Le bilan s’élève à sept morts en Nouvelle-Calédonie. Les barrages routiers des séparatistes d’un côté et des loyalistes de l’autre se poursuivent.
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Une septième victime lors des graves violences qui secouent la Nouvelle-Calédonie depuis douze jours, en marge du vote à l’assemblée sur le dégel du corps électoral : vendredi 24 mai, un homme de 48 ans a été tué par un policier qui avait été « physiquement agressé » par des manifestants selon le parquet de Nouméa. Les événements se sont produits à Dumbéa, au nord de Nouméa. Alors qu’il y a près de 3 000 forces de sécurité dans l’archipel, d’un barrage à l’autre le climat tendu et incertain continue de régner sur l’archipel entre deux camps qui semblent inconciliables.
Depuis onze jours, Raphaël veille le soir, tandis que le matin à l’entrée de son quartier sur les hauteurs de Dumbéa il régule la circulation devant le barrage filtrant. C’est une structure de barres de fer avec « des palettes que nous avions dans la maison, des blocs de béton, des feuilles de branches », décrit Raphaël. Son « groupe de défense » comme il l’appelle, il n’a pas d’armes, assure-t-il, mais seulement des pelles et « des râteaux, des pierres et des morceaux de bois, voilà ce qu’il nous faut pour nous protéger des gens cagoulés qui crient ‘terre aux Kanaks, c’est Kanaky’, témoigne-t-il. Des messages de cet ordre sont affichés à l’entrée d’un autre barrage situé à une centaine de mètres. « Une haine qui arrive », s’inquiète Raphaël. Soudain, un pick-up arrive. Au volant, un métis qui l’interpelle : « Il y avait des blancs sur le bord de la route qui m’ont attaqué, ils m’ont dit ‘nous n’avons pas le droit de passer’, j’ai sorti la batte et je les ai frappés au visage », dit le chauffeur.
Silence gêné de Raphaël en réponse. Julie, une voisine orthophoniste, le rejoint d’un air vaincu. « Je suis pris d’émotion car je ne suis pas sorti depuis le lundi 13 mai. J’attendais avec impatience de pouvoir me rendre à mon bureau qui se trouve à trois minutes de voiture. y aller ce matin avec l’aide de voisins, nous y sommes allés à quatre pour pouvoir passer les barrages et découvrir que mon bureau avait été saccagé, elle se confie Les portes sont en panne, je n’ai plus d’ordinateur, clairement je n’ai plus d’outils de travail », Julie témoigne.
« Je n’aurais jamais pu imaginer que cela se transformerait en un tel cauchemar. Je ne me suis jamais senti en insécurité, la population est mixte, j’accueille toutes les ethnies, je n’ai jamais été agressé ni exploité. J’étais calme jusqu’à il y a dix jours. »
Julie, orthophoniste en Nouvelle-Calédoniesur franceinfo
500 mètres plus bas, il faut se glisser entre les multiples barrages fumants de carcasses carbonisées, de charrettes, de barrières. A un rond-point, un jeune homme agite des cocktails molotov devant un pont sur lequel flottent plusieurs drapeaux du FLNKS. Ryan, lunettes noires sur sa capuche, a un message pour les forces de l’ordre : « On va les laisser faire leur travail et on va prendre du retard, on va remettre les barrages. On va les embêter jusqu’à ce qu’ils nous lâchent. On bloque tout. » (…) Nous maintenons la pression, mais calmement, paisiblement. Ils savent très bien que nous ne sommes pas armés mais ils tirent quand même. Il y a toutes nos mères, tous nos pères, tous les vieux, tous les enfants. Nous gérons aussi la sécurité. , il y a des milices qui circulent. il explique.
« Il y a une partie des milices qui protègent leur quartier et d’autres qui sont là pour tuer. Pour tuer les Kanaks.
Ryan, sur un barragesur franceinfo
« Chacun fait ce qu’il veut devant son quartier, devant sa maison »avoue Rodolphe Tognia, casquette sur ses cheveux blancs, assis à l’ombre de la station-service familiale gardée par une vingtaine d’hommes. « Tout n’a pas été coordonné, tout n’a pas été préparé, les gens se sont levés pour dire non au dégel du corps électoral et chacun fait pression là où il est », il juge. A quelques kilomètres de là, sur un autre barrage, Christophe, un Kanak père de deux enfants, ne se fixe aucune limite.
« Nous avons brûlé, nous avons lapidé, nous avons affronté la police. Je suis un militant de rue, je ne suis pas un militant au nom d’un parti politique. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. » assure Christophe. « Nous sommes totalement en désaccord avec la manière dont nous agissons. Nous tiendrons le coup jusqu’à notre chute. »il confie. Démanteler les barrages, assouplir ou poursuivre la mobilisation, les consignes des leaders indépendantistes aux militants divergent désormais.
Le reportage de Sandrine Etoa-Andegue et Eric Audra en Nouvelle-Calédonie