ciotti pour les dernières législatives, où il n’a pas été élu, avait mis ce chiffre sur la table lors des discussions en commission : « Selon le député de la majorité Jean-Carles Grelier, il y a 700 000 personnes sous OQTF dans notre pays. » Jean-Carles Grelier, alors député Renaissance, avait déclaré une semaine plus tôt dans l’émission Morandi Live sur CNews : « Il y a 700 000 personnes en OQTF dans ce pays. Où trouve-t-on les moyens, le temps et la possibilité de créer 700 000 places (en centres de rétention administrative) ? L’élu ne s’est appuyé sur aucun document officiel, ni n’a donné l’origine de son chiffre.

Le député LR Eric Pauget, qui avait posé une question à ce sujet au ministère de l’Intérieur en novembre 2022, avait donné une statistique à peu près similaire, mais en expliquant cette fois son mode de calcul. « Au cours de la dernière décennieil a écrit, pas moins de 902.954 OQTF ont été prononcées, mais seulement 5,6% d’entre elles ont fait, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur du premier semestre 2021, effectivement fait l’objet d’un retour. A moins d’envisager le retour en France de certains de ces lointains – et d’ailleurs combien sont-ils ? –, il y aurait encore au moins 779 291 personnes soumises à une obligation de quitter le territoire français qui seraient présentes sur le territoire national. a expliqué l’élu des Alpes-Maritimes.

Le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une OQTF s’obtiendrait ainsi en additionnant les OQTF prononcées ces dernières années, et en soustrayant celles dont on sait qu’elles ont été exécutées. Un calcul simpliste, volontiers considéré comme grotesque par les spécialistes. On notera d’abord qu’il n’y a aucune raison (autre que la volonté arbitraire de prendre un chiffre rond) d’additionner les OQTF prononcées sur une période de dix ans. Pourquoi pas cinq, quinze ou vingt ans ? Ce qui, selon le même calcul, modifierait substantiellement le résultat.

« Absurde »

Mais surtout, dans sa réponse, le ministère a souligné que l’estimation des personnes encore présentes sur le territoire ne peut se baser sur cette simple soustraction entre OQTF prononcée et OQTF exécutées : « L’appréhension exhaustive des obligations exécutées n’est pas possible en raison des sorties du territoire national qui se font en franchissant les frontières terrestres. Dans ce cas, l’obligation de quitter le territoire est remplie, mais l’administration n’en a pas connaissance et l’éloignement ne peut donc pas être comptabilisé.

Par ailleurs, chaque OQTF émise et non exécutée ne peut être considérée comme correspondant à une personne physique. « Une même personne peut faire l’objet de plusieurs mesures d’éloignement, par exemple si elle est arrêtée plusieurs fois au cours de la même année ou si le réexamen de sa situation administrative conduit à prendre une mesure sur de nouvelles bases. Or, dans ce cas-ci, il n’y a qu’une seule personne concernée par ces mesures, et finalement un seul éloignement peut être comptabilisé. précise l’Intérieur. Traduisez ces données en en déduisant qu’il reste plus de 700 000 personnes vivant en France après avoir fait l’objet d’une OQTF. « C’est absurde »confirme Serge Slama, qui enseigne le droit des étrangers à l’université de Grenoble.

Déroutant, comme semble le faire le député Jean-Carles Grelier (Modem, ex-Renaissance et ex-LR) à l’origine du chiffre, le nombre de personnes (quel qu’il soit) ayant fait l’objet d’une OQTF avec le nombre de personnes rester sous OQTF constitue une autre erreur. Parmi ces étrangers ayant été soumis dans le passé à une obligation de quitter le territoire, certains ont par exemple pu être régularisés depuis.

« Faire des chiffres »

Le débat sur la non-exécution des OQTF rejoint celui sur le très grand nombre d’obligations imposées en France, parfois de manière abusive. Ainsi, les annulations contentieuses d’OQTF sont régulièrement citées comme l’une des raisons du faible taux d’exécution. Un récent rapport parlementaire indique que parmi les OQTF prononcées par la préfecture du Rhône, le taux d’annulation contentieuse des OQTF s’élève à 13 % ; il est de 27 % pour la préfecture de police de Paris. Les avocats spécialisés en droit de l’immigration déplorent une inflation de la délivrance des OQTF, dont le nombre dépassait les 100 000 décisions annuelles en 2018 et ne cesse d’augmenter depuis. Des sommes de « faire des chiffres », les administrations utilisent « matrices » rédiger des arrêtés obligeant un étranger à quitter le territoire, et donc « ne tiennent que très peu compte des situations particulières », regrettait Me Claude Coutaz auprès de CheckNews en octobre 2022.

« Une de mes clientes était sous OQTF alors que ses parents étaient nés en France ; une autre était à l’OQTF car sa carte de séjour était expirée et elle attendait son rendez-vous de renouvellement, expliqué mercredi 25 septembre à Libérer un avocat qui défend de nombreux clients en situation irrégulière. Il faut ajouter à cela les employés de la préfecture qui sont débordés et qui font parfois des erreurs.» Les préfectures s’en remettent donc aux tribunaux administratifs pour vérifier leur recevabilité, et 700 000 OQTF prononcées ces dix dernières années (pour reprendre le chiffre cité ces derniers jours) ne sont pas forcément 700 000 OQTF. « légal ».

La menace à l’ordre public, une motivation très marginale pour l’OQTF

Enfin, la confusion entre étrangers ayant commis des délits et étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF, largement évoquée dans les débats de ces derniers jours, est trompeuse. Le fait de présenter une menace pour l’ordre public peut être l’un des motifs de délivrance d’une OQTF, mais il est loin d’être majoritaire.

Ainsi, en 2022, sur les 129 681 OQTF prononcées à l’encontre de ressortissants de pays tiers, 52 162 l’étaient pour cause d’entrée irrégulière, 4 209 pour cause de séjour irrégulier sur le territoire, 25 683 pour cause de refus de délivrance ou de non-renouvellement de séjour. permis, 36 981 pour refus du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire et seulement 9 837 pour menace à l’ordre public (un peu plus de 7%).

Précisons cependant que l’OQTF, sans être directement motivée par la menace à l’ordre public, peut néanmoins dans certains cas avoir un lien indirect avec elle, notamment dans le cas d’une OQTF pour refus de délivrance de titre, ou de non-renouvellement. Selon la DGEF, 6,8% des refus de première délivrance de titre de séjour et 13,9% de ceux de renouvellement le sont pour des motifs de menace à l’ordre public. Mais même en tenant compte de ces motivations indirectes, la menace à l’ordre public reste une motivation très marginale dans l’émission d’une obligation de quitter le territoire.

Cammile Bussière

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