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Entre femmes de prisonniers, un soutien « décisif » pour faire face à l’absence de leurs maris

« Mentir est épuisant, c’est trop de travail. » Pour échapper au poids du regard des autres, Alma et Mina, deux épouses de prisonniers, choisissent de s’ouvrir l’une à l’autre dans le film. Le Prisonnier de Bordeauxréalisé par Patricia Mazuy et qui sort en salles mercredi 28 août. Leur quotidien, centré autour du parloir et de cette amitié naissante, fait écho à celui de milliers de femmes, tiraillées entre leurs responsabilités et la nécessité de soutenir leur mari.

Ignorées, parfois même stigmatisées, certaines d’entre elles brisent leur solitude en s’associant. C’est le cas de Kalyana*, Elodie*, Christelle*, Marie* et Désirée*, qui ont fait l’expérience des apports de cette communauté informelle, entre conseils, soutiens ou confidences nocturnes. Elles y trouvent une identité, loin de celle imposée par les murs de la prison, où elles ne sont plus que l’ombre de leurs maris.

« Il ne faut pas oublier que derrière chaque prisonnier, il y a des femmes. » Kalyana*, 39 ans, n’utilise pas le pluriel par hasard. En 2012, lorsque son ex-mari a été condamné à dix ans de prison, la violence du système carcéral s’est accompagnée d’une lourde solitude. À 27 ans, enceinte de trois mois, elle a vu sa famille l’abandonner, incapable d’accepter sa décision de soutenir le père de ses enfants, derrière les barreaux. La jeune femme découvre alors un groupe Facebook réunissant une cinquantaine de compagnons de prisonniers. D’emblée, cet espace devient un précieux refuge. « Les filles de ce groupe m’ont tout appris »elle respire, pleine de gratitude.

« Quand je me sentais déprimé, j’envoyais des messages sur le groupe Facebook. Et quelques minutes plus tard, une fille me contactait. »

Kalyana*, 39 ans, épouse d’un prisonnier

à franceinfo

Ce réseau lui permet d’affronter les contraintes administratives du monde carcéral et, surtout, atténue son isolement. Le jour de son accouchement, la jeune femme croit pouvoir affronter seule cette épreuve, jusqu’à ce qu’ « Trente filles débarquent à l’improviste avec des cadeaux dans les bras. » Pour elle, cela « un élan de solidarité de la part des femmes qui(elle ne l’avait pas) « Je ne me suis jamais rencontré » marque la transition du virtuel au réel.

Douze ans plus tard, Kalyana* est toujours amoureuse d’un détenu, mais ce n’est plus le père de ses enfants qu’elle visite au parloir. Après sa libération, elle a retrouvé son ancien compagnon de cellule, condamné à 18 ans de prison. Immergée dans le monde carcéral depuis plus d’une décennie, elle se fait désormais un devoir d’accompagner les nouveaux arrivants, notamment via son propre groupe Facebook. Ce qu’elle chérit le plus dans ce lien entre les femmes de prisonniers ? L’absence totale de jugement. « Quand on sort du parloir avec du noir sur le visage, on s’en fiche parce qu’on est ensemble, dans le même pétrin »elle sourit.

Elodie*, 37 ans, a également pu compter sur « copains de lutte » En 2019, elle entame une relation avec un homme incarcéré dans la prison où elle travaille. Sa vie est entourée de secret jusqu’à ce que la femme d’un détenu l’aide à livrer un colis de Noël à son partenaire.

Parallèlement, la jeune femme est devenue adepte de plusieurs groupes Facebook dédiés aux partenaires de prisonniers.  » GGrâce à eux, j’ai compris qu’il y a des moments où tous les prisonniers perdent la tête en même temps, que ce n’était pas moi le problème… »soupire Elodie*, qui se souvient s’être résignée au fil des discussions à la « bipolarité » ambiance des relations en prison. « À cette époque, ces femmes étaient les seules à parler ma langue et, mSans eux, je serais tombé en dépression »elle assure. Cependant, Elodie* cache ces nouvelles amitiés à son partenaire, craignant son « paranoïa »Elle finit par lui avouer son amour après sa libération, mais il réagit mal, de manière possessive.

« Savoir que j’avais partagé un « morceau de prison » avec quelqu’un d’autre était insupportable pour lui. »

Elodie*, 37 ans, ex-femme d’un détenu

à franceinfo

Désormais séparée de cet homme, Elodie* garde un goût amer de cette année écoulée, le souvenir de l’obscurité du monde carcéral, qu’elle a depuis quitté, est encore vif. « Les femmes tentent de faire la lumière sur ce sujet, mais elles sont recherchées, humiliées, jugées »dénonce Elodie*, qui voit dans leur solidarité une bouée de sauvetage essentielle, sans laquelle ils finiraient probablement par se noyer.

Cette bouée de sauvetage n’est pas seulement émotionnelle : elle s’avère aussi un outil de transmission déterminant. Lorsqu’un homme est placé en détention, sa femme se retrouve sans mode d’emploi pour s’orienter dans ce monde inconnu. Elle doit apprendre seule le vocabulaire et les codes du milieu carcéral, souvent en se tournant vers ceux qui ont déjà vécu cette perte de repères.

« Dans la maison d’arrêt, on ne nous dit rien ! »proteste Christelle*, 49 ans, « tombé des nuages ​​» après s’être vu refuser une serviette, « alors qu’on m’a dit que je pouvais en apporter, sans qu’on me dise la taille… » De tels détails logistiques peuvent « ruine » une journée entière et surtout, « moral » de ces novices. « Quand je suis arrivé pour la première fois dans un groupe Facebook, je ne savais pas ce qu’était un parloir, une cabine téléphonique, un permis de visite ou une cantine. »ajoute Désirée*, 34 ans, pour qui le réseau de soutien a représenté « un véritable accompagnement dans les démarches administratives ».

René, responsable de la maison Ti Tomm, dédiée à l’accueil des familles de détenus au centre pénitentiaire de Rennes-Vezi (Ille-et-Vilaine), considère ce lien « déterminant » : « Ils sont tous dans le même bateau, ils sont les mieux placés pour se donner des conseils ! » Par exemple, il mentionne « Le temps des colis de Noël » au cours de laquelle, chaque année, les anciens enseignent aux nouveaux les contraintes très spécifiques de cette tradition pour « qu’ils ne soient pas refusés par le tuteur ». « C’est de l’amour pur, du sucre pur ! »ajoute Jean-Marc, responsable d’un centre d’accueil pour familles de détenus à Toul et Ecrouves (Meurthe-et-Moselle).

« Il n’y a aucune jalousie entre eux, qu’ils soient médecins ou voyageurs. Ils sont unis par quelque chose de plus fort ! »

Jean-Marc, responsable d’un centre d’accueil pour familles de détenus

à franceinfo

La bénévole se souvient aussi de cette mère « avec un gros problème d’hygiène »qui a été enseigné par les autres femmes de prisonniers « comment mettre une couche », ou bien, de « cette femme souffrant d’analphabétisme »pour qui le voyage en train était un véritable casse-tête, jusqu’à ce qu’un autre « propose de l’accompagner ». Il y a aussi « beaucoup de covoiturage » qui permettent de gagner du temps, une ressource précieuse pour ces femmes qui doivent jongler entre enfants, travail et visites au parloir. Paradoxalement, « Le mot que j’entends le plus souvent chez eux, c’est « j’attends » : le train, le parloir, leur lettre… »Jean-Marc le souligne. Mais derrière cette patience forcée, teintée de frustration, se cache une « une solidarité incroyable ».

Cependant, tout n’est pas rose et « certaines précautions doivent être prises ». Par exemple, Jean-Marc s’interdit de « savoir quelque chose » sur les motifs de la condamnation. « Ce n’est pas le problème. »Et si c’est le cas, c’est souvent au détriment de la femme du détenu, comme l’a vécu Marie*, 59 ans, en couple avec un homme incarcéré depuis 2012. « J’ai entendu une fois des commentaires de la part des dames derrière moi alors que je donnais le nom de mon partenaire au parloir. »rapporte la femme qui a appris plus tard que le casier judiciaire de son partenaire avait été révélé aux autres prisonniers par un gardien.

« Clairement, les partenaires de ces dames leur avaient dévoilé le profil de mon partenaire et, à partir de là, j’ai été extrêmement stigmatisée… »

Marie*, 59 ans, épouse d’un détenu

à franceinfo

« Je ne suis pas revenu pendant trois mois », soupire Marie, obligée de faire le deuil d’une communauté dans laquelle elle pensait ne pas être jugée. « J’ai été craché dessus par des femmes qui étaient dans le même bateau que moi »dit-elle amèrement.

A l’autre extrême, il arrive aussi que la solidarité et le non-jugement soient inconditionnels, au point d’en devenir problématiques. Jean-Louis Daumas, ancien directeur d’établissement pénitentiaire, en a été le témoin dans le cadre de son travail actuel d’inspecteur de justice. « Femmes radicalisées qui gravitent autour du mouvement terroriste de leur mari, cela pose un problème »il prévient, témoin « deux fois » de «Consultations sur les parkings des prisons» entre épouses de prisonniers « sous surveillance » qui s’entraident pour mettre le voile, avant de retrouver leur mari au parloir.

Ces séquences ne reflètent cependant en rien la mémoire que Jean-Louis Daumas souhaite garder de ces femmes, qui ont « énormément marqué » ses décennies à la tête d’établissements pénitentiaires. « Le parloir reste très genré »dit-il, rappelant les files d’attente à l’entrée des prisons « composé de mères, de sœurs, d’épouses et même d’ex-partenaires ».

L’étude Rendre visite à un proche : le rôle central des femmes dans le maintien des liens familiaux en détention (PDF), menée en 2021 par Sofia El Atifi et Hadrien Le Mer, met en évidence ces inégalités de genre liées à l’implication des proches dans le rituel de visite. « Les épouses se distinguent nettement des autres membres de la famille et sont de loin celles qui rendent le plus souvent visite aux autres. »note cette recherche statistique. « Ce n’est pas anodin, nous sommes dans une société où le patriarcat étant ce qu’il est, les hommes sont généralement ingrats et les femmes sont généralement dévouées »commente l’ancien directeur de l’établissement.

« Si nous parvenons à rétablir du lien social dans les prisons, malgré les suicides, les violences et la surpopulation carcérale, c’est aussi grâce à ces femmes. »

Jean-Louis Daumas, ancien directeur de l’établissement pénitentiaire

à franceinfo

Cette dévotion se manifeste envers leurs maris, mais pas seulement. A plusieurs reprises, il a été témoin de cette même scène de deux femmes dans la salle d’attente, l’une se tournant vers l’autre, lui tendant son bébé et disant : « Tu ne peux pas la garder pour moi ? J’ai vraiment besoin de voir mon homme pendant une heure… » Pas une seule fois Jean-Louis n’a entendu de refus : « L’autre savait mieux que quiconque ce que cela signifiait, une heure seule au parloir avec son mari ! »

A la veille de la retraite, cet homme qui a consacré sa vie au monde carcéral garde un souvenir ému de ces femmes à qui « Les prisons doivent beaucoup. » « Ce que j’ai compris de leurs conversations, c’est la misère affective et sociale, la détresse, la solitude qui transparaît, mais aussi et surtout, tellement d’humanité. »

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes concernées.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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