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En Sicile, les bidons d’eau font face à une pénurie

Agrigente (Sicile), reportage

Quand il pense à Agrigente, capitale de la culture en 2025, cela le fait rire. Ou plutôt, cela le fait rire amèrement. Il faudrait commencer par pouvoir offrir de l’eau à nos propres citoyens, pense Vito Desiri, transpirant sous une chaleur de 30°C, ses deux lourds bidons à la main. La précieuse ressource est si rare dans cette ville côtière de 55 000 habitants du sud de la Sicile que Vito Desiri doit se rendre deux fois par jour à la seule fontaine publique d’eau potable de la ville. «  J’arrive avant d’aller au travail, je remplis 50 litres, je reviens, on fait une lessive ou on s’en sert pour tirer la chasse d’eau, puis je retourne au travail, et je répète la même chose le soir après le travail. » Parfois jusqu’à quatre fois par jour. Des centaines d’autres habitants font la même chose quotidiennement. Le défilé des canettes est continu.

Fort mais fragile, opéré d’une hernie discale, le quinquagénaire porte ses deux bidons le dos voûté. «  Cette année c’est bien pire que les précédentes, je dois venir beaucoup plus souvent »dit-il d’un air désabusé. La pénurie a commencé bien plus tôt aussi, puisque «  la fin de l’année 2023 »Il n’avait pas plu de manière significative depuis plus d’un an en Sicile, jusqu’à l’inondation, le 5 août, de la ville d’Enna, dans l’intérieur de la Sicile. La sécheresse qui frappe l’île depuis le printemps 2023 est historique, après trois années déjà compliquées. «  Nous n’avons jamais vu ça auparavant »nous l’entendons de la bouche de plusieurs agriculteurs et citoyens ordinaires.

Eau rationnée pour 1,6 million d’habitants

La situation est alarmante partout : l’île est en état d’urgence depuis le 7 mai 2023. L’eau est rationnée pour plus d’un million des 5 millions d’habitants de l’île, et des dizaines de milliers d’entre eux se retrouvent sans eau chez eux. Sur la majeure partie de l’île, les nappes phréatiques sont à des niveaux extrêmement bas, quand elles ne sont ni sèches ni saumâtres. Les 29 principaux réservoirs d’eau qui alimentent la plupart des villes se réduisent comme du galuchat : à l’échelle de la Sicile, il ne restait plus que 263 millions de m³ d’eau fin juillet, dont moins de 120 millions de m³ exploitables, pour une capacité totale de 1 011 millions de m3.

Un troisième réservoir dont dépendaient 30 000 personnes vient de se vider de ses derniers litres d’eau. L’agriculture qui façonne les paysages un peu partout sur l’île pourrait, en partie, disparaître : bétail mourant faute d’eau, récoltes de céréales et de fruits inexistantes, quand les orangers, citronniers et autres pêchers ne s’éteignent pas totalement. «  Seule la pluie peut nous sauver »« C’est ce que raconte un agriculteur du centre de l’île qui s’apprête à abattre une trentaine de vaches à cause du manque d’eau. Un autre agriculteur dit avoir dû renoncer à vendre ses 150 000 kilos de pastèques qu’il a récoltées il y a un an. «  brûlé au soleil ».


Le réservoir de Nicoletti, où la ligne sombre correspond au niveau du lac il y a deux ans.
© Stéfanie Ludwig / Reporterre

Les habitants, qui ont manifesté le 2 août sous la bannière «  nous voulons de l’eau »faire ce qu’ils peuvent pour faire la vaisselle, prendre une douche ou faire la machine à laver. «  J’ai l’impression de revivre mon enfance, il y a cinquante ans, quand on se douchait avec un seau d’eau dans la baignoire. »« C’est un fait, a déclaré Vito Desiri, abattu. Habitués à la sécheresse estivale, la grande majorité des Siciliens disposent d’un réservoir d’eau pour stocker l’eau apportée des réservoirs. Pendant la période estivale, il est fréquent qu’elle ne coule qu’une partie de la journée, ou tous les 2 ou 3 jours. Mais cette année, c’est encore plus rare.


Le barrage de Pozzillo, le plus grand lac de Sicile surplombé par l’Etna, n’est plus qu’une grande flaque d’eau.
© Stéfanie Ludwig / Reporterre

L’eau n’arrive que tous les 8 à 11 jours

À Agrigente, la ville la plus touchée de l’île, la sécheresse a été aggravée par l’état catastrophique des infrastructures en place depuis plusieurs décennies. «  Près de 60 % de l’eau du réseau est perdue avant d’arriver ici »Selon l’ingénieur civil Giuseppe Riccobene, qui a travaillé pendant trois ans comme consultant pour la société privée de gestion des eaux Girgenti Acque d’Agrigente, qui a fait faillite et dont l’ancien patron est poursuivi pour corruption. Avec l’entreprise publique Aica – qui a pris le relais depuis l’été 2021 – ils sont pointés du doigt pour leur inaction et leur incompétence.

«  La gestion est désastreuse »« C’est une erreur de notre part, mais nous ne pouvons pas nous permettre de faire face à cette situation », dénonce également Giuseppe Amato, expert des questions liées à l’eau depuis quarante ans au sein de l’association environnementale Legambiente. Dernier exemple en date : la perte en 2023 par l’Aica de 49 millions d’euros de financements européens destinés à la rénovation des réseaux d’eau de la seule ville d’Agrigente, en raison d’erreurs techniques.


Giuseppe Amato, de Legambiente, travaille dur pour dénoncer la mauvaise gestion de l’eau.
© Stéfanie Ludwig / Reporterre

Giuseppe Riccobene, qui a dirigé l’installation de «  Près de 70 000 compteurs d’eau dans la province »dénonce le manque de volonté politique. Il souligne en particulier la «  25 000 usagers sur 120 000 dans la province qui n’ont toujours pas de compteur et peuvent consommer autant d’eau qu’ils le souhaitent sans la payer »pertes importantes dues au manque d’entretien et aux vols récurrents.

En conséquence, au cours des dernières semaines à Agrigente, la «  tours » l’eau ne se produit que tous les 8 à 15 jours. «  Le pire c’est que nous payons cher pour cette eau. ! »« Je suis très inquiet », s’indigne Vito Desiri, dont la citerne de 1 500 litres dans son appartement ne suffit pas à nourrir quatre personnes. Agrigente est en effet l’une des communes italiennes où l’eau est la plus chère. «  Les prix varient énormément, mais une citerne de 10 000 litres peut coûter plus de 200 euros actuellement. C’est une honte. ! »dénonce l’ingénieur Giuseppe Riccobene.


Caltanissetta, dans le centre de la Sicile, est l’une des villes les plus exposées aux pénuries d’eau. Ici, fin mai 2024.
© Stéfanie Ludwig / Reporterre

Pour les plus riches, les camions-citernes sont une solution miracle, mais ils ne sont pas toujours fiables. «  Quand j’appelle un chauffeur de camion-citerne, il me dit qu’il n’a pas le temps, qu’il a trop de travail avec les B&B, les hôtels ou même les débarcadères »« C’est un vrai plaisir de voir que nous avons un jour une maison avec un réservoir de 10 000 litres presque vide », explique Eugenio, propriétaire d’une maison avec un réservoir de 10 000 litres presque vide. Dans cette zone côtière, la pression sur la ressource est énorme en été. La ville d’Agrigente attire chaque année de plus en plus de vacanciers. Certains B&B ont dû refuser des touristes, d’autres vacanciers se douchent avec des bouteilles. Dans la région, on se bat pour les réservoirs à coups de centaines d’euros.

Souvent aussi, personne ne sait d’où vient cette eau. «  S’il n’y a pas d’eau dans la région, comment une citerne peut-elle en avoir ? ? » demande-t-il en faisant référence aux nombreux puits illégaux. Inégalités, abus et incivilités : voilà ce que met en évidence cette crise de l’eau. À Caltanissetta, dans l’arrière-pays de la Sicile, Maria, une vendeuse soignée, nous raconte qu’elle «  n’a jamais manqué d’eau » dans sa villa en périphérie, entourée d’un jardin qu’elle arrose «  tous les jours »malgré l’interdiction.


Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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