Quel sort Israël réserve-t-il à la dépouille de Yahya Sinouar, chef militaire du Hamas et instigateur du massacre du 7 octobre 2023 ? Cette question et celle de sa succession posent de véritables défis pour Gaza. L’analyse de Guillaume Ancel, ancien officier et chroniqueur de guerre sur le blog « Ne pas être ». Entretien.
La mort de Yahya Sinouar, chef militaire du Hamas présenté comme le « cerveau » du 7 octobre 2023, pose aussi la question de sa dépouille. Que va devenir son corps ? Israël pourrait-il être tenté de le restituer uniquement en échange d’otages, par exemple, ou voudrait-il agir comme les États-Unis avec les cadavres de Ben Laden ou d’Al-Baghdadi, en le jetant à la mer ?
Sans doute Israël serait-il bien avisé de ne pas en faire un « martyr » qui viendrait vénérer sur sa tombe et je ne serais donc pas surpris qu’il utilise le précédent de Ben Laden… Mais il est vrai qu’il essaie pour négocier le retour de son corps. Les otages israéliens décédés font eux-mêmes l’objet de négociations très âpres avec le Hamas pour récupérer les corps. C’est toujours très important symboliquement. Dans le cas de Sinouar, on sait que sa famille et tous ceux qui le vénèrent voudront aussi être sûrs que ce sont bien ses restes qui leur sont restitués. Cependant, cela implique un test ADN qui nécessite des moyens importants, difficilement imaginables à Gaza aujourd’hui. Tout cela fait l’objet de questionnements mais aussi de discussions bien sûr au sein du gouvernement israélien et cela fera probablement l’objet de négociations avec le Hamas.
Pour le Hamas et au-delà pour tous ceux qui le soutiennent, Sinouar est en tout cas désormais un « martyr », avec ou sans tombe. Mais est-ce aussi pour la majorité des Gazaouis qui subissent l’invasion israélienne, ses dizaines de milliers de morts suite au pogrom perpétré par le Hamas ? Sera-t-il « plus mort que vivant » ?
C’est très délicat à mesurer. Mes contacts palestiniens ne sont plus à Gaza. Mais on dit que cet homme est le malheur de Gaza, qu’il a déroulé un tapis rouge pour la violence de Netanyahou, dont il était « le meilleur ennemi ». Ils sont visiblement plutôt satisfaits de se débarrasser de lui tout en se disant : « J’espère que ce qui se passera après lui ne sera pas encore plus violent. » Pour eux, la seule solution pour sortir de cette guerre est d’avoir un interlocuteur palestinien pertinent et crédible. Evidemment, ils parlent tous de Marwan Barghouti (membre du conseil législatif palestinien, actuellement détenu, ndlr). Et puis, à l’inverse, il y a ceux qui sont dans un esprit de guerre, de vengeance et pour qui Sinouar est le symbole de la résistance palestinienne, tué au combat et non comme les Israéliens ont essayé de le montrer caché. au fond d’un tunnel entouré d’otages. Chacun de ces deux courants cherchera à imposer son discours mais aujourd’hui, le deuxième courant est le plus bruyant car des deux côtés, seuls les extrémistes peuvent parler. Ce qui ne veut pas dire qu’il est majoritaire chez les Palestiniens et qu’il pourra perdurer.
Qui pour remplacer Sinouar désormais ?
Le Hamas n’a jamais caché sa volonté d’établir un état de guerre permanent avec Israël. Il serait donc logique que son successeur soit l’un des participants à l’attentat du 7 octobre. Il sait qu’il sera le prochain homme à être tué, mais cela lui permet d’attirer l’attention des médias sur ce qui se passe à Gaza. Jusqu’à sa défaite, Israël sera contraint de redoubler de violence pour tenter de l’avoir. Or, pour neutraliser 20 000 miliciens du Hamas et tuer Sinouar, non pas après l’avoir débusqué mais au hasard des combats, Israël a provoqué un taux de pertes collatérales parmi les civils de 95 % en un an. C’est ahurissant, surtout lorsqu’il affirme que Sinwar était la justification de cette opération alors qu’on ne peut pas justifier un tel carnage dans la bande de Gaza. La mort de Sinouar est un arbre qui cache la forêt.