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entre coups de gueule et gueule de bois, les dix temps forts des «Apostrophes» – Libération

Les panaches de fumée de pipe chatouillaient les narines du public tandis qu’à 50 centimètres de là, les invités deApostrophes refait le monde. De 1975 à 1990, l’émission littéraire diffusée sur Antenne 2 réunit autour de sa table Marguerite Yourcenar, Léopold Sédar Senghor, Philippe Sollers… Le principe : quatre ou cinq écrivains réunis, parfois en associations électriques, et qui confrontent ensemble leurs idées, leur prose. Et leur ego. Le tout sous la houlette d’un présentateur à l’air faussement candide, Bernard Pivot. Le journaliste est décédé ce lundi 6 mai, il laisse derrière lui de grands moments télévisuels. Revoir.

7 février 1975, François Mitterrand jette de l’encre

Il était à l’époque premier secrétaire du Parti socialiste, l’émission datait d’à peine un mois. Sur le plateau de Bernard Pivot, c’est l’écrivain François Mitterrand, venu parler de son live la paille et le grain, qui répand son amour des mots. Le futur président de la République revient sur les vers de sa jeunesse bercés par la poésie, proclamant son amour pour la littérature. Pourrait-il abandonner la politique pour vivre de sa plume ? « Si oui, pourquoi pas. Mais finalement cela dépend de nombreux éléments dont je ne suis pas le seul maître. avance celui que l’on surnommera le Sphinx.

14 mars 1975, Georges Brassens, sans uniforme

Associer le général le plus décoré de l’armée française du XXe siècle au libertaire de la chanson était un pari. C’est pourtant exactement ce que fait Pivot en recevant, à sa droite, le général Bigeard et, à sa gauche, Georges Brassens. L’occasion pour le musicien de revenir aux racines de son antimilitarisme. « Dès mon plus jeune âge, je détestais la discipline, je détestais recevoir des ordres et je détestais aussi en donner. » Il reconnaît dans la Marseillaise une mélodie agréable. « Mais des propos très discutables » il nuance.

11 avril 1975, Alexandre Soljenitsyne au goulag

Le moment est historique. Sur les écrans de télévision, Bernard Pivot a réussi à faire revenir le dissident russe Alexandre Soljenitsyne. L’auteur de l’archipel du Goulag, expulsé d’URSS, revient sans exubérance sur la genèse de son travail au goulag. Il raconte comment il a appris « par coeur » ses livres écrits en détention tout en précisant que cela n’a rien d’extraordinaire. Selon Bernard Pivot, l’URSS aurait même tenté de censurer l’émission en demandant au président d’Antenne 2, Marcel Jullian, de l’annuler.

30 mai 1975, Nabokov, le nez dans les notes et le whisky

« Un peu de thé, M. Nabokov ? Habile, Bernard Pivot s’adresse à plusieurs reprises à son invité, Vladimir Nabokov. Pourtant, contrairement aux apparences, dans la théière, il n’y a pas de camomille, mais du whisky. Et la boisson pour l’auteur de Lolita n’est pas le seul trompe-l’œil du spectacle. Sur la table d’hôtes, une pile de livres est éparpillée. Une façon de cacher les notes de l’écrivain. Ce dernier avait écrit toutes ses réponses à l’avance, feignant presque parfaitement l’hésitation avant de répondre au journaliste.

5 mars 1976, Mohamed Ali, accro au racisme

Sur le plateau, les invités ne portaient pas de gants. Face à Mohamed Ali, venu parler de son livre Je suis un roi, l’un d’eux dit : « Pensez-vous toujours qu’il est vraiment nécessaire pour votre image de marque de se montrer, d’agir comme un clown ? Connu pour son sens de la répartie, le boxeur américain poursuit avec une diatribe : «Cette vantardise dérange plus les Blancs que les Noirs» Il commence. A Paris, en Angleterre, aux Etats-Unis, il dénonce, « Les Noirs ont l’impression d’être traités comme des animaux ». Alors à leurs yeux, selon lui, il représente un « vengeance ».

22 septembre 1978, Charles Bukowski, petit licenciement et revoir

Maîtriser une sortie de plateau s’apprend. Charles Bukowski a tenté de le faire en chancelant. Tandis qu’autour de la table, les discussions (sexistes pour le moins) se poursuivent, l’auteur ivre se lève, son dernier verre de vin visiblement jeté sur le chemin du retour. Entre propos incohérents et caresses sur le genou de Catherine Paysan, il est accompagné vers la sortie pendant que Pivot tente une blague : « Finalement, cet écrivain américain ne tient pas très bien la bouteille ?

29 octobre 1982, Pierre Bourdieu, ce que parler peut vraiment signifier

La rencontre est improbable, le moment drôle. Ce jour-là, Pierre Bourdieu rencontre l’écrivain Auguste Le Breton et le compositeur Pierre Perret. Aussi brillant que soit le sociologue, qui a déjà lu Bourdieu, sait que déchiffrer le style littéraire de l’intellectuel représente un défi à chaque virgule. Avouant ne pas avoir lu son ouvrage, les deux autres invités n’hésitent pas à le lui faire remarquer. Avec son sens de la formule, Pierre Perret plaisante : « Il faut avoir du talent pour fouiller dans ses livres. » Le livre en question ? Ce que signifie parler.

28 septembre 1984, Marguerite Duras, ce « drôle de truc » qu’écrit

Outre les scandales, les rires et les beuveries, Apostrophes, ce sont aussi des moments de poésie, où transparaît le magnétisme des auteurs. Marguerite Duras vient de sortir un nouvel ouvrage, l’amant, quand devant Bernard Pivot elle parle de ce qu’est l’écriture. « C’est une drôle de chose, elle commence. Pourquoi dupliquons-nous cela, nous dupliquons-nous avec une autre vision de la réalité ? Elle avoue en avoir déjà beaucoup parlé « croire que je sais » lors d’entretiens, de discussions, d’entretiens. Humblement, elle avoue : « Je ne sais pas ce qu’est l’écriture, je ne sais pas. » La séquence sera rediffusée lorsque l’auteur remportera le prix Goncourt un mois plus tard.

26 décembre 1986, Serge Gainsbourg et les pauvres salopards comme lui

Le chant, un art mineur ? Pour Serge Gainsbourg, en tout cas, cela ne fait aucun doute. Interrogé sur son autre passion, la peinture, l’auteur-compositeur la maintient, arguant qu’elle ne nécessite pas « initiation ». Un argument inaudible pour Guy Béart qui réfute : « Non, l’art mineur n’existe pas et ça ne sert à rien de faire des chansons en disant que c’est mineur, sinon je ne serais pas là. » Les esprits s’échauffent quelques instants et, entre deux nuages ​​de cigarettes, l’auteur de Javanais ping : « Vous prenez de l’argent à de pauvres salopards comme moi. »

2 mars 1990, Denise Bombardier seule contre Matzneff

L’ambiance devant la caméra est pleine de rires. Nous rions et grimacons au récit de Gabriel Matzneff sur ses conquêtes adolescentes. Bernard Pivot plaisante en appelant l’auteur Mes amours brisées de « collectionneur de chats ». Seule la romancière canadienne Denise Bombardier contre-attaque : « M. Matzneff me semble pitoyable », elle a lâché. La littérature, dénonce-t-elle, sert ici « alibi pour ce genre de confiance ». « Comment ces petites filles s’en sortent-elles après coup ? elle interroge. Une question à laquelle on verra la réponse en 2019 avec la publication, par Vanessa Springora, du livre le consentement dans lequel elle raconte sa liaison avec l’auteur, alors âgé de 50 ans et elle âgée de 14 ans.

Cammile Bussière

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