Les violences qui touchent la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai ont provoqué une importante vague de départs. Encore difficile à quantifier, le phénomène est inquiétant en raison de ses graves conséquences potentielles, notamment sur le système de santé.
« Aujourd’hui, qui rêve de vivre en Calédonie ? »s’interroge Annaëlle. Cette Bretonne de 36 ans, installée dans l’archipel du Pacifique Sud depuis plus de sept ans, a vu son cabinet d’orthophonie brûler dès les premiers jours des émeutes. Avec son compagnon, elle prend la décision de quitter Le Caillou fin septembre pour rentrer en France. « Soit on choisit de faire confiance et de rester, soit on prend un tournant »elle explique en parlant de« une décision extrêmement difficile ». « Nous avons de la famille ici, des amis… C’est un véritable déchirement, comme un deuil »elle confie. C’est finalement le discours de la présidente loyaliste de la Province Sud, Sonia Backès, appelant à une partition de la Nouvelle-Calédonie, le 14 juillet, qui finit de les convaincre. « J’ai fait un ‘burn-out calédonien’ en l’écoutant. C’est encore plus difficile pour nous de trouver notre place quand on voit la radicalisation des positions. »
Mariée à un Calédonien et mère de deux enfants, Sarah, cadre dans une entreprise, envisage elle aussi de partir. « Nous n’avons pas d’avenir ici »raconte cette quadragénaire qui a passé toute sa vie sur le Rocher et n’avait jamais envisagé de le quitter. La maison d’un membre de sa famille partie en fumée et les perspectives plutôt sombres pour son mari, qui travaille dans le nickel et est désormais au chômage partiel, ne lui donnent que peu d’espoir. « Je ne suis pas née ici, mais je me sens chez moi. C’est très difficile de s’y habituer. Ensuite, on est rattrapé par la réalité financière. Notre maison est située dans un quartier qui a beaucoup souffert et elle ne vaut plus grand chose aujourd’hui. »elle témoigne.
« Il y a eu une première vague de départs motivée par la peur, mais nous anticipons une deuxième, davantage liée à l’effondrement de l’économie et aux incertitudes politiques et économiques »analyse Jean-Damien Ponroy, représentant de la Fédération des agences immobilières du territoire de Nouvelle-Calédonie. Selon les chiffres du secteur, 25 à 30 contrats de vente sont signés par mois, contre une moyenne habituelle de 250 à 280, et près de 70 % des contrats déjà conclus sont annulés. Même constat sur le marché locatif, qui met en péril la profession, qui emploie 500 personnes.
David Guyenne, président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, s’inquiète de l’avenir de l’image et de l’attractivité du territoire. Le risque, selon lui, est de voir partir de nombreuses compétences qui avaient permis une certaine diversification du tissu économique. A cela, il faut ajouter la perte de cotisations au système de protection sociale ou de recettes fiscales alors que la Calédonie était déjà exsangue financièrement.
La CCI avance une première estimation de 6.000 départs (pour 271.000 habitants) depuis le début de l’année, avec une explosion depuis le 13 mai. Surtout, elle anticipe une augmentation de 300% par rapport aux années précédentes. Des chiffres sur lesquels elle reste prudente, mais qui dessinent une tendance lourde et se matérialisent par l’augmentation de l’activité des entreprises de déménagement.
Autre exemple, le recrutement médical, qui repose presque exclusivement sur des soignants originaires de France métropolitaine. De nombreuses cliniques ont dû réduire leur offre de services, voire tout simplement fermer. Le principal hôpital du territoire, à Nouméa, connaît lui aussi d’importantes difficultés. D’ici la fin de l’année, selon les chiffres donnés par le président de sa commission médicale à la presse locale, il devrait manquer près de 35 médecins sur les 250 que compte normalement l’établissement.
Le prochain recensement, initialement prévu en 2024 et reporté à 2025, fournira des chiffres précis sur l’ampleur de ces départs.Mais le phénomène n’est pas nouveau : il a débuté en 2014. Une analyse de l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee) montrait déjà un déficit migratoire net de 10.300 personnes entre 2014 et 2019, une première depuis 40 ans. « La situation est très préoccupante« , juge le président de la CPI, appelant à mettre « tout le monde autour de la table, y compris la société civile et les jeunes, pour parvenir à un accord (politique) et donner une visibilité à long terme » en Nouvelle-Calédonie.