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ENTRETIEN. Crise en Calédonie : le médecin de Greslan déplore la mort de patients faute de soins et « une prise d’otage de l’hôpital »

Les malades chroniques calédoniens souffrent de problèmes persistants et de leurs conséquences sur la circulation. Certains perdent la vie faute d’accès aux soins, comme ce mardi à un patient dialysé. Le contexte actuel met également en danger le personnel soignant. Deux professionnels de santé expriment leurs craintes.

La situation chaotique que connaît Calédonie depuis un mois et demi a fait des morts. Pas seulement les victimes directes des affrontements, au nombre de neuf selon le bilan officiel. Pas seulement les conducteurs qui ont perdu la vie dans des accidents alors que les routes étaient encombrées. Mais aussi des personnes qui n’ont pas pu recevoir les soins nécessaires, notamment parce que les routes étaient bloquées.

« Hier, nous avons eu un patient dialysé qui n’a pas pu être dialysé lundi et qui est décédé », a rapporté le Dr Thierry de Greslan ce mercredi, dans la matinée de NC la 1ère. Le président de la commission médicale d’établissement du CHT Gaston-Bourret, qui gère le Médipôle de Dumbéa, a évoqué d’autres drames. « Il y a quelques jours, un patient asthmatique de 21 ans est décédé des suites d’une crise d’asthme qui n’a pu être soignée à temps. La semaine dernière, un patient épileptique est décédé suite à une crise. Des victimes collatérales qui ont été émues dès que les violences ont éclaté. À la mi-mai, une femme a perdu son bébé in utero et un homme non dialysé a été retrouvé mort à son domicile.

« Depuis le début de la crise, nos patients ont beaucoup de mal à venir au CHT »résume le Dr de Greslan. « Cette situation intolérable, qui correspond à une sorte de prise d’otage très régulière de l’hôpital, a des conséquences dramatiques sur (leur) pris en charge, avec une perte d’opportunité tout à fait réelle. » Face à cette réalité, il a déclaré : « Le sentiment des soignants est une grande incompréhension, une colère, une frustration de ne pas pouvoir travailler et de ne pas pouvoir aider la population, toute la population. »

Le médecin précise que « A l’hôpital, ça se passe très bien. On a des équipes qui ont une résilience exceptionnelle. Une résilience qui s’amenuise. »il tient néanmoins à souligner,  » parce que les gens sont de plus en plus fatigués. Lundi, les soignants qui avaient travaillé le week-end devaient rester le lundi matin et travailler la journée (…) et puis lundi soir, ils ont dû refaire une autre nuit. Autre expérience : « J’ai une infirmière qui est tombée en panne. Un autre ne veut plus venir travailler (…) La situation se dégrade progressivement, de blocage en blocage.

C’est une véritable prise d’otage de l’hôpital, qui a des conséquences sur nos soignants qui fatiguent (…), et par rapport aux patients qui n’arrivent plus aux urgences, c’est une catastrophe.

Dr de Greslan, président de la commission médicale d’établissement au CHT

Il craint désormais les effets futurs d’une telle crise. « Nos soignants ont aussi peur de venir travailler. Cette situation qui se développe avec le temps, voire devient chronique, crée une anxiété qui va fragiliser, ce qui fragilise déjà, nos effectifs. (Au-delà) cette catastrophe aujourd’hui, il y aura une catastrophe demain, celle du manque de soignants qui dégradera inévitablement l’offre de soins de la région. Pas seulement au CHT, sur tout le territoire, y compris en médecine privée. »

Son entretien avec Lizzie Carboni

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Sur les mêmes ondes, une heure plus tôt, toujours dans l’émission matinale, un autre professionnel de santé exprimait des craintes similaires. Le Dr Jean-Michel Tivollier est néphrologue à la clinique Kuindo-Magnin de Nouméa, il a évoqué le problème de quelque 700 patients dialysés calédoniens. « Dans cette situation de quasi-guerre civile, le problème est de maintenir les chaînes logistiques et nous sommes comme tout le monde, nous vivons au jour le jour »il a résumé.

« Nous essayons de maintenir notre ligne de soins fonctionnelle. Heureusement, nous sommes bien répartis sur le territoire et nous parvenons année après année à faire survivre nos patients… Mais nous sommes vraiment en mode survie », il dit. Quant au décompte du nombre de personnes dialysées décédées faute de soins depuis la mi-mai : « C’est assez compliqué. Nous avons des patients fragiles qui risquent de mourir de multiples causes. »

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Le spécialiste a évoqué la prise en charge des patients au début de cette crise. « Le grand centre (dialyse) de la clinique fonctionne depuis le début des événements. Il a su faire face aux plus difficiles et ainsi maintenir nos patients en vie. »il croit. « Tout cela grâce à une chaîne d’approvisionnement qui a pu être maintenue, avec des gens qui se sont battus au jour le jour, qui se réunissent quotidiennement en cellules de crise et avec un maintien d’équipes qui va devenir de plus en plus problématique. » Car le Dr Tivollier évoque également « à porter au quotidien » soignants.

À un moment donné, nous avions jusqu’à 270 patients à prendre en charge sur les deux sites (de dialyse) de Médisud et de la clinique.

Dr Tivollier, neurologue à la clinique Kuindo-Magnin

Ses messages ? L’une s’adresse aux patients, « venez le plus possible au centre de dialyse lorsque les routes sont dégagées ». L’autre est plus général. « J’appelle à la solidarité interethnique, puisqu’ils tentent de s’opposer à nous, pour que nous puissions reprendre un chemin constructif ou au moins nous projeter dans l’avenir. Actuellement, il est extrêmement difficile de se projeter sur plus d’une journée. »

Son entretien avec Lizzie Carboni

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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