En Maurienne, le report du calendrier de réouverture fragilise l’économie et le secteur ferroviaire
C’est par une communication conjointe de la Préfecture, du Département de la Savoie et de SNCF Réseau, le 31 juillet dernier, qu’ont été annoncés la prolongation des travaux de sécurisation de la falaise du Praz (Maurienne) et donc le report de la réouverture de la liaison ferroviaire France-Italie. Une situation qui perdure depuis le 27 août 2023, date à laquelle 15 000 m3 de roche se sont effondrés sur la route départementale et la liaison ferroviaire sous-jacente.
Même si les équipes et les collectivités se sont rapidement organisées, la dangerosité du chantier ralentit l’avancée des travaux. Car il faut d’abord sécuriser la zone avant de pouvoir envisager de rénover la voie ferrée et plus précisément les rails et le système de signalisation, le coffre ayant été préalablement sauvegardé. A ces contraintes s’ajoute un aléa majeur.
» Depuis juin, nous avons découvert des cavités instables dans la zone centrale du talus, qui sont beaucoup plus grandes que prévu et nécessiteront des travaux de purge supplémentaires. « , explique le vice-président chargé des infrastructures du Département de la Savoie, Olivier Thevenet.
« Cela implique de mettre en œuvre une technique de sécurité très lourde qui double quasiment le temps de travail, car il faut mettre des pieux dans la montagne pour sécuriser la falaise en allant du haut vers le bas et en remontant ensuite. C’est très contraignant. »ajoute Emilie Bonnivard, conseillère régionale élue en Savoie et députée LR à l’Assemblée nationale.
La prudence est donc de mise quant à l’éventuelle réouverture de la ligne. Après un premier report à l’automne 2024, le calendrier semble désormais privilégier le premier trimestre 2025. A condition qu’aucun « aucun nouveau risque géologique grave ne se produira d’ici là » prévenir SNCF Réseau, la préfecture et le département de la Savoie.
Cette annonce vient ainsi refroidir les espoirs des commerçants et des compagnies ferroviaires quant à une reprise pour la saison d’hiver 2023-2024. Ces dernières ont, en effet, vu leur activité réduite à néant depuis près d’un an sur cet axe.
Les entreprises de Modane et Fourneaux en difficulté
Quelques jours après l’éboulement, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Savoie a mené une enquête auprès de 500 TPE et PME du département. Tous secteurs confondus (commerce, industrie, tourisme), 25 % ont déclaré avoir subi une perte d’activité. Une situation rapidement revenue à la normale avec la réouverture de l’autoroute A43., Marc Beggiora, président de la CCI Savoie, se confiait à La Tribune en mai dernier.
A deux exceptions près cependant : les communes de Modane et de Fourneaux, dont la situation ne s’est pas améliorée. Et ce, pour deux raisons.
La première étant que la gare de Modane est une gare d’arrivée internationale qui a vu passer chaque jour, outre les TER, cinq trains TGV internationaux. Soit autant de voyageurs susceptibles de faire escale dans des hôtels, d’aller au restaurant ou de faire d’autres achats. A cette première réalité, s’en ajoute une seconde : la coupure de la route départementale D 1600 passant sous la falaise.
« Malgré la gratuité de l’autoroute, une partie des Orelleois, commune incluse dans le bassin versant de Modane-Fourneaux, ne font pas le détour par l’autoroute » « Ils sont pourtant une source récurrente de revenus pour les commerçants locaux. Et rien ne garantit qu’une fois la route départementale rouverte, ils reviendront tous s’approvisionner dans ces deux communes, s’inquiète l’élue.
Une situation qui était déjà partagée par Jérémy Tracq, vice-président en charge du développement économique de la communauté de communes Haute Maurienne Vanoise et maire de la commune de Bessans, en mai dernier : « Nous avons mis en place un observatoire avec la CCI Savoie pour mesurer cet impact économique et nous constatons un impact fort sur l’activité économique générée par cette activité touristique pour les artisans locaux. »
Une réduction d’activité qui a déjà entraîné la fermeture de deux entreprises, révèle Emilie Bonnivard qui milite depuis plusieurs mois pour une augmentation des aides régionales proposées et dont la date de souscription a déjà été repoussée à fin novembre.
Elle permet aux entreprises dont le chiffre d’affaires a baissé d’au moins 30% de bénéficier d’une subvention pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. La communauté de communes Haute Maurienne Vanoise abonde cette aide solidaire de 10%.
Depuis le lancement de l’opération, neuf dossiers ont été déposés pour une aide d’environ 70 000 euros.
« 10 000 euros, ce n’est pas beaucoup, mais la Région est la seule à aider la trésorerie », rappelle l’élu régional. Car les coûts étaient initialement répartis comme suit avec l’Etat : ce dernier prenait en charge le chômage partiel pour les entreprises ferroviaires et la Région le soutien financier aux commerçants. Mais l’étalement des travaux dans le temps et ce nouveau report remettent désormais en cause cette répartition.
D’où son appel à un soutien de l’Etat sur cette question et à un abaissement du seuil d’éligibilité. « Le plafond actuel de 30 % est très élevé, alors que les entreprises qui ont perdu 20 ou 25 % sont en difficulté. Il faudrait créer un fonds financé conjointement par la Région et l’État et abaisser le taux d’éligibilité, en novembre, à 20 ou 25 %. »elle plaide.
Arguant qu’au maximum, le montant à engager serait de 400 000 euros, avec une large marge de manœuvre. Nous ne pouvons pas être seuls « pour gérer cette aide, résume-t-elle.
Changer l’itinéraire pour ramener le commerce
Malgré la fermeture de cette liaison directe avec l’Italie, la SNCF continue de proposer une ligne entre Paris et Milan, rappelle Emilie Bonnivard. Jusqu’à présent, le trajet était divisé en trois parties, avec une pause à Saint-Jean de Maurienne où un autocar emmenait les passagers jusqu’à Orbassano (Italie) pour prendre le TGV vers Milan.
Afin de ramener le passage jusqu’à Modane, l’itinéraire a été modifié avec une pause de chargement à Saint-Jean de Maurienne puis un trajet en autocar jusqu’à Modane où les voyageurs pourront ensuite prendre un TGV direct pour Milan.
Une nouvelle ligne, mise en place pour l’été et qui sera à nouveau activée en novembre. Car entre les deux, SNCF Réseau a choisi de procéder à des travaux de maintenance,
» nécessaire depuis 15 ans « , précise Emilie Bonnivard, afin d’optimiser la ligne. Cela permet au groupe français d’anticiper les fermetures futures.
L’idée est de ramener de l’activité à Modane, tout en continuant d’assurer un niveau de service suffisant pour garantir l’accessibilité au territoire et aux stations de Maurienne. Car ce sera bel et bien la deuxième saison de ski sans TGV direct. Et si l’an dernier, les stations ont réalisé une très belle saison, confie Marc Beggiora, l’enjeu reste de taille et passera par une communication claire sur cette offre.
Une opération loin d’être nulle pour la Région, précise Emilie Bonnivard qui met en avant la rénovation de la gare Saint-Michel de Maurienne et la mise à disposition de navettes, pour un budget cumulé de 345 000 euros l’an dernier.
Transport de marchandises : aucune activité et aucune aide
Avant le glissement de terrain « 50 trains de marchandises circulaient par jour, dans les deux sens », rappelle Alexandre Gallo, président de l’Association Française des Chemins de Fer (AFRA) et PDG de DB Cargo France. Des volumes portant essentiellement sur des livraisons d’automobiles, notamment celles de la Fiat 500 électrique, mais aussi de denrées alimentaires et de produits industriels.
De nombreuses marchandises et transports ont été transférés vers le transport par camion : « 90% des trains ont été reportés sur la route, 10% empruntent un autre itinéraire « Les trains sont plus chers que les trains traditionnels », constate Béatrice Leloup, directrice régionale d’Auvergne Rhône-Alpes SNCF Réseau. Car si le transport ferroviaire reste disponible, les trajets via la Suisse ou le sud de la France (Nice) sont beaucoup plus longs et donc coûteux. D’autant que le système ferroviaire est plus cher que le système français, explique Alexandre Gallo.
Un coup dur pour le secteur du fret ferroviaire, dont l’activité est désormais réduite à zéro sur cet axe. « Nous sommes très impactés car nous ne pouvons plus passer par la Maurienne. La plupart des contrats que nous avions avec nos clients sont tombés à l’eau. »note Alexandre Gallo avec amertume et inquiétude.
Résultat : le chef d’entreprise estime qu’il perd environ 1 million d’euros de chiffre d’affaires par mois sur cet axe. C’est » 4 millions d’euros de chiffre d’affaires perdus en 2023 et environ 15 millions en 2024 » , souligne-t-il. Comme d’autres entreprises qui ont dû mettre certains de leurs salariés en chômage partiel. Une aide accordée par l’État pour trois mois, renouvelable une fois, soit six mois au total. Bien loin de la durée de cet arrêt.
Et rien ne garantit qu’une fois la réouverture confirmée, les clients reviendront immédiatement au transport ferroviaire. Car les contrats qu’ils ont conclus via les transporteurs routiers ont une date d’expiration et ont entraîné une réorganisation des livraisons.
Quid d’une éventuelle compensation ? « Rien, nada », répond Alexandre Gallo. Une situation également relevée par Emilie Bonnivard qui estime à juste titre qu’il « Il y a un travail à faire avec le ministère des Transports et de l’Economie sur les compagnies ferroviaires, car nous allons nous retrouver dans une situation de difficulté qui va perdurer. » Et dans ce cas précis, elle appelle à la mise en place d’un système similaire à celui du Covid mais beaucoup plus léger.
Car les compagnies d’assurance n’ont pas l’intention de mettre la main à la poche en ce qui concerne l’impact des catastrophes naturelles, indiquent l’élu et le président de l’AFRA.
Si le transport de marchandises souffre, le transport de voyageurs n’est pas non plus épargné. Chaque jour, 5 trains ont effectué le trajet, dont deux gérés par Trenitalia. La compagnie italienne voit ainsi sa dynamique fortement ralentie, après des débuts plutôt prometteurs et la perspective d’augmenter la cadence avec un sixième aller-retour Paris-Lyon lors des Jeux olympiques de 2024.