en Ukraine, les procès pour « collaboration » avec l’ennemi russe se comptent par milliers
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Plus de 7 000 affaires de ce type ont déjà été jugées par les tribunaux à travers le pays, et notamment dans la région de Kharkiv, partiellement occupée par la Russie en 2022.
Une petite salle d’audience, un matin d’avril. L’accusé Volodymyr Hrytsenko, 41 ans, se tient debout dans la vitrine. Trois policiers l’entourent. L’homme est poursuivi pour avoir donné des informations à l’ennemi depuis son village, à 100 km de Kharkiv. Des indications pour aider les renseignements russes à localiser l’emplacement d’un Himars, ce précieux lance-roquettes de l’armée ukrainienne. Il nie, d’une petite voix : « On m’accuse d’avoir aidé la Russie à peaufiner ses frappes sur des positions militaires mais je n’ai aucun lien avec tout ça. Je n’ai pas collaboré. Je suis un patriote ukrainien… »
Comme lui, en Ukraine, des milliers de civils ou responsables, accusés d’avoir sympathisé directement ou indirectement avec l’occupant russe, sont jugés pour collaboration. Plus de 7 000 dossiers ont déjà été traités devant les tribunaux dans tout le pays et notamment à l’Est, comme dans cette région de Kharkiv que la Russie a partiellement occupée pendant six mois, en 2022. Même si la guerre n’est pas finie, les Ukrainiens veulent d’agir vite et de juger leurs traîtres, même si le travail judiciaire n’est pas facile, sous la menace persistante des bombardements russes.
« Les renseignements russes continuent de recruter des Ukrainiens »
Personne n’est venu soutenir Volodymyr, qui est en détention provisoire depuis plusieurs mois. Pour « trahison d’État », Volodymyr risque au minimum 15 ans, voire la prison à vie. Il récuse donc, devant le juge, l’avocat d’office qui lui a été assigné… L’audience est levée. L’homme accusé de trahison a trouvé un nouvel avocat et reviendra à la fin du mois.
Des milliers de cas de collaboration de ce type ont été portés devant les tribunaux du pays ces derniers mois. « Plus de 900 déjà » Rien que dans la région de Kharkiv, explique Dmytro Tchubenko, porte-parole du procureur de la ville : « Ce n’est pas un chiffre définitif : chaque semaine, on découvre de nouveaux cas. Et les services secrets russes continuent de recruter des Ukrainiens.» Un degré de collaboration parfois très variable dans ces régions libérées : avoir aidé l’occupant à contourner un pont détruit, avoir mis un « j’aime » pour l’armée russe sur un réseau social ou encore avoir fourni de la nourriture à des soldats ennemis…
Les peines varient, mais les acquittements sont très rares. Olena Patsurkovska, avocate dans la région de Kharkiv, n’en a jamais obtenu pour ses clients. Elle raconte le cas de cet homme d’un village occupé, numéro 2 d’une entreprise fermée après le début de la guerre. Le patron s’enfuit alors pour libérer l’Ukraine : « Les salariés sont venus lui dire qu’ils n’avaient pas de quoi nourrir leurs enfants et qu’il fallait relancer l’entreprise, même sous occupation… Il a donc décidé de collaborer avec les Russes pour que les gens puissent gagner leur vie. » Lors de son procès, l’accusé a plaidé coupable, mais a expliqué qu’il n’avait pas le choix : « Il s’est retrouvé piégé ! D’un côté : l’occupant. Et de l’autre : la responsabilité de ses salariés, qui avaient besoin de manger. »
« Tout cela n’est pas sans conséquences »
Olena n’a pas pu le sauver de 15 ans de prison. Certains défenseurs des droits humains – comme l’ONG ukrainienne Zmina – s’inquiètent des verdicts, parfois jugés disproportionnés. Cet après-midi-là, au tribunal de l’est de Kharkiv, l’endroit était plongé dans l’obscurité : coupure de courant, menace de bombardement. Le deuxième procès de la journée ne pourra pas avoir lieu.
A la place, le juge Viktor Tcherniak dépose sur son bureau un dossier bleu : le registre des alertes aériennes.« Tu vois, aujourd’hui, ça a sonné à 3 heures du matin, puis presque toutes les demi-heures jusqu’à maintenant. Cela rend donc impossible le fonctionnement du tribunal., il chuchote. Salle d’audience évacuée, accusés mis à l’abri… Pas facile de rendre justice dans ces conditions.
Toutefois, selon le juge Viktor Tcherniak, la justice ukrainienne doit être rapide et exemplaire : « Ces cas de collaboration ne peuvent pas être simplement évoqués dans l’actualité. Les gens doivent comprendre que ces actes sont officiellement reconnus comme des crimes par l’État. Cela permet à ceux qui ont encore de mauvaises intentions contre l’Ukraine de savoir que tout cela n’est pas sans conséquences. »
Mais quel risque courent les Ukrainiens qui vivent toujours dans des territoires occupés depuis 10 ans par la Russie, comme la Crimée, s’ils étaient un jour libérés ? La législation est vague, admet sans enthousiasme le juge. Et pour les ONG, il s’agit même d’un nouveau modèle, qui reste entièrement à concevoir.
En Ukraine, les procès pour « collaboration » se comptent par milliers. Le reportage d’Agathe Mahuet et Yashar Fazylov