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En Ukraine, la fin de l’état de grâce pour Volodymyr Zelensky

Volodymyr Zelensky, ancien acteur et comédien élu président en 2019, est devenu un chef de guerre. Certains ont pu douter de sa capacité à remplir cette mission au moment de l’invasion russe de l’Ukraine. Zelensky a cependant su s’adapter rapidement à ce nouveau rôle, et a incarné cette figure du peuple ukrainien, à une époque où il avait besoin de se rassembler autour de symboles communs.

En restant en Ukraine et en refusant l’asile politique proposé par les États-Unis, en se rapprochant des pays occidentaux pour obtenir une aide militaire, logistique et financière dans la guerre contre la Russie, en se coordonnant avec son état-major… Le président ukrainien était un homme politique incontournable et un leader remarquable, pour une nation dont le sort pourrait sembler scellé après l’offensive russe du 24 février 2022.

Mais voilà : l’état de grâce est apparemment passé. Zelensky est désormais une figure de plus en plus contestée, tant en Ukraine qu’au sein de la communauté internationale, où son attitude à l’égard des chancelleries occidentales a pu irriter. Britanniques et Américains ont, à ce titre, fait part de leurs tensions à l’ancien acteur en juillet 2023.

Confronté à la difficulté d’obtenir une aide militaire significative et aux dissensions occidentales sur les positions à adopter face à la guerre russo-ukrainienne, le président ukrainien fait face à une période délicate. Les députés de l’opposition critiquent le sort qui leur est réservé, alors que Zelensky a déjà annoncé, en novembre 2023, la suspension des élections présidentielles qui devaient se tenir en 2024. C’était déjà le cas pour les élections législatives d’octobre 2023. S’il existe un consensus autour de ces décisions en Ukraine, Zelensky sait certainement qu’il doit être vigilant sur sa mission d’assurer l’unité d’un pays en guerre.

En Europe et aux Etats-Unis, le soutien à l’Ukraine remis en question

Au cours de la première année de la guerre en Ukraine, les rangs occidentaux se sont resserrés de manière assez spectaculaire. États-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni… Tous se sont réunis pour soutenir l’Ukraine. L’OTAN a connu une nouvelle croissance, alors que les critiques à son encontre montaient de toutes parts. Mais avec la prolongation progressive de la guerre, il est désormais plus compliqué de négocier une aide financière et militaire avec l’Occident, pourtant cruciale pour les troupes ukrainiennes engagées sur le front. L’échec de la contre-offensive de l’été 2023 en est la meilleure indication.

Zelensky doit également composer avec l’agenda politique de ses différents alliés, notamment américains. Donald Trump, impliqué dans l’élection présidentielle américaine, ne voit pas Zelensky comme un partenaire et l’Ukraine comme un dossier prioritaire. Les Républicains, dans l’ensemble, s’alignent sur les positions de leur favori. Début 2024, l’aide militaire à l’Ukraine reste suspendue au Congrès.

En Europe aussi, l’unité est menacée. La Hongrie et son Premier ministre Viktor Orbán entretiennent des relations étroites avec Moscou, notamment en matière énergétique. Budapest importe entre 80 et 85 % de son gaz de Russie. L’Union européenne (UE) avait accepté d’exempter la Hongrie des sanctions sur le gaz russe, après le début de l’invasion de l’Ukraine, de peur de voir le pays connaître des pénuries. Plus récemment, les 27 pays membres de l’UE ont dû négocier âprement avec la Hongrie pour proposer à Kiev une enveloppe de 50 milliards d’euros sur quatre ans. Orbán, qui souhaite un cessez-le-feu entre Moscou et Kiev, considère que l’aide apportée à l’Ukraine est un facteur d’escalade de la guerre.

De son côté, la Pologne, voisine de l’État ukrainien, reste un soutien clé de Kiev et soutient bon nombre de ses demandes (adhésion à l’UE et à l’OTAN, notamment). Mais un point de discorde majeur concerne la détérioration des relations entre les deux pays. Afin de continuer à apporter un soutien économique significatif à l’Ukraine, l’UE a accepté d’autoriser la mise en circulation des produits ukrainiens sur le marché unique européen. C’est le cas par exemple du blé.

Le problème est que les agriculteurs polonais, qui disposent également d’importantes réserves de céréales, ne veulent pas être mis en concurrence avec leurs homologues ukrainiens. Ils estiment que le prix du blé ukrainien n’est pas compétitif et menace leur économie. Cela a conduit à des excès à la frontière ukraino-polonaise, où des camions transportant du blé ukrainien ont été renversés.

La situation, sans être catastrophique, montre que Zelensky doit désormais faire face à une hostilité croissante à l’égard de l’Ukraine. Si les dirigeants européens s’accordent sur l’importance de soutenir le pays, cela n’est plus une évidence, comme au début de la guerre.

En Ukraine, Zelensky est critiqué

En février dernier, Zelensky est venu officialiser ce qui était en préparation depuis un moment : le limogeage du chef de l’état-major ukrainien, Valeri Zalouzhny. Le président ukrainien l’a tenu pour responsable de l’échec de la contre-offensive ukrainienne et a appelé à la nécessité de renouveler l’approche de la guerre contre la Russie.

Zaloujny reste cependant une figure très populaire en Ukraine. Avant son limogeage, sa cote de popularité était encore considérable, malgré l’incapacité de l’armée ukrainienne à regagner significativement du terrain à l’été 2023. Il reste l’un des visages de la lutte héroïque des premiers mois de la guerre, ainsi que l’homme responsable de la victoire à Kharkiv, en mai 2022.

« Malheureusement, le moment est venu où la politique risque de prendre le pas sur le bon sens et les intérêts de l’État. »

Vitali Klitschko, maire de Kyiv

Zelensky et Zaluzhny ont exprimé leurs désaccords sur la manière de poursuivre la guerre contre la Russie. Pour l’ancien chef d’état-major, le président ukrainien devait mobiliser un demi-million de soldats, ce que Zelensky a catégoriquement refusé, conscient de l’impopularité d’une telle mesure. Après son éviction, Zaluzhny a été nommé ambassadeur d’Ukraine au Royaume-Uni, un pays clé dans le soutien à Kiev. Elle continuera à jouer un rôle important dans le conflit, mais par la voie diplomatique.

Vitali Klitschko, ancien champion du monde de boxe poids lourds et maire de Kiev, a ouvertement critiqué cette décision : « Malheureusement, le moment est venu où la politique risque de prendre le pas sur le bon sens et les intérêts de l’État. » Pas sûr que Zelensky ait apprécié de voir le maire de la capitale d’un pays en guerre critiquer le choix du président.

Enfin, les députés de l’opposition se sont plaints d’un contrôle abusif de leurs activités politiques. Citée par Le Monde, la députée Solomiia Bobrovska a exprimé son ressenti après s’être vu refuser l’autorisation de se rendre à Washington : « Je considère ces interdictions comme une tentative de nous faire taire afin d’exclure le Parlement des décisions clés. »

L’ancien président ukrainien Petro Porochenko, actuellement député de l’opposition à la Rada (le parlement ukrainien), est allé jusqu’à envoyer une lettre au commissaire européen chargé de la politique de voisinage de l’Union. Il a dénoncé le recours abusif à la loi martiale en vigueur en Ukraine depuis le début de la guerre, afin de « nettoyer le champ politique de l’opposition ».

Si la population ukrainienne reste pour l’instant derrière son président, Zelensky doit rester sur ses gardes. Outre les difficultés rencontrées sur la scène internationale, il se garderait probablement d’être victime d’un bouleversement politique majeur en Ukraine.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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