Seul au monde, Tadej Pogacar a remporté en solitaire, ce vendredi à Isola 2000, sa quatrième victoire d’étape sur le Tour de France 2024. Sa domination sans partage continue d’étonner le peloton.
Un paysage lunaire pour un Tadej Pogacar solaire. Un extraterrestre intouchable face à des concurrents réduits au rang de simples terriens. Même après avoir levé les bras à Valloire, au Pla d’Adet et au Plateau de Beille, l’ogre slovène n’était pas satisfait. Il lui en fallait encore plus. Pour marquer les esprits. Pour parachever sa reconquête du Tour de France. Pour asseoir sa domination sans partage avant tout. Un pari réussi. A l’aise mais patient sur le sommet de la Bonnette, toit de cette Grande Boucle et route asphaltée la plus haute du pays, perchée à 2 802 m d’altitude et où il aurait pu se rapprocher un peu plus des étoiles, le zébulon de Komenda a préféré s’élancer dans la montée finale menant à la station d’Isola 2000.
« Le meilleur Pogacar »
Alors qu’il pensait obtenir la victoire en guise de lot de consolation pour les frelons de la Visma qui étaient clairement à court de venin, le pauvre Matteo Jorgenson a été mordu comme tous les autres par un grimpeur déterminé à marquer l’histoire. Sauf chute ou improbable mésaventure, Pogacar deviendra ce dimanche le premier coureur depuis Marco Pantani en 1998 à réussir le doublé Giro-Tour la même année. Ce qui a plongé son directeur sportif Matxin Fernandez dans une joie difficile à décrire ce vendredi, à l’arrivée de la 19e étape, au pied d’un bus UAE-Emirates transporté dans une euphorie propre à ces jours où tout va pour le mieux. « C’est le meilleur Tadej Pogacar et le meilleur coureur que j’ai vu dans ma carrière », a souri l’Espagnol devant une foule de journalistes.
« Aujourd’hui, l’objectif de l’équipe était de travailler pour Tadej, d’essayer de gagner l’étape. C’est le meilleur coureur du Tour de France en ce moment. Aujourd’hui, on en voulait plus, c’était le plan », a-t-il insisté, avant de s’arrêter pour serrer chaleureusement dans ses bras Adam Yates, l’un des fidèles lieutenants de « Pogi », lui-même rejoint par un Marc Soler qui envoie de superbes « Vamoooos ». Quelques mètres plus loin, juste après avoir débriefé l’étape avec un certain Alberto Contador, double vainqueur du Tour devenu consultant, Mauro Gianetti n’a lui aussi pas trouvé de mots pour décrire les performances de son protégé.
La concurrence obligée de capituler
« C’est extraordinaire. Tadej a conclu un effort collectif par une action de champion. Jorgenson a vraiment fait une très belle étape, il a été très fort, chapeau bas à lui car il a roulé toute la journée devant et il s’est fait reprendre juste à la fin. Il a fallu un très grand Pogacar pour le priver de la victoire. Tadej, ce qu’il a fait est immense, c’est incroyable. Et Jonas (Vingegaard) n’est probablement pas dans une condition idéale », savourait le manager de l’équipe émiratie devant les cinq minutes séparant désormais le roi de ce Tour de son plus proche rival au classement général. Déjà très content de son statut de troisième homme derrière le duo Pogacar-Vingegaard, Remco Evenepoel se disait au moins aussi admiratif : « Tadej est juste un niveau au-dessus de tout le monde ».
Quelques esprits un peu naïfs ont voulu croire à un retour du suspense pour les trois dernières étapes de cette 111e édition, arguant que Pogacar était peut-être moins à l’aise au moment d’apprivoiser les longs cols. Raté. Ses derniers défauts ont été gommés, sa préparation peaufinée, sa blessure au poignet de l’an dernier oubliée, et personne n’est aujourd’hui en mesure d’égaler son niveau. D’autres avaient ricané de sa démonstration au printemps sur les routes du Giro, pointant du doigt une faible concurrence qui l’aurait grandement aidé à remporter six étapes et à repousser de près de dix minutes son dauphin Daniel Felipe Martinez. Deux mois plus tard, le casting n’est plus le même et Pogacar dégage pourtant la même « aisance » pour reprendre le terme spontanément employé par son sherpa Pavel Sivakov pour le décrire.
À quand un triplé historique ?
« Il y a son flow sur et en dehors du vélo, sa façon de flotter dans le peloton… C’est vraiment un coureur unique », a souligné le Français. Mais où placer dans la légende du cyclisme celui qui ne cesse de répéter qu’il veut être « le meilleur de l’histoire » ? Avec bientôt trois Tours de France à son actif, il ne sera pas si loin du record de cinq victoires détenu conjointement par Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain, les sept victoires obtenues par Lance Armstrong entre 1999 et 2005 ayant été effacées par l’UCI. Au jeu des comparaisons, rappelons que Merckx a remporté au total onze Grands Tours et dix-neuf Monuments. Le « Cannibale » a aussi été champion du monde à trois reprises, tandis que Pogacar tentera de le faire pour la première fois en septembre sur un parcours qui lui convient en Suisse. En observateur éclairé, Cédric Vasseur, le manager de Cofidis, a salué ce vendredi un coureur « au sommet de son art ».
« Il n’y avait aucune tactique aujourd’hui, c’était vraiment le pied au plancher. Celui qui est surpris de le voir gagner, c’est qu’il n’a pas beaucoup suivi le cyclisme ces derniers temps. Pogacar veut entrer dans l’histoire. Il va marquer de son empreinte la saison 2024. Pour nous, c’est un peu désespérant car on sait que quand on a un Pogacar au départ, aller dans les échappées ne paie pas. Il faut gérer la course d’une autre manière. Mais c’est aussi un honneur pour les organisateurs de voir le maillot jaune gagner. On a vu Merckx, Hinault, Lemond, Indurain, tous les grands ont gagné avec le maillot jaune. Il faut tirer notre chapeau à Pogacar. » Vu sa forme et ses ambitions sans limite, certains l’imaginent même tenter un triplé historique Giro-Tour-Vuelta, qui n’a jamais été réalisé la même année. Jusqu’ici, le principal intéressé préfère plaisanter et assure ne pas y penser. Pour combien de temps encore ?