ENTRETIEN. Rebecca Lighieri : « Les jeunes vivent une épidémie de solitude »
Prix Médicis 2022 pour « La Treizième Heure », Rebecca Lighieri est au palmarès du Prix Goncourt des Lycéens avec « Le Club des Enfants Perdus ». Un roman à deux voix qui exprime le mal-être de la génération Z soumise à de nombreuses vicissitudes… Rendez-vous aux Ombres Blanches jeudi.
A l’annonce de sa sélection par l’Académie Goncourt et pour le Prix Goncourt des lycéens, une « polémique » a éclaté, comment la percevez-vous ?
En tout cas, il y avait clairement, de la part d’une frange très très marginale de la population adulte, je tiens à le souligner, une contestation de la présence du « Club des Enfants Perdus » dans la sélection Goncourt des lycéens. . Et même si cela reste très marginal, on sait très bien qu’il est facile de répandre une rumeur, d’appeler au lynchage, ce qui est un peu ce qui s’est passé autour de ce livre. Mais j’ai participé à cinq réunions dans le cadre du Goncourt des lycéens donc j’ai des retours de lycéens et de lycéennes. Et évidemment, ceux qui viennent me voir sont certainement ceux qui ont aimé le livre mais ils me disent tous qu’ils en ont vu d’autres, et que pour eux, c’est vraiment du peu de bruit pour pas grand chose.
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Mais cela pose forcément question…
Oui, et je me suis quand même posé des questions, sachant que je n’ai pas écrit le livre pour les lycéens, mais je pense que je l’ai quand même écrit en pensant à eux et qu’il est fait pour eux. Je me demandais dans quelle mesure ils devaient ou non être ébranlés par certaines scènes. Je pense que ça pourrait les gêner, les déranger un peu, mais ça ne leur fera pas de mal. Ce n’est pas quelque chose qui risque de les envoyer chez le psychologue. Au contraire, ils peuvent très bien se dire « je ne suis pas seul à me sentir seul ». Ils peuvent s’identifier à Miranda sans forcément adopter sa trajectoire tragique. Et surtout, les scènes à contenu sexuel m’ont aidée à construire les personnages, je pense qu’elles sont essentielles et qu’on aurait tort de se priver de lecture du livre.
Vous avez été enseignant, avez-vous puisé la vérité des situations, du langage, des ambiances de votre quotidien professionnel ?
Il y a un an et demi en effet, j’étais encore professeur de lycée, donc le mal-être, la détresse dont je parle, je le touchais encore avec mon doigt. Et puis j’ai deux filles qui ont à peu près l’âge de Miranda. Et quant aux manières de parler, aux expressions familières, qu’on m’a aussi critiquées dans les dialogues, je m’y tiens dans le sens où, si je fais parler les jeunes, je les fais parler comme on parle aujourd’hui dans La communauté de Miranda. Je m’efforce d’avoir une forme de vraisemblance dans les dialogues. Et il me semble qu’il n’y a rien de mal à lire des choses qu’ils disent eux-mêmes tout le temps.
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Comme le dit votre héroïne dans le livre « J’espère vraiment que ce n’est pas brûlé », est-ce une expression que vous utiliseriez ?
J’évite donc soigneusement, compte tenu de mon âge, de m’exprimer comme une jeune fille de 18 ans. Je peux le dire, mais avec beaucoup d’autodérision. Mais j’évite, autant que possible, de parler comme mes enfants et comme mes élèves.
Dans votre roman, pourquoi la première source d’inspiration est-elle le théâtre ?
Le théâtre était présent dès le début puisqu’une de mes sous-inspirations est « La Tempête » de Shakespeare avec le personnage de Miranda qui naît par une nuit d’orage. Et je voulais vraiment créer l’histoire dans le monde du théâtre et avoir des personnages principaux qui soient des acteurs donc c’est très central dans le roman. Et je revisite aussi des pièces que j’aime comme « Lorenzaccio » de Musset, « La Tempête », évidemment « Phèdre » de Racine. Il y a toujours une possibilité de les actualiser, de leur donner une sorte de résonance avec ce que nous vivons aujourd’hui.
La forme du roman est elle aussi atypique avec deux parties, deux personnalités, deux sensibilités exprimées, un père, une fille…
Oui, je l’ai souvent fait dans mes livres publiés sous pseudonyme ou dans ceux que je publie sous mon vrai nom. J’utilise souvent une forme de polyphonie pour faire entendre plusieurs subjectivités, plusieurs partis pris pour revisiter un même épisode avec une vision différente. Mais là, c’est vrai que je l’ai fait d’une manière, que j’espère pas trop manichéenne, mais avec seulement un père et sa fille, pour vraiment travailler sur l’incommunicabilité, l’incompréhension malgré l’amour, avec quelque chose de l’ordre générationnel. Ce qui veut dire que nous avons des parents qui sont du côté de la vie, du plaisir, de la réussite. Et puis de l’autre côté, cet enfant qui a du mal à basculer du côté de la vie.