En Turquie, l’opposition à Erdogan décroche une victoire historique aux municipales – Libération
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a reconnu dimanche 31 mars la victoire historique de l’opposition aux élections municipales, qui constituent selon lui un « tournant » pour son camp, au pouvoir depuis 2002. Le dépouillement de près de 99 % des urnes à l’échelle nationale confirme que l’opposition turque a infligé sa pire débâcle électorale au parti AKP (islamo-conservateur) du chef de l’Etat depuis deux décennies.
Le principal parti d’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué la victoire à Istanbul et à Ankara, les deux plus grandes villes de Turquie, et en a remporté de nombreuses autres, comme Bursa, une grande ville industrielle du nord-ouest acquise à l’AKP depuis 2004. La proclamation des résultats définitifs par la Haute Commission électorale (YSK) attendue lundi confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux acteurs, dont le chef de l’Etat. Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule déprimée et inhabituellement silencieuse, le président turc a promis de « respecter la décision de la Nation ».
Peu avant, le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, un quinquagénaire médiatique et fringant, avait annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il avait conquise en 2019, sans même attendre les résultats officiels. Être annoncé. « Ce soir, la démocratie va déferler (…) sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul »a lancé l’édile devant des dizaines de milliers de ses partisans, exultants, se précipitant vers le siège de la municipalité, sous une vague de drapeaux rouges turcs et de fumigènes.
« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie »
A Ankara, le maire du CHP Mansur Yavas, largement en tête, avait lui aussi déjà revendiqué la victoire, affirmant devant une foule en liesse que «Ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays». « Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie »a estimé le chef du CHP, Ozgur Ozel.
Outre Izmir, troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya où les partisans de l’opposition ont commencé à célébrer la victoire dans les rues, le principal groupe d’opposition a réalisé une percée spectaculaire en Anatolie. Elle est en tête de la course dans les capitales provinciales longtemps détenue par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs qui ont surpris les observateurs.
Le président Erdogan, 70 ans, 21 ans au pouvoir, avait pesé de tout son poids dans la campagne, notamment à Istanbul, sa capitale économique et culturelle dont il fut maire dans les années 1990 et qui est passée dans l’opposition en 2019. Tout au long de la campagne, il a tenu réunions quotidiennes, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité à la télévision publique, alors que ses adversaires en étaient quasiment privés. Mais l’engagement du chef de l’Etat, qui a annoncé début mars que ces élections « son dernier »n’était pas suffisant.
Les candidats de l’AKP restent cependant en tête dans plusieurs grandes villes d’Anatolie (Konya, Kayseri, Erzurum) et de la mer Noire (Rize, Trabzon), fiefs du président Erdogan, tandis que le parti pro-kurde DEM assure une confortable avance en plusieurs grandes villes du sud-est à majorité kurde, dont Diyarbakir, la capitale informelle des Kurdes de Turquie.
Le maire d’Istanbul en bonne voie pour la prochaine élection présidentielle
La défaite du Parti Justice et Développement, notamment à Istanbul, aura de lourdes conséquences pour Erdogan. S’accrochant à la ville, le président a annulé les élections municipales de 2019, pour ensuite voir Ekrem Imamoglu s’imposer avec vengeance lors d’un second scrutin organisé trois mois plus tard, subissant ainsi son pire revers électoral depuis son arrivée au pouvoir en 2003 comme Premier ministre.
Le maire d’Istanbul, inscrit à la tribune des personnalités politiques préférées des Turcs, continue depuis de se poser en rival direct du chef de l’Etat, qui l’a pourtant présenté dans « maire à temps partiel » dévoré par ses ambitions nationales. Pour de nombreux observateurs, une fois élu, le maire d’Istanbul aura un chemin vers l’élection présidentielle de 2028.
Le chef de l’Etat, résigné, lui a parlé de la « Quatre années de travail (…) à ne pas gaspiller » d’ici là, une manière d’exclure la possibilité d’élections anticipées qui lui permettraient de se représenter.