Environnement. Face au réchauffement climatique, le retour bénéfique du castor dans nos rivières
Barrière contre l’érosion, créateur de zones humides ou régulateur des cours d’eau… Le castor, quasiment éteint en France il y a cent ans, prospère désormais dans les rivières de France, apportant discrètement sa pierre pour lutter contre les effets du changement climatique.
« Là, on peut dire avec certitude qu’un castor est passé par là. » Appuyé sur une branche de saule pleureur, Stéphane Tessier, naturaliste membre de l’association Perche Nature, est catégorique : cette coupe nette en biseau, avec de petites dentelures façonnées par les dents du rongeur, « est un indice convaincant ».
Chassé pour sa fourrure
Le castor « arrachait l’écorce puis le bois dur jusqu’à couper cette branche d’environ cinq à six centimètres pour la manger davantage. Cela a dû lui prendre 15 à 20 minutes de travail », explique David Caille, agent de l’Office français de la biodiversité (OFB). Les deux hommes appartiennent au réseau Castor, qui enregistre les traces de l’animal pour permettre aux autorités de prendre des arrêtés interdisant certains pièges. Car le castor, longtemps chassé pour sa fourrure, est une espèce protégée.
Au début du 20e siècle, il ne reste en France que quelques dizaines d’individus. Aujourd’hui, on en compte environ 20 000 à travers le pays, résultat d’une réintroduction réussie. Dans le Loir-et-Cher, le plus gros rongeur d’Europe – il peut peser environ 25 kg – a fait son retour dans les années 1970. Depuis, même s’il est difficile d’estimer leur nombre exact, ses traces sont couramment retrouvées le long des cours d’eau.
Manque de connaissances et manque de tolérance
Souvent confondu avec le ragondin – une espèce envahissante – et parfois critiqué pour les inondations que ses barrages peuvent provoquer sur les parcelles agricoles, de la Meuse à l’Écosse, le castor a des effets sur son environnement qui sont pourtant « bien plus bénéfiques que négatifs », soulignent les deux membres du Réseau Castor. « C’est vrai qu’il y a une méconnaissance, et parfois un manque de tolérance à l’égard de la cohabitation avec le vivant », estime le naturaliste.
Or, le castor est « une des rares espèces capables de façonner son environnement selon ses besoins, et son travail est précieux pour les écosystèmes », explique David Caille. Végétarien, ce mammifère aux dents pointues se nourrit principalement d’écorces et de branches. « Il aura tendance à abattre une partie de ce qu’il consommera, ce qui va rajeunir la végétation, créer des trouées apportant de la lumière, et donc favoriser tout un cortège d’autres espèces », selon l’agent de l’OFB.
Des études ont montré que la biomasse peut être multipliée par 80 en présence de castors. Sur le Loir, elle joue aussi un rôle dans « le maintien des berges là où l’homme le fait de moins en moins », luttant ainsi contre l’érosion des berges, souligne Stéphane Tessier.
Stockage du carbone
Ses constructions de boue et de branches, principalement sur les petites rivières, ont également un rôle dans la lutte contre les inondations, pouvant réduire les débits de crue jusqu’à 60 %, selon une étude britannique réalisée sur une rivière du comté de Devon. « Ça tend à retenir le débit, ce qui permet aussi à l’eau de mieux s’infiltrer dans le sol », favorisant le remplissage des nappes phréatiques. Et dans de nombreuses rivières, ses digues retiennent des sédiments qui absorbent et filtrent les polluants, explique l’OFB.
Face à la sécheresse, les castors peuvent recréer des mini-zones humides en bloquant l’eau, servant de refuge aux insectes et aux amphibiens. En cas d’incendie, ils peuvent également stopper la progression des flammes. Ces marécages, en stockant de la matière organique ou des sédiments, servent également à retenir le carbone, principale cause du réchauffement climatique.
En 2018, des chercheurs finlandais calculaient que chaque année, les zones humides créées par les castors pourraient stocker jusqu’à 470 000 tonnes de carbone, alertant toutefois d’un risque d’inversion dans certaines régions. Mais globalement, malgré ces incertitudes, « je parierais que (les structures de castors) stockent plus de carbone qu’elles n’en produisent », estime Jennifer Edmonds, écologiste à l’université d’Alabama, dans une autre étude.