Nouvelles

ENTRETIEN. Guerre au Moyen-Orient : sur le Hamas, le Hezbollah et l’Iran, « Benjamin Netanyahu n’a pas de stratégie »

l’essentiel
Correspondant de France 2 à Jérusalem de 1981 à 2015, Charles Enderlin réédite « Le grand aveuglement, Israël face à l’islam radical » dans une version actualisée. Il rappelle comment Benjamin Netanyahu a favorisé le contrôle de Gaza par le Hamas. Entretien.

Le 7 octobre 2023, quelle a été votre première réaction face à l’attaque du Hamas, un pogrom sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ?

Par hasard, j’étais aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois… Les appels ont commencé très tôt. Il était environ 6 heures du matin en Israël et mon fils m’a appelé pour me dire que quelque chose de terrible se passait dans le sud. Ma première réaction a été la surprise, non pas du fait que le Hamas attaquait Israël, mais du manque total de préparation de l’armée israélienne face à Gaza. Je portais aussi l’uniforme israélien et normalement, à la moindre alerte, les soldats sont en position dans leur base à l’aube. Ce n’était pas le cas. Des soldats ont été tués alors qu’ils étaient encore en pyjama… C’est un manque de préparation étonnant de la part des chefs de l’armée. Lorsqu’il y aura une enquête judiciaire formelle, des têtes tomberont, personne ne se contentera de démissions. L’autre point très grave est qu’il ne restait plus que deux bataillons pour garder cette frontière car toutes les unités déployées autour de Gaza avaient été envoyées en Cisjordanie pour y protéger les colons.

Charles Enderlin
Charles Enderlin
Philippe Lissac/Godong/opale.photo/Editions Albin Michel – Philippe Lissac

Les colons qui occupent illégalement ces territoires, rappelez-vous…

Assez. En réponse à la mort de deux d’entre eux lors d’une attaque palestinienne, dans une localité palestinienne, ils ont incendié une vingtaine de maisons et des dizaines de véhicules ; la situation était très tendue.

Que retenez-vous de cette première année de guerre ?

Premièrement, le manque de compréhension du fondamentalisme islamique depuis plus de 50 ans par les responsables israéliens. Les services ont simplement cessé d’essayer d’analyser, de comprendre ce qui se passe à Gaza. Leur idée restait que la seule chose qui intéressait le Hamas était de gouverner ce territoire. Cependant, à propos du 7 octobre, il y a eu des alertes. Interviewés quelques semaines plus tôt, des responsables du Hamas ont réitéré une interprétation de citations du Coran selon laquelle Israël devait être détruit et disparaîtrait en 2027. Pour les théologiens du Hamas, le 7 octobre était le début du processus. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tout ce réseau qui va du Hamas, à Gaza, au Hezbollah, au Liban, en passant par les Houthis, jusqu’au Yémen, avec les ayatollahs iraniens pour parrains, est une alliance dont l’identité même est de détruire l’État de Israël qu’ils considèrent comme une « hérésie » en terre d’Islam. Pendant des décennies, les dirigeants israéliens ont refusé de voir cela et cet aveuglement s’est ajouté à la faute primordiale.

Celui d’avoir permis au Hamas de prospérer ?

Oui. Afin d’affaiblir l’OLP de Yasser Arafat et de diviser les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, les Israéliens ont favorisé le développement à Gaza de l’organisation d’Ahmed Yassine – devenue Hamas en 1988 – qui venait de démarrer dans les années 1970. la branche la plus radicale des Frères musulmans, celle de Saïd Qutb, le théologien dont les écrits ont inspiré al-Qaïda et Daesh. À son retour au pouvoir en 2009, Benjamin Netanyahu a poursuivi la stratégie d’Ariel Sharon consistant à favoriser le Hamas au détriment de l’Autorité autonome de Mahmoud Abbas. Dès 2012, il avait interdit au département du Mossad chargé de lutter contre l’argent du terrorisme de s’attaquer aux énormes finances du Hamas. Cela a permis à ce dernier de construire 500 km de tunnels avec de véritables usines d’armement mais aussi de payer ses combattants entre 500 et 700 dollars par mois. Parallèlement à cette stratégie visant à renforcer le Hamas pour rendre impossible la cohabitation de deux États, Benjamin Netanyahu a formé en 2022 une coalition gouvernementale avec les partis menés par les colons les plus radicaux.

Dans cette nouvelle édition, enrichie et mise à jour, des documents inédits éclairent l'histoire du conflit.
Dans cette nouvelle édition, enrichie et mise à jour, des documents inédits éclairent l’histoire du conflit.
Albin Michel

Dans « The Great Blinding », vous écrivez que « les deux fondamentalistes, juif et musulman, semblent se coordonner pour conduire le Moyen-Orient vers une guerre de religion, chacun espérant qu’un immense bain de sang amènerait pour certains le Messie, le Mahdi envoyé par Allah pour les autres. » L’escalade est une impasse ?

Après la guerre de 1967 et l’entrée de l’armée israélienne à Jérusalem, les militants d’un sionisme messianique, ultra-religieux et nationaliste se sont envolés, jusqu’à leur arrivée au pouvoir, en alliés du Likoud de Netanyahou. Ce dernier a ainsi accordé les clés de la sécurité intérieure et de la colonisation à Bezalel Smotrich. Chef du parti religieux sioniste, il vit dans une colonie. Ouvertement anti-arabe, il a refusé que son épouse accouche dans une maternité où se trouvent des femmes arabes et il est non seulement ministre des Finances mais également ministre délégué auprès du ministère de la Défense, où il est chargé de l’administration civile de la Cisjordanie. Itamar Ben-Gvir, du parti « Pouvoir juif », est l’héritier du raciste rabbin Kahane et il est le patron de la police israélienne. Quant à Benjamin Netanyahu, il est également annexionniste, selon l’idéologie de son père Bension qui refusait tout accord avec les Arabes. Mais s’il y avait des élections demain, selon les sondages, cette coalition perdrait le pouvoir.

Pour quelles raisons ?

Avant la guerre, les Israéliens manifestaient massivement contre le projet de Netanyahu de réformer le système judiciaire qui transformerait la démocratie israélienne en autocratie. Aujourd’hui ? Son refus du plan saoudien américain – un cessez-le-feu et l’établissement à Gaza d’une force arabo-palestinienne – empêche un accord qui permettrait un échange de prisonniers et la libération des otages détenus à Gaza. Au-delà de cela, le problème existentiel de la société israélienne réside dans la discrimination fondamentale entre les ultra-orthodoxes – exemptés du service militaire et bénéficiant d’importantes aides de l’État – et la population laïque, en l’occurrence et en premier lieu les jeunes du contingent qui sont sous le drapeau depuis au moins trois ans, et combattent de fait depuis le 7 octobre… Sans parler des dizaines de milliers de réservistes, régulièrement rappelés pour participer aux opérations à Gaza et au Sud-Liban. Depuis le début de la guerre, ils ont été contraints de suspendre leurs études, de quitter leur métier, leur société, leur entreprise pendant de longs mois, tandis que 160 000 ultra-orthodoxes mobilisables sont exemptés du service militaire. Tout cela commence à faire des ravages. Pour mettre fin à toutes ces crises, il faudra donc revoir la nature même de la démocratie israélienne et poursuivre le combat pour la défendre.

L’assassinat de Cheikh Yassine en 2004 n’a pas tué le Hamas. Les assassinats ciblés d’aujourd’hui affaiblissent-ils réellement l’Iran et ses « mandataires » ?

Au moins temporairement, jusqu’à ce que les dirigeants liquidés soient remplacés. Un chroniqueur israélien titrait la semaine dernière : « Nous avons enfin trouvé Nasrallah et maintenant nous devons chercher une stratégie ». Tout est dit. Netanyahou n’a aucune stratégie, ni pour gérer l’après-guerre à Gaza, ni contre le Hezbollah, ni contre l’Iran.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
Bouton retour en haut de la page