Est-ce déjà la fin des NFT ?
Il y a un peu plus de trois ans, les NFT (jetons non fongibles) rencontraient un énorme succès. Porté par un marché crypto en plein essor, le monde des œuvres d’art enregistrées sur la blockchain s’est considérablement développé. Une montagne de collections phares est arrivée sur les blockchains, dans le sillage des singes de Club nautique Bored Ape par Yuga Labs.
Retour sur le boom des NFT
Certaines œuvres ont été vendues pour des sommes astronomiques. On se souvient notamment du NFT du premier tweet de l’Histoire de Jack Dorsey, vendu près de 3 millions de dollars, ou encore de la création de l’artiste Beeple « Everydays : The First 5000 days », partie aux enchères pour 69 millions de dollars. À son apogée, le marché des NFT représentait plus de 3,2 milliards de dollars d’échanges hebdomadaires, pour une valorisation proche de 30 milliards de dollars.
Une multitude d’influenceurs, de stars et de personnalités se sont mis à collectionner les NFT. Sur les réseaux sociaux, plusieurs ont changé leur photo de profil pour des images de singes ou encore de Cryptopunks. Si les NFT sont progressivement devenus incontournables, avec des œuvres vendues dans des maisons de ventes aux enchères comme Sotheby’s ou Christie’s, les marques ont rapidement commencé à adopter les jetons non fongibles. Plusieurs marques ont annoncé des collections de NFT à l’effigie de leurs produits. C’est le cas de Porsche, des Schtroumpfs, de Picard, de Renault ou encore de la Française des Jeux.
Nous nous souviendrons aussi et surtout ambitions affichées par MetaSous la houlette de Mark Zuckerberg, Meta a fait des NFT une pierre angulaire de son métavers. L’entreprise souhaitait que tous les objets numériques d’Horizon Worlds, le métavers de réalité virtuelle qui peine à décoller, soient des NFT. Contrainte de revoir ses ambitions à la baisse pour des raisons économiques et stratégiques, Meta a progressivement passé les NFT au silence. Comme le métavers, les NFT sont progressivement devenus des sujets tabous chez Meta.
En 2024, les marques prennent du recul
Trois ans plus tard, le marché s’est effondré. Selon les données de The Block, le marché n’a enregistré qu’entre 50 et 100 millions de dollars de transactions hebdomadaires au cours du mois d’août 2024. Les marques ont pris du recul par rapport aux tokens non fongibles. Au cours de l’année 2024, de nombreuses marques ont en effet mettre toutes les initiatives en suspens impliquant des NFT.
C’est le cas de Lacoste. Cet été, la marque de prêt-à-porter a annoncé un virage majeur dans sa stratégie NFT. Lacoste a en effet décidé de tirer un trait sur ses collections, baptisées UNDW3 ou The Emerge. Pour mémoire, Lacoste s’est fait connaître en 2022 avec une collection d’objets digitaux offrant un accès exclusif aux événements de la marque.
Prudemment, Lacoste a préféré revoir l’initiative en assurant que « le projet ne s’arrête pas, mais évolue vers une initiative plus large qui vise à offrir une expérience plus inclusive et accessible à tous les fans de la marque ». En revanche, Lacoste a commis l’erreur de supprimer tous les réseaux sociaux et des sites dédiés à ses NFT. Ce retrait brutal a fortement choqué les investisseurs. Beaucoup ont accusé Lacoste de vouloir enterrer l’initiative sans considération pour les détenteurs de NFT.
Il existe en effet de nombreuses marques qui ont pris leurs distances avec leurs projets NFT. Citons également Picard, Renault, Roland Garros ou encore la Française des Jeux. Ces entreprises ont progressivement mis un terme à leurs projets NFT. Dans ce contexte, on peut légitimement s’interroger sur l’avenir des tokens non fongibles. Après un départ en trombe, les NFT sont-ils voués à tomber dans l’oubli ?
Pour décrypter l’évolution du monde des NFT, 01Net a contacté Maxime L., analyste spécialisé dans les tokens non fongibles. Il est arrivé dans l’univers des NFT en 2018, au début du boom des NFT.
« J’ai pu voir toute l’évolution depuis le début, le pic de 2021 et ensuite comment elle a évolué. »nous dit l’analyste, qui vient d’annoncer un retrait du monde des NFT.
96% des NFT sont déclarés morts
D’un point de vue économique, le marché des NFT semble être au point mort. Une grande partie des tokens non fongibles émis sur les blockchains n’ont plus aucune valeur. Selon une étude du site spécialisé NFTEvening, 96 % des NFT sont morts :
« La durée de vie moyenne d’un NFT est de 1,14 an, soit 2,5 fois plus courte que la durée de vie moyenne des projets cryptographiques. L’année 2023 a vu le plus grand nombre de NFT disparaître, avec près d’un tiers d’entre eux disparus cette année-là. »
L’année dernière, une étude similaire avait déjà mis en évidence la mort prématurée de la plupart des tokens non fongibles. Des rapports publiés à l’été 2023 indiquaient déjà que 90 à 95 % des NFT n’avaient plus aucune valeur, et n’enregistraient plus aucune transaction. Selon NFTEvening, un projet NFT peut être considéré comme mort et enterré si son volume d’échange est nul, s’il a enregistré de faibles ventes pendant 7 jours consécutifs, et s’il n’y a plus de « aucune activité sur Twitter au cours des 3 derniers mois ».
« D’un point de vue financier, oui, les NFT sont morts. Il suffit de regarder quelques statistiques pour s’en rendre compte. »admet Maxime L, qui se fait appeler Konohime sur X.
En revanche, ce sont surtout les NFT les moins utiles et les moins intéressants qui ont perdu toute leur valeur marchande. Maxime L. explique qu’il peut « citer beaucoup d’exemples de projets qui datent de 2021-2022, et qui sont bel et bien morts ».
« C’est vrai, il y a beaucoup de projets qui ont été abandonnés, mais je pense que leur utilité fondamentale était de toute façon limitée. En fait, c’était le genre d’idée qui aurait dû disparaître dès le départ. »croit le collectionneur de NFT.
Suite au boom du marché des NFT, une avalanche de jetons non fongibles s’est déversée sur les blockchains. La plupart de ces objets numériques ont été émis de manière opportuniste, juste pour profiter de l’essor du marché. Il est probable que ce soient ces jetons qui aient rendu l’âme. Comme l’explique dappGamble, un site de paris en cryptomonnaies, les collections de NFT non fongibles « cas d’utilisation clairs », de » des histoires fascinantes » ou de « valeur artistique authentique » n’attire plus l’argent.
Crypto et NFT, une relation complexe
De nombreux investisseurs espéraient que le marché des NFT reprendrait en même temps que celui des cryptomonnaies. Pendant un certain temps, les deux secteurs étaient intimement lié. Lorsque les détenteurs de cryptomonnaies disposent de fonds supplémentaires, ils ont parfois tendance à investir dans des actifs risqués, tels que les NFT. Tout ne s’est pas passé comme prévu.
Depuis l’année dernière, le marché des NFT n’est plus corrélé avec celui des cryptomonnaies. En effet, le rallye des cryptomonnaies du début de l’année 2024, qui s’est terminé avec le Bitcoin à 70 000 dollars, n’a pas donné un coup de fouet au monde des tokens non fongibles.
« C’est désormais décorrélé pour une raison assez simple. Sur le marché des crypto-monnaies, vous pouvez acheter et vendre en appuyant sur un bouton vert ou un bouton rouge. Et soudain, vous avez les jetons directement sur votre portefeuille en cliquant simplement. Ou vous pouvez vous en séparer en cliquant également. »l’analyste nous explique.
Dans le cas des NFT, c’est très différent. Comme l’explique notre interlocuteur, il s’agit d’un marché fondamentalement illiquide. C’est un marché dans lequel il est difficile d’acheter ou de vendre rapidement un actif sans que cela affecte considérablement son prix.
« Parce que le NFT représente la rareté. Donc c’est quelque chose de rare. Donc en fait, il faut plutôt l’imaginer comme une plateforme comme LeBonCoin. Un Leboncoin géant en version décentralisée. Quand tu mets quelque chose en vente sur LeBonCoin, ça ne va pas être acheté tout de suite. Il y a quelqu’un qui va te dire, oui, ça m’intéresse. On va négocier un petit peu. Et puis, il y a la vente qui a lieu. ».
Selon l’analyste, c’est « cette différence de rythme qui fait que non, ce n’est pas du tout corrélé « C’est pourquoi une reprise du prix du Bitcoin, de l’Ether ou d’autres monnaies numériques ne stimule pas automatiquement le marché de l’art numérique sur la blockchain.
Interrogé par nos soins, l’analyste précise que la stagnation du marché des NFT n’est pas forcément un indicateur fiable montrant que tous les tokens non fongibles n’ont plus de vie. En effet, « Il y a beaucoup de gens qui achètent des NFT mais ne les vendent pas ou n’essaient pas de les revendre toujours plus cher. » :
« En fait, il y a beaucoup de NFT qui ne sont pas destinés à être revendus, il est donc normal qu’ils ne soient pas revendus plus cher. »
Il prend l’exemple de ENS (Ethereum Name Service). C’est « un nom de domaine qui nous est propre, donc en fait, on le prend pour nous, pour notre identité numérique »Ce service décentralisé permet de convertir des adresses complexes sur la blockchain Ethereum en noms de domaine simples et lisibles par l’homme. Ces NFT sont toujours utiles et sont toujours utilisés, mais ils ne peuvent évidemment pas aider à stimuler les ventes sur les plateformes NFT.
Les survivants du marché NFT
Malgré le marché baissier, et la disparition d’une grande partie des projets, certaines initiatives dans le monde des NFT continuent de prospérer. C’est le cas de certaines collections cultes, que les collectionneurs ont baptisées « Graal »En effet, les singes du Bored Ape Yacht Club et les CryptoPunks continuent d’être valorisés à des sommes colossales.
« Il y a les Bored Ape et les CryptoPunks qui marchent encore bien, tu vas avoir, disons, 5 autres collections qui marchent plutôt bien. Bon, ça fait, voilà, 6-7 collections sur les 10 ou 20 000 qui existent, donc ce n’est pas grand chose. »résume Maxime L, qui précise que « Cela ne représente que quelques collections d’élite, cela ne représente pas du tout tous les NFT. »
Par exemple, un CryptoPunk rare a été vendu près de 1,5 million de dollars début septembre 2024, alors que le reste du marché est en baisse, rapporte CoinTelegraph. Autre exemple, Sorare, le jeu blockchain qui permet aux joueurs d’échanger des cartes numériques. La licorne française continue de développer son offre en multipliant les partenariats et les concours. Récemment, Sorare a lancé un jeu d’envergure avec le soutien de Kylian Mbappé.
Malgré un contexte particulièrement morose, il existe des artistes qui continuent d’émettre des NFT pour vendre leurs œuvres. Comme nous l’explique Maxime L, il existe encore des créateurs qui émettent des tokens pour authentifier leurs créations sur les blockchains :
« Tous les artistes qui sont restés, au moins de temps en temps, ils arrivent à faire des ventes. Bon, ce n’est pas très glorieux. Il y a vraiment un top 50 qui s’en sort très très bien, et puis il y a un écart impressionnant avec la médiane, où la plupart des artistes qui arrivent à vendre leurs œuvres, ils font 200 dollars par an au maximum ».
Enfin, l’analyste n’exclut pas la possibilité d’un futur marché haussier autour des tokens non fongibles. Entre les lignes, il évoque la perspectiveun marché qui va repartir à la hausse en 2025mois après celui des crypto-actifs. Selon lui, « Cela se produira probablement à la fin du cycle Ethereum ou Bitcoin, mais non, cela n’arrivera pas en même temps »C’est pourquoi les artistes et les investisseurs continuent de s’accrocher…
🔴 Pour ne rien manquer de l’actualité de 01net, suivez-nous sur Google News et WhatsApp.