En Russie, Prigojine toujours respecté un an après sa mutinerie
Un an après la mutinerie du groupe paramilitaire Wagner, qui a lancé un défi sans précédent au pouvoir de Vladimir Poutine, et malgré la mort de son chef Eugène Prigojine, il continue de susciter le respect de nombreux Russes.
M. Prigozhin est décédé dans un accident d’avion dans des circonstances troubles deux mois après sa révolte des 22-23 juin 2023, et son groupe a depuis été refondé de facto et placé sous l’autorité du ministère de la Défense. Mais sa rébellion a marqué l’imaginaire du pays.
Pour Alexandre Oulianov, 60 ans, gardien dans une église orthodoxe, Prigojine, ancien détenu de droit commun devenu homme d’affaires proche du Kremlin, « était un grand homme », qu’il compare à d’illustres généraux de l’histoire russe comme Alexandre Souvorov dans le XVIIIe siècle ou Mikhaïl Koutouzov pendant les guerres napoléoniennes.
« Il a fait beaucoup pour la Russie dans ce moment difficile »assure-t-il, en référence au conflit en Ukraine, où Wagner a notamment mené la bataille la plus sanglante, celle de Bakhmut en 2023. C’est pourquoi Alexandre admire le groupe pour son » discipline « et son « fidélité » en Russie.
« Pour nous, il est toujours vivant, il est dans nos cœurs »il dit.
A deux pas du Kremlin, un mémorial improvisé est dédié aux soldats russes morts en Ukraine. Parmi leurs visages, le portrait de Prigojine et l’emblème de son groupe : un crâne orné du slogan « Du sang, de l’honneur, de la patrie et du courage ».
Et dans l’ancienne capitale russe, Saint-Pétersbourg, une statue grandeur nature trône récemment sur la tombe de Prigojine.
Alors que la Russie est engagée dans une répression implacable de toute dissidence, une telle glorification peut surprendre, car le mutin, dont les hommes sont également accusés d’exactions en Ukraine et en Afrique notamment, avait osé défier Vladimir Poutine, qualifié de « traitre ».
Passants et touristes s’arrêtent devant le mémorial. Parmi eux, une femme témoin de la mutinerie : Svetlana, originaire de Rostov-sur-le-Don, grande ville du sud de la Russie dont Prigojine et ses hommes ont pris le contrôle le 23 juin 2023.
«Ils leur ont crié Hourra»
« C’était terrible de voir des chars dans le centre-ville »se souvient cette professeure d’anglais de 42 ans, qui refusait de donner son nom de famille.
Pour elle, Prigojine reste « une personnalité remarquable, sinon tant de gens ne l’auraient pas suivi »même si elle n’approuve pas son » marcher « sur la capitale russe, au cours de laquelle des hélicoptères de l’armée russe ont été abattus.
Eugène Prigojine, connu pour ses discours souvent fleuris mais directs, a joué sur une corde sensible pour les Russes : il a dénoncé la corruption et l’incompétence au sein du ministère de la Défense et de l’état-major, alors qu’il n’y avait pour lui aucune issue. L’offensive russe en Ukraine n’est pas en vue.
«A Rostov, les gens ont eu peur au début, mais ensuite ils ont commencé à parler aux combattants (de Wagner), à fraterniser avec eux. Et le soir, ils leur criaient déjà : +Hourra !+”Svetlana se souvient.
Cependant, « S’il y avait des problèmes, il fallait les résoudre intelligemment et ne pas attaquer le sud de la Russie et effrayer les civils »elle croit.
Une autre femme d’une cinquantaine d’années s’arrête devant le mémorial et argumente : « Peut-être que Prigojine avait raison lorsqu’il critiquait le ministère de la Défense »parce qu’aujourd’hui, « les généraux sont mis en prison » pour corruption.
« J’ai toujours du respect pour tous les combattants de Wagner »affirme pour sa part un Américain de 41 ans, qui vit en Russie depuis 7 ans et s’est présenté sous le nom de guerre de « Garçon en peluche ». Il vient de signer un contrat avec Espagnea, un autre groupe paramilitaire russe combattant en Ukraine.
« Je ne suis pas à 100 % avec Prigojine, mais si je l’avais rencontré, je lui aurais serré la main. Il a dit beaucoup de choses que les gens pensent mais ont peur de dire. »il explique.