entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, un débat aux enjeux bien différents
Ils se sont déjà rencontrés cinq fois sur les plateaux de télévision. Mais l’enjeu du sixième débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, jeudi 23 mai dès 20h15 sur France 2, est singulier. D’abord parce que l’échange a lieu en pleine campagne européenne, un peu plus de deux semaines avant l’élection, fixée au 9 juin en France.
Surtout, les deux débatteurs ont changé de stature depuis leur dernier duel, au printemps 2022. Le président du Rassemblement national (RN) et tête de liste du parti d’extrême droite a été désigné Premier ministre par Marine Le Pen, lorsque Gabriel Attal est effectivement devenu Premier ministre en début d’année. « C’est un combat très important, car il symbolise le renouvellement des générations des deux côtés »assure le politologue Bruno Cautres.
Jordan Bardella réclame depuis plusieurs mois un débat avec le chef du gouvernement. D’abord réticent, préférant débattre avec Marine Le Pen, Gabriel Attal a fait connaître, fin avril, son souhait d’organiser une « affrontement démocratique » avec le leader du RN.
De quoi soulever quelques doutes en interne. « Je ne suis pas d’accord avec le fait que le Premier ministre débatte avec Jordan Bardella, qui n’est que la tête de liste »juge un député de la Renaissance. « Je comprends qu’il ait accepté, mais je me demande si cela ne l’installe pas (Jordan) Bardella dans une position qu’il n’a pas encore »soutient le député d’Horizon François Jolivet. « Il n’est pas faux de dire qu’il s’abaisse à débattre avec (Jordan) Bardella, mais la tête de liste RN est un phénomène médiatique, crédité de 32% puis (Gabriel) Attal a été présenté comme l’arme anti-Bardella »nuance un membre de l’équipe de campagne Renaissance.
Car il y a du danger dans la résidence macronienne. Le camp présidentiel est talonné d’une quinzaine de points par le RN dans tous les sondages et est dangereusement dépassé par la tête de liste socialiste, Raphaël Glucksmann, au point qu’un franchissement des courbes est désormais envisagé. « Les sondages empirent, il n’y a pas d’élan » soupir une source dans la campagne de la Renaissance.
« Pourquoi ne pas utiliser nos atouts avec un Premier ministre très populaire, bon débatteur et qui veut affronter (Jordan) Bardella pour le frapper au visage ? Cela pourrait être mobilisateur pour notre camp.
Une source de l’équipe de campagne Renaissancesur franceinfo
C’est l’enjeu principal de ce débat pour la majorité : remobiliser l’électorat d’Emmanuel Macron qui, pour l’instant, manque cruellement de Valérie Hayer, la tête de liste Renaissance. Au risque de rendre un peu plus invisible le candidat, éclipsé par ce duel très médiatique ? «C’est un faux débatveut croire Antoine Armand, député de la Renaissance. Valérie mène une campagne sérieuse et solide, elle enchaîne les grandes victoires. » D’autres notent cependant que le haut de la liste « ne décolle pas » malgré ses performances médiatiques. « Valérie Hayer, ça ne marche pas »dit une source de l’équipe de campagne.
Le duel télévisé avec Jordan Bardella devrait aussi permettre au chef du gouvernement d’asseoir sa stature de leader politique, notamment en vue de l’élection présidentielle de 2027. « L’enjeu est aussi de montrer son rôle de leader de la majorité (…) tout en démontrant qu’il parvient à vaincre la bête de la communication qu’est Jordan Bardella »note Bruno Cautres.
Il « doit montrer que le RN n’a démontré aucune compétence, aucun sérieux au niveau européen », assure Antoine Armand. L’équipe du Premier ministre a ainsi décortiqué les positions de Jordan Bardella pour débusquer « faiblesses » et pointer « contrevérités et mensonges, même sur l’immigration », du président du RN, relate un conseiller de l’exécutif.
L’exercice reste à double tranchant pour Gabriel Attal, qui a eu peu de temps pour se préparer en raison de l’actualité chargée, notamment en Nouvelle-Calédonie. « Le danger évident est d’avoir fait de ce débat l’événement majeur de la campagne et qu’il n’aboutisse pas à une amélioration de la liste de Valérie Hayer », explique Mathieu Gallard, directeur des études à l’institut Ipsos. « Cela affaiblirait considérablement le Premier ministre, estime en outre ce spécialiste.
« Même si Gabriel Attal réalise une performance fulgurante dans ce débat, si la liste de Valérie Hayer est troisième, ce sera un terrible échec pour la majorité. On ne peut pas en mesurer les conséquences sur l’image de Gabriel Attal », engage Bruno Cautres. « Quel que soit le résultat, on ne peut pas nous reprocher de ne pas avoir mouillé nos chemises et de ne pas avoir fait campagne »rétorque un conseiller de l’exécutif.
La situation est tout autre du côté de Jordan Bardella, auréolé de bons scores dans les enquêtes d’opinion. « On ne se laisse pas déstabiliser par ces chiffres, même s’ils nous rendent heureux »tempère la députée RN Edwige Diaz. Nous avons tous été mis à l’épreuve par les élections régionales de 2021, avec des sondages nous montrant vainqueurs dans plusieurs régions. » Au soir du second tour, le parti d’extrême droite n’en avait remporté aucun.
Trois ans plus tard, c’est donc avec prudence que Jordan Bardella s’avance pour croiser à nouveau le fer avec le Premier ministre. Au menu de ce nouveau concours figurent différents sujets issus de la campagne européenne, comme la guerre en Ukraine, l’écologie ou l’immigration. Le parti d’extrême droite veut aussi profiter de l’occasion pour aborder des sujets plus nationaux. Ce sera « tout d’abord la comparaison de notre projet et de leurs résultats, tant au niveau européen que national », explique Renaud Labaye, cadre RN. Les deux niveaux « sont imbriqués »il croit, à cause du « choix d’Emmanuel Macron » de demander à son Premier ministre de s’impliquer dans la campagne Européens.
Pour Jordan Bardella, « l’idée est de continuer à pallier deux faiblesses du RN », analyse Mathieu Gallard. La tête de liste doit donc « pour montrer qu’il est compétent sur le fond, alors que le bilan du parti et son bilan à Strasbourg sont critiqués, et pour montrer qu’il n’est pas europhobe, mais eurosceptique. » Selon l’enquêteur, « cela lui permettrait de maintenir sa base électorale mobilisée, tout en pouvant potentiellement attirer certains électeurs de la Reconquête ou des Républicains »deux partis en difficulté dans les sondages.
Il y a un autre défi de taille pour Jordan Bardella dans ce débat : prouver qu’il peut, à 28 ans, tenir tête à celui qui est actuellement installé à Matignon. Si son parti parvenait à l’emporter en 2027, le tandem formé avec Marine Le Pen ferait de lui le successeur de Gabriel Attal. « Aujourd’hui, c’est à lui de montrer qu’il traite d’égal à égal avec le parti présidentiel et avec le Premier ministre », souligne Bruno Cautres. Au point de se tailler un costume de candidat RN pour 2027 ?
« On ne sait pas où sera Marine Le Pen dans deux ans, mais il semble très difficile pour Jordan Bardella de lui ravir la direction avant 2027. En revanche, s’il est supérieur à 30%, cela aura une signification politique. » gigantesque. »
Bruno Cautres, politologuesur franceinfo
Les spécialistes relativisent en tout cas les effets possibles d’un tel débat sur les enquêtes d’opinion. « En dehors des primaires, qui sont des campagnes dans lesquelles les candidats sont idéologiquement proches et où la forme est plus importante, ces débats ne jouent franchement que très peu de rôle »assure Mathieu Gallard. « Il n’y a pas de débat miracle, mais ce sera un moment télévisuel important entre deux projets radicalement différents », souligne un conseiller de l’exécutif. Attention aux sorties de route à ce moment de la campagne, notamment pour Jordan Bardella. « Quand on est à ce point haut, il ne faut ni décevoir ni commettre d’erreurs au bout du chemin. Il y a le risque de la phrase à l’emporte-pièce, de la déclaration sur laquelle tout le monde va se focaliser dans les prochains jours »conclut le politologue Bruno Cautres.