ENQUÊTE. Pédophilie, prostitution, guet-apens… « On ne peut plus sortir de cette zone de non-droit », interpelle une victime du site Coco
Coco.gg est associé à de nombreuses affaires sordides, dont la dernière en date est celle de l’attentat mortel contre le jeune Philippe à Grande-Synthe. Pourtant, près de 20 ans après son lancement, elle n’a jamais vraiment été inquiétée. Notre journaliste a testé la simplicité du mécanisme.
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Pendant cinq jours, notre reporter est devenu l’un des 850 000 visiteurs mensuels du site Coco. Pas de modération ni d’inscription préalable. L’interdiction faite aux mineurs n’y est pas respectée. Notre reporter est donc devenu CRICA18, un mineur de 15 ans originaire de Seine-et-Marne. En cinq jours, le CRICA18 a reçu une cinquantaine de photos et vidéos webcam d’hommes se masturbant, d’incitations à la prostitution et sept propositions de rencontres physiques avec des adultes. Dimanche encore, Pierre, consultant de 59 ans habitant Melun, a exigé avant de nous rencontrer, de nous voir, de nous parler via l’application Snapchat.
Pourtant, près de 20 ans après son lancement, le site Coco n’a jamais vraiment été inquiété. Le responsable de ce chat en ligne est un ingénieur français varois de 44 ans, Isaac Steidl, selon le registre du commerce. Sa dernière société, Zenco, a été liquidée l’été dernier. Mais concernant Coco.gg, le dernier chiffre d’affaires connu atteint 680 000 euros. Et depuis, le site a doublé son trafic. En tentant de joindre par téléphone Isaac Steidl et un ancien associé, nous avons vite compris que franceinfo n’était pas le bienvenu.
Des infiltrations régulières de gendarmes
Outre les affaires de pédophilie, de prostitution ou de viol, le site est souvent impliqué dans des affaires de pièges. La police intervient régulièrement dans ce type d’affaire. Il y a huit jours, la gendarmerie du Doubs a interpellé deux adolescents âgés de 16 et 17 ans, sur le parking d’un supermarché de Besançon. Ils étaient sur le point de voler un utilisateur de Coco. Celui-ci, intéressé par la prostitution proposée sur ce site, n’en était pas à son premier guet-apens. Comme le raconte le lieutenant-colonel Damien Mathieu : « La personne s’est rendue au lieu de rendez-vous, sur un parking un peu à l’écart d’un quartier résidentielil dit. Et à ce moment-là, il a été attaqué par un individu sorti du bois avec une sorte de marteau. » C’est « violences crapuleuses »en vue de « voler à la victime son téléphone, son moyen de paiement ou encore son véhicule », alerte l’officier. Pour lui, c’est un site « très dangereux ».
« C’est un vecteur de communication qu’il faut vraiment éviter et nous n’hésitons pas, lorsque nous le pouvons, à arrêter les auteurs et à les traduire en justice. »
Lieutenant-colonel Damien Mathieusur franceinfo
En effet, le site Coco.gg est bien connu de la gendarmerie. Des agents spécialisés sont autorisés à participer au chat sous un pseudonyme, pour traquer la pédopornographie et la prostitution en ligne. Une source judiciaire nous confirme également que des trafics de drogue et d’armes ont été signalés sur ce site, dont les messages sont supprimés au bout de quelques heures.
Le vide juridique, « une légende urbaine »
Toutefois, la fermeture de Coco.gg n’est pas à l’ordre du jour. Si les auteurs de délits, voire de crimes, qui l’utilisent peuvent être poursuivis, le site continue aujourd’hui de générer de l’argent, notamment avec ses abonnements dits « Premium ». Ces dernières années, pour rester hors de portée, Coco.fr est devenu Coco.gg, un nom de domaine enregistré à Guernesey, une île britannique mais, selon nos informations, ce sont des serveurs belges, dans l’Union européenne, qui hébergent Coco.
« Juridiquement, les fermer, c’est compliquéexplique un cyberpolicier du ministère de l’Intérieur, ils ne sont pas hébergés en France. Ils ne publient pas de contenu. « Il existe des moyens d’agir contre ce type de sites » répond l’avocat spécialisé en droit de l’internet, Alexandre Archambault. « C’est une légende urbaine, il n’y a pas de vide juridique sur internet »l’avocat se met en colère.
« Nous pouvons tout à fait intervenir, à condition d’avoir une activité qui opère depuis l’Union européenne, ce qui semble être le cas »
Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit d’Internetfranceinfo
Il cite notamment le « Loi française sur la confiance numérique » et le DSA (le Digital Services Act), adopté l’été dernier par l’Union européenne. En attendant, il déplore : « S’il n’y a pas de procédure légale, les intermédiaires techniques ne peuvent pas agir pour surveiller ce qui se passe en ligne. Cela a encore été rappelé très récemment par un arrêt de la Cour de cassation du 27 mars.»
Appel à la fermeture du site
Caroline Darian est la fille de Dominique, un homme qui, pendant 10 ans, a drogué et fait violer la mère de la jeune femme par des dizaines d’utilisateurs de Coco. « Dans l’affaire qui concerne mon père et ma mèreelle raconte, ce qui a permis à mon père d’entrer en contact avec tous ces dérèglements sexuels et prédateurs – plus de 80 particuliers – c’est le site Coco. Elle décrit l’existence sur le site de « salons » pour aborder des sujets précis, tous plus controversés les uns que les autres. Parmi ces salons, celui qui concernait sa mère s’appelait « Sans qu’il le sache ». « On retrouve dans les chats certains commentaires qui expliquent concrètement comment violer une femme à son insu, avec de la drogue, explique Caroline Darian. Ce site est la plateforme qui a permis à plus de 80 personnes de prendre contact et de bénéficier de ce sordide protocole. »
Caroline Darian ne comprend pas pourquoi le site n’est pas mieux surveillé malgré la hausse des cas. Un site qui, selon elle, « accélère, en tout cas optimise, la connexion entre prédateurs et prédateurs : Quelles sont les modalités qui ont été mises en place depuis la sortie de toutes ces affaires ? ? Aucunelle se met en colère. Les législateurs devraient agir, à commencer par le ministre de la Justice. Aujourd’hui, à l’époque dans laquelle nous vivons, je pense que nous ne pouvons plus sortir de cette zone d’anarchie. Qu’est-ce qu’on attend ? »
« Il n’y a pas de modération. Le(s) propriétaire(s) de ce site en sont parfaitement conscients. Ils jouent avec une forme de liberté sur Internet car aujourd’hui, ce n’est absolument pas légiféré. »
Caroline Darian, victime collatérale de Coco et présidente de l’association « M’dors pas »sur franceinfo
Combien de temps avant que l’appel de Caroline Darian à la fermeture du site Coco soit suivi d’effet ? Une fermeture dont l’efficacité reste à prouver tant les sites renaissent si vite de leurs cendres. Une donnée pourrait encore accélérer la procédure : Coco.gg ne respecte pas une de ses obligations légales, celle de transmettre à la justice les données techniques – les adresses IP – des suspects. Il s’agit d’un échec qui expose, mais qui arrange également, les utilisateurs les plus dangereux de Coco.