Est-ce là le problème des « fat bikes » qui pullulent à Paris ?
C’est une machine qui a été inventée il y a une quarantaine d’années. La légende raconte que c’est en Alaska que le « fat bike » fut adopté pour un usage bien précis : pouvoir rouler sur la neige. Pour éviter de glisser, les habitants de cet État nord-américain ont eu l’idée d’équiper de grosses jantes capables de contenir de gros pneus. Le « fat bike » était né.
Pendant des années, son usage est resté marginal, mais il arrivait qu’on les croise de temps en temps sur les sentiers de montagne ou sur les plages du sud-ouest (où ils étaient parfois interdits). Le look Harley Davidson était cool mais il était atrocement lent, alors nous en sommes restés là. Avec l’explosion de l’usage des vélos à assistance électrique (VAE), le fat bike s’est taillé une place inattendue en milieu urbain. Après Amsterdam ou Rotterdam, c’est désormais Paris qui est confronté à quelques problèmes de cohabitation avec ces vélos « anormaux ». Pas parce qu’ils ont de gros pneus. Plutôt parce que leur usage est détourné pour en faire de véritables « SUV vélos ». 20 minutes vous explique.
On entend souvent dire que « ce n’est pas la taille qui compte ». Mais dans la jungle urbaine, la taille peut avoir son importance. Car un enfant piéton sera plus fragile qu’un gars sur son scooter, qui sera plus fragile qu’un conducteur de scooter, qui sera plus fragile qu’un automobiliste au volant d’un SUV. Au milieu de tout cela, les cyclistes tentent d’exister. « Les gros vélos ont un look très cool que certaines personnes apprécient, par rapport aux vélos plus classiques ou traditionnels. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui les choisissent parce qu’ils se sentent plus en sécurité. Les chocs sont amortis et la selle est souvent plus confortable », assure Tobias, fondateur de Roues, boutique située dans le 10e arrondissement de Paris.
En offrant un centre de gravité plus bas, le fat bike est facile à manœuvrer et sécuritaire. Ses pneus larges sont un vrai plus dans les conditions les plus extrêmes, mais pas seulement. « Ça permet de rouler sur le sable, sur la neige, mais c’est aussi très agréable quand il pleut ou pour rouler sur les pavés parisiens », poursuit le marchand de vélos. Fondateur de la marque française Gorille Cycles, Christophe Yvars confirme l’engouement. « Même en ville, c’est beaucoup plus sympa. Mais nous avons pas mal de clients qui trouvent rassurant d’avoir un vélo plus gros quand on est au milieu du trafic », assure le patron de cette marque née en 2015 et dédiée à 100 % aux gros pneus.
« Ce sont des scooters déguisés en vélos »
Le problème auquel sont confrontées les grandes villes néerlandaises (et désormais françaises) n’a cependant pas grand-chose à voir avec le confort. Ce dont nous parlons, c’est de plus de vitesse. En Europe, le fat bike est soumis aux mêmes normes que ses homologues à roues fines. Son moteur ne doit pas dépasser 250 watts et son assistance électrique doit se couper à 25 km/h. Si l’engin n’est pas retenu, il n’est alors plus considéré comme un vélo mais comme un cyclomoteur. Il est alors obligatoire de l’assurer, de l’immatriculer et son conducteur doit porter un casque intégral comme les motocyclistes. Ces vélos puissants capables de rouler à près de 50 km/h posent clairement des problèmes de cohabitation. « On peut parler de SUVisation du vélo. Le problème, ce ne sont pas les gros pneus, c’est que ce sont des scooters déguisés en vélos. Ce sont des engins qui n’ont pas leur place sur une piste cyclable», déclare Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers du vélo (FUB).
Ces dernières années, les fat bikes ont pourtant trouvé des alliés improbables en attirant l’attention des livreurs sur les plateformes Uber Eats ou Deliveroo. « Ils achètent des vélos bon marché qui viennent de Chine et qui ne sont pas homologués. Très souvent, ils ne savent même pas que c’est interdit », assure le patron de Gorille Cycles. Des vélos qui ne respectent aucune norme et ne nécessitent même pas de pédaler, une simple pression sur une gâchette suffit pour les lancer à plus de 35 km/h. Des vélos rapides, pas chers et confortables par tous les temps. Ces travailleurs précaires ont vite compris leur intérêt à opter pour le pneu large, au point d’envahir les pistes cyclables. « Nous sommes clairement à la dérive. Nous l’avons vu aux Pays-Bas et nous comprenons les inquiétudes. Parce que les piétons ont un peu plus peur d’un gros vélo qui va trop vite », concède le constructeur français.
Les élus parisiens en feu
En octobre, les élus Modem de la Ville de Paris ont demandé à la majorité municipale d’envisager des mesures pour « prévenir les risques d’accidents ». Mais quelle mesure ? « Certains réclament une législation. Mais ça existe déjà ! L’arsenal législatif existe. Il suffit de l’appliquer et de vérifier que les vélos sont en ordre », répond Olivier Schneider. Au-delà des problèmes de cohabitation, le patron de la FUB s’inquiète aussi des conséquences d’éventuels accidents.
» Même s’ils ne sont pas fautifs, ils seront tenus responsables et leur assurance ne les couvrira pas. Cela peut être dramatique pour tout le monde, y compris pour les victimes. » »
Le problème de cette cabale contre les fat bikes, c’est qu’elle enlève à elle seule tous les utilisateurs, qu’ils soient légaux ou non. Et ce n’est pas bon pour les affaires des vendeurs ou des constructeurs, qui s’inquiètent de la dégradation de l’image de ce joli vélo. « On stigmatise les fat bikes car ils sont facilement reconnaissables. Le fat bike n’est pas synonyme de vélo débridé. Certains le sont. Mais il existe aussi des VAE classiques et sans restriction. Je pense que de nombreux utilisateurs ne savent même pas ce qu’ils sont autorisés à faire ou non, ce qui est « légal dans la rue » et ce qui ne l’est pas. Et que l’on soit en fat bike ou non, ce qui irrite particulièrement les Parisiens, c’est le non-respect du code de la route », conclut Tobias, de la marque Roues.