ENQUÊTE. Nos vieux téléphones portables, ces mines d’or qui sommeillent au fond de nos tiroirs
« Nos téléphones, que deviennent-ils ? Donc aucune idée, » avoue, confuse, Christelle, Rennaise de 48 ans. « Je n’y ai jamais vraiment pensé, concède Julien, étudiant de 20 ans. Mon vieux téléphone portable doit traîner chez moi. Enfin je crois. »
La France compte près de 53 millions d’utilisateurs de smartphones. Mais quand on évoque la fin de vie de leurs équipements avec certains habitants du centre-ville de Rennes, on reçoit des froncements de sourcils et des expressions interrogatrices. « Je ne sais même pas exactement ce qu’il y a dedans » reconnaît Alice, 34 ans. C’est précisément tout le problème.
Le téléphone, la caverne d’Ali Baba
Avant même de parler de ce qui arrive à nos téléphones, parlons de ce qu’ils contiennent. « On y trouve une cinquantaine de métaux différents, dont certains sont très rares. » explique Erwann Fangeat, coordinateur technique au service sobriété numérique de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Du nickel dans le micro ; cobalt et aluminium dans la batterie ; des « terres rares » (famille de métaux) pour le vibreur et la caméra ; de l’or, de l’argent ou encore du cuivre dans les composants électroniques… Une véritable caverne d’Ali Baba.
« Le problème de ces composants, c’est qu’on en a besoin dans de nombreux secteurs, notamment ceux de la transition écologique, souligne l’expert. Vous retrouverez les mêmes métaux dans une éolienne, une batterie de voiture électrique et un smartphone. » Sauf que les réserves ne sont pas infinies, loin de là. « Nous avons des durées de disponibilité qui varient de 30 à 100 ans selon les catégories. Donc un risque de pénurie dans les années à venir. »
Ces métaux représentent également un enjeu stratégique majeur. « La plupart des dépôts sont détenus par une poignée de pays, dont la majorité est la Chine. Dans le cas des terres rares, essentielles à nos téléphones, les Chinois détiennent environ 90 % de la production. S’ils ferment les vannes, nous nous exposons à des conflits géopolitiques majeurs. »
Des affrontements ont déjà lieu dans certains pays, comme en République démocratique du Congo, principal fournisseur de cobalt : « On parle de 40 000 enfants qui travaillent dans les mines, et de dizaines de milliers de morts, liés à cette problématique… »
Enfin, il y a l’impact écologique de l’extraction de ces minéraux. « Émissions de gaz à effet de serre, rejets de produits chimiques… Les dégâts causés à l’environnement et aux populations locales sont extrêmement importants », confirme Erwann Fangeat.
Réparer, revaloriser, recycler
Mais alors, que deviennent ces précieux appareils, aux composants si stratégiques, quand on n’en veut plus ? « Lorsqu’ils ne finissent pas dans les poubelles grises pour être incinérés, ils sont souvent stockés dans des tiroirs. » regrette l’expert. Jusqu’à 113 millions de smartphones inutilisés pourraient dormir chez les Français. Attachement sentimental, oubli, téléphone de rechange en cas de casse… Les raisons ne manquent pas pour cette mauvaise habitude. « Mais ces appareils pourraient avoir une seconde vie, être revalorisés », insiste Erwann Fangeat.
Comment faire ? Quels bons comportements adopter ? « Si votre téléphone tombe en panne, pensez d’abord à le réparer. » Le gouvernement a notamment mis en place une « prime à la réparation », applicable automatiquement aux professionnels labellisés QualiRépar. Et les consommateurs peuvent, lors de leur achat, fonder leur choix sur l’indice de réparabilité devenu obligatoire.
« Si votre téléphone fonctionne toujours mais que vous souhaitez vraiment le changer, pensez à le revendre ou à en faire un don, à votre entourage ou à des structures solidaires comme des centres de ressources. » Enfin, si l’appareil ne fonctionne plus, mieux vaut éviter la poubelle ou le tiroir. «Mettez-le dans les poubelles de collecte que l’on trouve dans tous les supermarchés, rapportez-le à votre opérateur ou à une déchetterie. Il sera ensuite collecté, reconditionné ou recyclé via le système réglementaire. »
Le site jedonnemontelephone.fr propose également la livraison par courrier prépayé si nécessaire. « Nous sommes aujourd’hui capables de recycler 75 % des smartphones, dont une dizaine de métaux rares sur cinquante. »
« Prolonger la durée de vie de nos smartphones »
Le recyclage est-il la solution miracle ? » Non, décide l’expert. Parce que les besoins augmentent plus que ce que nous pouvons recycler. Que doit être la dernière solution. Le plus important est de prolonger la durée de vie de nos téléphones. »
Quand on regarde le cycle de vie d’un smartphone, la phase de fabrication est en effet la plus désastreuse pour l’environnement. « Avant d’arriver chez vous, entre extraction, production répartie entre des dizaines de sous-traitants, assemblage et transport, votre téléphone a déjà fait quatre fois le tour du monde… Alors moins vous consommez, plus vous réduisez votre impact environnemental. »
Face à des consommateurs devenus exigeants sur ces critères, les industriels (Apple, Samsung, Xiaomi, Huawei…) tentent de « verdir » à un rythme rapide, chacun à sa manière : recours aux énergies renouvelables, écologisation conception, innovations, etc. « La vérité est que les fabricants n’agissent que lorsqu’ils y sont contraints. » nuance l’expert.
La loi nationale Agec, mise en œuvre en 2020 et pionnière en matière de lutte contre le gaspillage, couplée à la réglementation européenne, est pour beaucoup dans les avancées récentes. « Mais contrairement à la plupart des secteurs, le secteur numérique ne suit pas du tout la trajectoire qu’il devrait suivre, notamment celle de l’Accord de Paris. » analyse Erwann Fangeat.
Au cœur du problème : « L’obsolescence marketing, organisée par les constructeurs pour que les consommateurs renouvellent sans cesse leurs équipements. » Chaque année, près de 1,5 milliard de smartphones sont vendus dans le monde.