Nouvelles

ENQUÊTE FRANCETV : Comment l’Azerbaïdjan mène une campagne de repeuplement au Haut-Karabakh

Un an après l’offensive dans cette enclave disputée, Les Révélateurs retrace les manœuvres azerbaïdjanaises pour effacer la présence arménienne et repeupler cette enclave désertée depuis 2023.

Drapeaux de la République d’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabakh) piétinés, jetés et remplacés par des soldats azerbaïdjanais. La symbolique est forte, elle vise à affirmer que l’enclave est désormais passée aux mains des vainqueurs.

L’image n’est pas isolée. Un an après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh, ce territoire séparatiste disputé depuis 35 ans à l’Arménie, Les Révélateurs ont mené l’enquête. Grâce aux images satellites et aux réseaux sociaux, ils ont retracé plusieurs mois de manœuvres visant deux objectifs simultanés : effacer la présence arménienne et repeupler l’enclave désertée depuis plusieurs mois.

Dans les jours qui ont suivi l’incursion terrestre de l’Azerbaïdjan le 19 septembre 2023, des images de panneaux routiers renversés, arrachés par les forces armées entrant dans l’enclave, ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux. Les noms des villages, auparavant écrits en arménien et en russe, ont été remplacés par leurs traductions en azerbaïdjanais. Au fil des mois, les visiteurs de passage posent fièrement devant ces nouveaux panneaux, allant parfois jusqu’à piétiner leur ancienne version en arménien.

Mais l’Azerbaïdjan va pousser encore plus loin sa stratégie d’effacement. Début octobre, le pays a réédité une carte du Haut-Karabakh, en y ajoutant une rue portant le nom d’Enver Pacha, considéré comme l’un des principaux responsables du génocide arménien. Cet épisode est mentionné dans le rapport d’audience publique opposant les deux pays le 12 octobre 2023 devant la Cour internationale de justice.

Cette nouvelle carte du territoire, déjà en préparation en 2022 (archives ici )pourrait être consulté sur la plateforme de cartographie collaborative OpenStreetMap (OSM). Depuis plusieurs années, les utilisateurs travaillent méticuleusement pour remplacer les noms des rues, des routes, des frontières, dans la région, en azéri.

Par exemple, nous avons trouvé un utilisateur qui semble s’intéresser de près à la région du Haut-Karabakh, avec plus de 8 500 modifications à son actif depuis 2016. L’ampleur de ses ajouts ou suppressions de « fausses frontières » (fausse frontière) ou « faux lieux » (faux endroit) est observé sur son profil et en dit long sur cette question toponymique.

L’effacement de la présence arménienne au Haut-Karabakh se manifeste également par des destructions symboliques, notamment à Stepanakert, la principale ville de la région, rebaptisée Khankendi par les Azerbaïdjanais.

Quelques jours après la prise de la ville par les forces azerbaïdjanaises, la croix des télécommunications qui dominait la ville a été brisée en deux et laissée à l’abandon comme symbole.

Visualisation par curseur photo

En décembre 2023, le stade de football a lui aussi connu une métamorphose. Les couleurs de l’Artsakh ont disparu des tribunes et ont été remplacées par du bleu. Un slogan écrit en lettres géantes : «Le Karabakh est azerbaïdjanais »Le stade de l’Olympiakos apparaît désormais dans les tribunes. Visible du ciel, il rappelle à tous le nouveau statut de la région. Des vidéos montrent le président Aliyev, venu en personne inaugurer le stade flambant neuf, célébrant la gloire du pays avec fanfare, drapeaux et chants patriotiques.

Visualisation par curseur photo

A une centaine de mètres du stade, sur l’ancienne place de la Victoire, au cœur de la ville, il ne reste plus aucune trace du passé arménien. La Banque d’Artsakh est devenue l’« hôtel Qarabağ ». C’est un symbole économique qui tombe. L’Assemblée nationale d’Artsakh a été rasée. Emblème politique de la région depuis trente ans, plusieurs vidéos confirment sa démolition. Le bâtiment voisin, qui abritait l’Union des combattants de la liberté d’Artsakh, a subi le même sort.

Visualisation par curseur photo

Selon les informations obtenues via Google Maps et confirmées par des vidéos de l’Agence de presse azerbaïdjanaise, un hôtel de luxe et un centre de congrès devraient y être construits. Une fois de plus, Aliyev s’est rendu sur place, cette fois pour poser symboliquement la première pierre de l’édifice.

Parallèlement à cette politique de reconstruction, la priorité est donnée au repeuplement de l’enclave désertée. A cet effet, le président a lancé une opération de séduction visant les jeunes étudiants azerbaïdjanais. Dans une vidéo de 50 minutes le 28 maiil prétend que « L c’estLes étudiants et leurs professeurs seront les premiers à s’installer à Khankendi. Au total, 1.200 élèves sont attendus à la rentrée 2024.

LE Le projet, soigneusement orchestré, est officiellement lancé en novembre 2023 par décret, deux mois après l’offensive éclair de l’armée. L’argent (10 millions de manats, soit environ 5,3 millions d’euros) sera débloqué en février et les recteurs et doyens nommés en mai.

Sur le compte Instagram de l’université, l’offre est alléchante : enseignement gratuit, bourse, logement et ordinateur gratuit. La campagne attire des étudiants, qui viennent de tout l’Azerbaïdjan et n’hésitent pas à partager leur enthousiasme sur les réseaux sociaux.

En moins d’un an, cette toute nouvelle université (située dans les anciens locaux rénovés de l’Université d’Artsakh) L’université se dit prête à recevoir ses premiers étudiants, à grand renfort de messages et de clips promotionnels, malgré le ballet de pelleteuses et d’ouvriers devant ses locaux observé quelques jours avant son ouverture. Sur les réseaux sociaux, les étudiants ont fait leurs premiers pas à l’université début septembre.

Une autre partie importante du repeuplement est la «Programme d’État pour le Grand Retour dans les Territoires Libérés « , signé par le Président le 16 novembre 2022. Ce programme ambitieux fait du retour des populations sur les terres reconquises l’une des cinq priorités nationales de l’Azerbaïdjan d’ici 2030. L’objectif est d’orchestrer la reconstruction et le développement des territoires reconquis après la guerre du Haut-Karabakh de 2020. Le programme prévoit tout d’abord le retour des familles qui vivaient dans ces régions à l’époque soviétique. D’ici 2026, 34 500 familles devraient être « réinstallées » au Haut-Karabakh.

Certains d’entre eux sont déjà revenus dans les territoires reconquis en 2023, comme la famille de Sariya Jafarova, mise en avant dans un rapport de l’agence de presse officielle du pays. Originaire de Khodjaly, elle est journaliste, mais aussi présidente de l’Union publique pour la promotion de la violence arménienne. Ses écrits sur le Haut-Karabakh dénoncent les atrocités commises par les Arméniens.

Le plan d’Aliev prévoit également la construction de dizaines de milliers de logements. À Aghdam, ville reconquise en 2020, les annonces immobilières fleurissent sur les réseaux sociaux. Ces offres visent à attirer de nouveaux habitants, plutôt que les familles qui y vivaient auparavant.

Les autorités ambitionnent d’attirer 100 000 habitants à Aghdam, ce qui en ferait la plus grande ville du Karabakh et la sixième plus grande ville d’Azerbaïdjan. Dans ces villes de l’enclave déserte, l’Azerbaïdjan veut construire des villes et des villages modernes basés sur les concepts de « ville intelligente » et de « village intelligent ». Une nouvelle vitrine qui cache les traces d’un passé conflictuel et territorial où seule une poignée d’habitants d’origine arménienne ont décidé de rester.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
Bouton retour en haut de la page