En Russie, les vols de beurre explosent dans les supermarchés : mauvais signe pour Poutine ?
Le pillage n’est certainement pas l’apanage de la Russie. Nous expliquions récemment, à la suite de Business Insider, comment le vol à la tire devenait un petit sport national auprès de certaines catégories de la population américaine, pas toujours par nécessité mais souvent par plaisir et défi.
En Russie, en revanche, il semble que le phénomène soit plus profond. La nécessité fait souvent loi lorsque, comme le rapporte le Financial Times, les consommateurs commettent de petits larcins dans les supermarchés locaux, notamment de beurre.
En cause, comme ce fut le cas il y a quelques mois lors de la « crise des œufs », une inflation galopante, un rouble faible, une économie complètement en surchauffe et une grave pénurie de main-d’œuvre, ce qui pourrait avoir de profondes conséquences sur la légitimité populaire d’un Kremlin. ne sachant plus comment financer sa guerre en Ukraine.
Inflation à 8,4% en 2024
La politique budgétaire de Vladimir Poutine et de son gouvernement est entièrement tournée vers des dépenses folles pour la défense et la guerre en Ukraine : en octobre, Le Monde rapportait que le Kremlin prévoyait une augmentation de 30 % des investissements militaires en 2025, avec un budget colossal porté à 13,5 milliards de roubles, soit 130 milliards d’euros selon les calculs de La Tribune.
Mais ces dépenses sont en surchauffe, pour une économie dont l’apparente solidité actuelle cache sans doute, à long terme, une crise profonde. L’inflation, qui, rappelons-le, a en partie déterminé l’élection à la présidence américaine de Donald Trump, est au centre de l’attention – et des difficultés quotidiennes des consommateurs.
Le FT rappelle ainsi que la Banque centrale russe prévoit qu’elle atteindra 8,5% en 2024, bien au-dessus de ses précédentes prévisions. Cela semble impossible à freiner : le taux directeur de cette même Banque centrale russe a été, en octobre 2024, porté à 21 %, sans effet pour l’instant sur la flambée des prix à la consommation (La Croix).
Et ce sont les produits de première nécessité qui sont les plus touchés. « Les produits de grande consommation voient leurs prix augmenter plus rapidement ; le prix du beurre a augmenté de 26% depuis l’année dernière, obligeant certains magasins à le placer dans des boîtes en plastique antivol »écrivent Anastasia Stognei et Max Seddon pour le quotidien économique britannique.
Une pratique qui, il faut le souligner, n’est pas seulement russe ; ces antivols sur les produits de base se multiplient aussi dans certains magasins français par exemple (BFMTV).
Pas assez de travail pour produire
Un exemple, cité par le FT : à Ekaterinbourg, une caméra de surveillance a filmé deux hommes, l’un attaquant la caisse d’un supermarché, tandis que l’autre allait voler 20 kg de beurre sur les étals. Au prix actuel de la graisse, on ne sait finalement pas lequel des deux cambrioleurs a réalisé le vol le plus rentable.
Outre la chute du rouble, qui rend plus chers les produits importés dans d’autres monnaies, cette hausse des prix des biens produits en Russie est due notamment à la pénurie nationale de main d’œuvre, massivement redirigée vers les usines liées à la défense.
« Les usines russes de production de beurre seraient heureuses de faire tout ce qu’elles peuvent pour répondre à la demande, Alexandra Prokopenko, chercheuse au Carnegie Russia Eurasia Center à Berlin, explique au Financial Times : mais ils ne peuvent pas embaucher de personnel.
On ne peut pas à la fois lutter contre l’inflation et faire la guerre.
Le chômage en Russie est pratiquement inexistant, à 2,4 %. Mais les travailleurs, souvent attirés par de meilleures conditions salariales, se tournent vers les usines du secteur de la défense, qui tournent à pleine capacité pour alimenter la machine de guerre du Kremlin en Ukraine.
Dans le reste de l’économie, les investissements en équipements et en main d’œuvre sont donc impossibles. La directrice de la Banque centrale de Russie, Elvira Nabioullina, a expliqué publiquement en octobre : « la demande dépassait largement la capacité de production de l’économie russe »ajoutant que, dans certains secteurs, « il n’y a plus de machines disponibles, pas même du matériel ancien ».
Le beurre et l’argent du beurre
Le Financial Times constate que l’inflation ne frappe pas tous les Russes de la même manière : si, dans les secteurs proches de la défense, les salaires ont augmenté à un bon rythme, permettant d’absorber un peu de cette inflation délirante, ce n’est pas le cas. pour d’autres pans importants de la société russe, les fonctionnaires fédéraux ou territoriaux par exemple n’ayant pas bénéficié d’une telle croissance de leurs revenus.
Le mécontentement pourrait donc continuer de croître dans certains secteurs négligés de la société russe. Et le ralentissement possible de l’effort militaire russe, en cas d’arrêt ou de pause dans la guerre russe, pourrait encore faire dérailler cette économie monomaniaque et laisser de nombreuses personnes sur le bord du chemin.