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Entre le RN et l’Algérie, le risque d’un bras de fer

A Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), fief du Rassemblement national (RN), le 10 juin 2024, pour les élections européennes.

A priori, le cadre d’un bras de fer se met en place. Entre l’Algérie et le Rassemblement national (RN), au seuil du pouvoir, c’est comme une blessure mal cicatrisée qui se rallume, un retour d’une mémoire venimeuse. Comment imaginer que la relation bilatérale sortira indemne d’une éventuelle arrivée au pouvoir du RN ? Qu’il sera épargné des ambitions d’un parti dont le fondateur, Jean-Marie Le Pen, fut un « para » lors de la bataille d’Alger (1957), mis en cause par ailleurs pour avoir été associé à la torture et qui recycla en son sein de nombreux anciens cadres de l’OEA (Organisation de l’Armée Secrète) ? Un tel ADN « Algérie française », qui fait aujourd’hui que le mouvement est surreprésenté dans les localités du sud de la France à forte concentration de pieds-noirs, pèsera inévitablement sur le lien entre Paris et Alger en cas de gouvernement Bardella.

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 » Un pouvoir RN va empoisonner la relation avec l’Algérie, anticipe Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit d’Alger. La dégradation sera durable, car la montée de l’extrême droite en Europe est une lame de fond. « Pour l’heure, la presse officielle algérienne observe une certaine prudence dans sa couverture de la séquence électorale française. S’il est trop tôt pour s’alarmer publiquement, l’inquiétude grandit, comme l’illustrent les prises de position de Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris près d’Alger, appelant à « être indigné » devant « la tentation RN ».

La question migratoire deviendrait d’emblée une priorité pour un gouvernement du RN en Algérie. Les dirigeants du parti d’extrême droite ne s’en cachent pas. « Je pense qu’il vaut mieux s’attaquer immédiatement à ces irritants »avait recommandé Marie Le Pen en avril 2022 lors de sa campagne pour l’élection présidentielle. Les principaux « irritants » C’est la mauvaise volonté prêtée à l’Algérie dans la réadmission de ses ressortissants soumis à une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le RN promet un bras de fer sur ce dossier en conditionnant l’octroi de visas pour la France à une pleine coopération d’Alger dans la délivrance des documents consulaires permettant ces retours.

Régime d’exonération en question

A cette fin, le parti de Mmoi Le Pen envisage de faire tomber un carte pour mieux contraindre les réticences d’Alger : la remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde aux Algériens un régime dérogatoire au droit commun des étrangers en matière de circulation, de séjour et d’emploi sur le sol français. La paternité de cette idée revient au diplomate Xavier Driencourt, revenu de ses deux mandats d’ambassadeur à Alger (2008-2012, 2017-2022) avec la conviction que Paris avait été trop  » naïf «  dans ses relations avec les dirigeants algériens qui, selon lui, « ne comprendre que l’équilibre des forces ».

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Depuis sa retraite en 2022, M. Driencourt a rencontré M.moi Le Pen une fois et Jordan Bardella deux fois, et bien qu’il nie fermement être leur  » conseiller  » Sur l’Algérie, son nom circule comme possible futur ministre des affaires étrangères dans un gouvernement RN. « On ne m’a encore rien proposé » objecte M. Driencourt.  » Et si tel était le cas, il y a 99 % de chances que je refuse car je ne suis pas un homme politique. « , précise-t-il tout en laissant planer le doute sur le 1% restant.

Quoi qu’il en soit, son idée de « dénoncer » l’accord migratoire de 1968 a eu une influence. Elle a été reprise par Edouard Philippe – en désaccord sur ce point avec le président Macron, partisan du statu quo – et bien sûr par un RN ravi de découvrir l’existence de cet atout jusqu’ici oublié dans les archives. Nous allons revoir l’accord de 1968 », a déclaré jeudi 27 juin Sébastien Chenu, vice-président du parti d’extrême droite, sur BFM-TV. Le 10 juin, il avait annoncé son « abrogation » pure et simple, une nuance de langage qui laisse penser que le projet RN n’est pas encore très clair sur l’ampleur de l’enjeu.

Refus du « repentir »

La deuxième question qui risque de mettre à rude épreuve les relations bilatérales dans le scénario d’un gouvernement Bardella est celle de la mémoire. Au nom de son refus de  » repentir « , le RN a continué de rejeter toute tentative d’apaisement mémoriel avec l’Algérie, esquissée par la gauche, puis amplifiée par Emmanuel Macron. En 2012, Mmoi Le Pen avait ainsi fustigé comme un geste « profondément destructrice, profondément clivante pour la société française », La décision de François Hollande après son élection à la présidence de  » reconnaître «  avec « lucidité »« une répression sanglante » de la manifestation pro-FLN du 17 octobre 1961 à Paris qui coûta la vie à plusieurs dizaines d’Algériens, dont certains se noyèrent dans la Seine.

Les déclarations de ce type sont nombreuses de la part du parti d’extrême droite. Lorsque l’historien Benjamin Stora remettait à M. Macron, le 20 janvier 2021, son rapport sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, Louis Alliot, maire RN de Perpignan, s’est exclamé : « Honteux ! Macron a-t-il décidé, à travers le trotskiste Stora, de déclarer une guerre de mémoire aux familles françaises durement touchées par les atrocités du FLN et de leurs porteurs de valises ? »

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« Il est indiscutable qu’il existe (UE) « Les aspects positifs de la colonisation »a réagi de son côté le député européen Nicolas Bay, alors au RN (il l’a rejoint depuis Reconquête !), précisant qu’à ses yeux le rapport Stora  » apparaîtra comme un énième démonstration de faiblesse » et sera reçu  » cinq contre cinq  » par ceux « qui expriment leur haine envers notre pays ». Plus récemment, lors d’un débat à l’Assemblée nationale le 28 mars sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, Franck Giletti, député RN du Var, s’en est vivement pris à M. Macron qui, selon lui, « n’a pas arrêté s’agenouiller devant le gouvernement algérien » et cela « se met à mortifier son pays par un repentir continu devenu insupportable ».

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Dans ces conditions, on voit mal ce qui pourrait rester de la tentative de réconciliation mémorielle du chef de l’Etat français, à moins que ce dernier ne décide d’en faire un enjeu de combat dans une cohabitation conflictuelle. La mise en œuvre des recommandations du rapport Stora impliquant par nature la coopération de différentes administrations (ministères de la culture, de l’éducation, de la défense, etc.), un gouvernement du RN bloquerait de toute façon inévitablement toute initiative. L’avenir de la commission franco-algérienne d’historiens, qui travaille notamment sur le partage numérique des archives et la restitution à l’Algérie des biens ayant appartenu à l’émir Abdelkader (1808-1883), serait donc ouvertement menacé.

Conflit inévitable autour du Maroc

Enfin, troisième pomme de discorde prévisible avec Alger : le Maroc, pays où Mmoi Le Pen avait déclaré en 2022 qu’il était  » Cher «  à la France, l’Algérie n’ayant pas droit à un tel qualificatif de sa part. Si un Premier ministre Jordan Bardella devait reconnaître la « Marocanité » Sahara occidental, position exprimée depuis des années par Thierry Mariani, député européen investi par le RN, ainsi que, plus récemment, Eric Ciotti, nouveau partenaire du parti d’extrême droite, la confrontation avec l’Algérie serait inévitable.

Cette potentielle triple ligne de fracture – migratoire, mémorielle et diplomatique – plongerait la relation entre Paris et Alger dans les affres d’une nouvelle crise. Mais serait-ce durable ? Des deux côtés, le pragmatisme, dicté par des intérêts humains, économiques et géopolitiques très imbriqués, pourrait tout aussi bien finir par s’imposer sur des postures idéologiques. De son côté, l’Algérie a montré qu’elle pouvait très bien accueillir un partenaire outre-méditerranéen issu de l’extrême droite populiste et xénophobe, comme l’illustre l’excellence de ses relations avec l’Italie de Georgia Meloni.

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L’histoire de la relation bilatérale montre aussi qu’Alger a souvent préféré travailler avec une droite décomplexée – comme Charles Pasqua lorsqu’il était ministre de l’Intérieur (1986-1988, 1993-1995) – plutôt qu’avec des socialistes hésitants entre droits de l’homme et realpolitik. Paradoxalement, un pouvoir d’extrême droite à Paris serait peut-être plus facile à gérer du point de vue d’Alger, car les choses seraient plus claires et plus franches. »glisse une source diplomatique française. C’est en tout cas le pari de Marine Le Pen qui déclarait lors de la campagne présidentielle de 2022 : « Une fois élu, j’adopterai un discours décomplexé, clair et lisible pour l’Algérie. Je pense que nos deux pays ont tout à y gagner. « .

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Cammile Bussière

One of the most important things for me as a press writer is the technical news that changes our world day by day, so I write in this area of technology across many sites and I am.
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