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Nouvelles locales

ENTRETIEN. « Les débats télévisés sont devenus des matchs de catch qui ne fabriquent rien »

Le débat est-il mort ? A l’ère d’internet et des réseaux sociaux, et alors qu’il n’y a jamais eu autant d’espaces de discussion, les débats médiatiques et politiques semblent pourtant de plus en plus binaires et caricaturaux.

En 2021, le journaliste Didier Pourquery publie Sauvons le débat – Osons la nuance publié aux Presses de la Cité. L’ancien directeur adjoint de Mondeaujourd’hui président de l’association La ConversationFranceestime que les débats d’aujourd’hui sont plus que des « matchs de catch » et appelle à redécouvrir l’art de la conversation, défendu par Montaigne.

Le débat est-il aujourd’hui en danger en France ?

Quand on pense au débat, on imagine la plupart du temps les débats télévisés. Cependant, il ne s’agit pas de débats mais de combats de lutte, simulacres de combat dans lesquels les participants assument des rôles bien définis. Aucune idée particulière ne ressort de cet affrontement, ce sont juste des combats aux mots les plus outrageants possibles. C’est un système en boucle fermée qui ne fabrique rien.

C’est vraiment nouveau ?

Non, mais elle a été amplifiée par les réseaux sociaux. Ces débats sont des clash machines qui permettent de créer de courtes vidéos qui suscitent des émotions comme la colère ou l’indignation et qui sont des outils de promotion au service du programme concerné. L’autre élément est que l’économie numérique repose sur des algorithmes qui façonnent des bulles de filtres.

Ce est-à-dire ?

Lorsque vous êtes sur les réseaux sociaux, vous vous retrouvez avec des personnes qui pensent un peu comme vous et qui vont confirmer vos opinions. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. A l’inverse, si quelque chose ne va pas dans votre sens, vous le refusez, le rejetez de manière très forte.

Pour créer des émotions, il faut crier fort.

Vous avez énuméré cinq ennemis du débat. Pouvez-vous nous les détailler ?

Le premier est l’urgence, nous avons généralement très peu de temps pour nous exprimer. Ensuite, il y a la violence. Pour créer des émotions, il faut crier fort. Troisièmement, l’arrogance. Plus les discours sont réduits, plus ils sont prononcés avec arrogance. Ensuite il y a l’offense, quand tu interviens, tu peux t’autocensurer de peur d’offenser certaines personnes. Enfin, il y a la méfiance vis-à-vis des médias qui s’est également développée.

Mais la violence, par exemple, n’existait-elle pas déjà avant ?

Ces éléments ne sont pas forcément nouveaux, les débats pouvaient être violents, le général de Gaulle était déjà arrogant, mais avec les nouvelles chaînes numériques tout s’est accéléré et les débats sont devenus mécaniquement plus nombreux. Les chaînes d’information n’ont pas les moyens de produire de l’information tout le temps, alors elles remplissent leur grille de pseudo-débats avec des chroniqueurs, ce qui ne coûte rien. Nous sommes entrés dans l’ère de l’infobésité. Nous sommes soumis chaque jour à tellement d’informations que nous ne pouvons plus les traiter et nous sommes contraints de devenir binaires.

Selon vous, le registre émotionnel l’emporte sur le fond ?

Regardez l’émission de Cyril Hanouna. Il demande à ses chroniqueurs de se positionner sur divers sujets avec des signes « oui » ou « non ». Tout cela est extrêmement simpliste, il n’y a pas de place pour le fond. Il y a une prime à la radicalité, les seuls qui parviennent à se faire entendre sont ceux qui ont un discours pour ou contre.

L’autre n’est plus un adversaire du débat, il est devenu un ennemi.

Vous évoquez les réseaux sociaux de manière négative, pourtant on pourrait penser qu’ils sont un outil pour favoriser le débat. Y a-t-il jamais eu autant d’espaces possibles pour échanger ?

Oui, il y a des espaces de débat mais ce n’est pas très constructif. Quand Montaigne parlait de l’art de converser, il expliquait qu’il voulait discuter avec des gens qui avaient une opinion totalement différente si elle était bien construite et que cela lui permettait de réfléchir, d’avancer. Il s’agit d’écouter son adversaire et c’est ce qu’il appelait la conversation. Je n’ai pas l’impression que les débats que nous montrons aujourd’hui soient sur ce registre.

On n’écoute plus nos adversaires ?

L’autre n’est plus un adversaire débattant, c’est un ennemi. L’ennemi est celui qui doit être vaincu. Et comme tu n’as pas beaucoup de temps, tu caricatures. Par exemple, quand vous appelez les écologistes « Khmers verts », c’est extrêmement violent, les Khmers ont tué des millions de personnes. Lorsque vous utilisez cette expression, vous rendez l’échange impossible.

Doit-on avoir un avis sur tout ?

Non, c’est ce que disait Roland Barthes dans les années 70, on n’est pas obligé d’avoir un avis sur tout. C’est pourquoi j’ai arrêté d’aller dans des talk-shows, je me sentais comme une fraude complète. Certes, j’ai été directeur adjoint du Monde et j’étais bien renseigné mais cela ne veut pas dire avoir un avis sur tout. Il y a plein de sujets sur lesquels je réfléchis, que j’étudie mais pour lesquels je n’ai pas forcément d’opinion. L’arnaque de ce genre d’émission est de dire aux gens qui la regardent qu’on va leur présenter plusieurs avis et qu’ils peuvent se faire le leur. Cependant, nous n’avons pas les moyens de nous faire une opinion sur tout.

Aujourd’hui, les punchlines arrivent parfois comme un cheveu dans la soupe.

La dégradation de la qualité des débats que vous évoquez se retrouve-t-elle aussi dans la sphère politique ?

Le débat politique est devenu un espace dans lequel les intervenants doivent placer un certain nombre d’éléments de langage, d’arguments réducteurs et de punchlines qui seront ensuite répétés. Lorsque Valéry Giscard d’Estaing tacle François Mitterrand sur le « monopole du cœur » en 1974, il est certes préparé, mais les deux débatteurs s’écoutent, se répondent, s’interrogent.

Aujourd’hui, les punchlines arrivent parfois comme un cheveu dans la soupe, on écoute l’autre juste pour repérer un mot clé qui nous permettrait de sortir notre phrase préparée, c’est un dialogue de sourd. Les femmes et hommes politiques arrivent avec leurs petits dossiers, leurs punchlines, qui seront ensuite repris dans les newsletters, qui feront le titre des articles et qui apparaîtront sur Google.

Y a-t-il des endroits où l’on peut débattre ?

Oui bien sûr. Il y a des émissions comme « Le temps du débat » sur Culture française« Politique C » sur France 5 qui restent des lieux où l’on écoute les autres, on leur laisse le temps de s’exprimer, on n’est ni arrogant ni violent. De manière générale, tous les médias qui travaillent à produire une information bien analysée et bien décryptée contribuent à calmer les débats et les conversations. Mais ça s’apprend. Aujourd’hui, dans les écoles, l’éloquence et la rhétorique sont très appréciées. C’est bien mais il faut aussi apprendre à converser, organiser des débats, avoir des endroits où l’on peut déposer son cerveau avec celui des autres.

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Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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