En Italie, le lucratif business des plages privées dans le viseur de Bruxelles
A Fregene, près de Rome, Antonio Meneghini fait payer 12 euros par jour un transat et l’accès à la plage, de facto privatisée. Un business lucratif pour les concessions balnéaires en lutte avec Bruxelles, qui exige transparence et concurrence.
La bataille fait rage autour de ces établissements qui occupent la grande majorité des plages de la péninsule et dont les concessions se transmettent dans la plus grande opacité de génération en génération.
Vendredi matin, en pleine saison estivale, ils ont fermé leurs parapluies lors d’une manifestation de deux heures, accusant la Commission européenne de menacer une vieille tradition et le gouvernement de Giorgia Meloni de ne pas les soutenir.
Pour Antonio Meneghini, 62 ans, propriétaire de la concession Toni, « toute l’économie qui tourne autour du tourisme balnéaire est en crise ».
Ces établissements, souvent à gestion familiale, proposent des services tels que parasols, chaises longues et douches, ainsi que des bars et des restaurants. Dans certaines zones, comme Rimini sur la côte adriatique, ils occupent 90 % des plages.
Le secteur, qui a prospéré avec le tourisme de masse dans les années 1960, est toujours florissant : selon l’Union des Chambres de Commerce, le nombre d’opérateurs a augmenté de 26% par rapport à 2011.
Face au puissant lobby des patrons, l’Etat a régulièrement ignoré au cours des deux dernières décennies les avertissements de la Commission européenne qui réclame l’ouverture des concessions à la concurrence et la fin du renouvellement automatique des concessions.
De leur côté, les associations de défense du libre accès accusent l’État de laisser des intérêts privés profiter d’un bien commun, tout en payant en échange une redevance dérisoire.
Selon certaines estimations, l’État reçoit 115 millions d’euros par an pour les concessions dans ce secteur, qui génère 15 milliards d’euros.
Péage illégal
Les concessions ont expiré le 31 décembre 2023, par décision du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative italienne. Depuis lors, rien n’est plus clair.
Les dirigeants attendent de connaître le nouveau cadre réglementaire mais le gouvernement a repoussé la question à la fin de l’été.
« C’est le Far West. Nous avons besoin de certitudes, il y a tellement de confusion », déplore Antonio Capacchione, président du syndicat des opérateurs du SIB.
M. Meneghini est toujours propriétaire de la concession originale de 1936 accordée à son grand-père Antonio pour exploiter la première installation de ce type sur le tronçon de côte à l’ouest de Rome.
Après la guerre, son grand-père a déminé la plage. Aujourd’hui, les cinq membres de la famille travaillent dans l’entreprise, ainsi que 20 à 25 saisonniers.
« Nous étions des sentinelles de la mer », explique M. Meneghini. « Il y a toute une histoire derrière cela. Aujourd’hui, on nous dit : « Merci, vous pouvez partir ». »
Ailleurs, les opposants à ces établissements font tout ce qu’ils peuvent pour les chasser ou, à défaut, pour dénoncer leurs pratiques commerciales abusives.
A Livourne, en Toscane, Claudia Gazineo est militante de Mare Libero (Mer Libre). Elle dénonce les barrières et tourniquets illégaux installés par les gérants des établissements balnéaires de la zone pour faire payer l’accès à la Méditerranée.
« C’est absurde parce que la mer est à tout le monde », a-t-elle déclaré à l’AFP.
Esclavage du parasol
L’association de protection des consommateurs Codacons accuse certains opérateurs de « spéculation » et demande aux autorités de révoquer les concessions accordées aux établissements pratiquant des prix « exagérés ».
Dans certaines régions, les prix hebdomadaires pour la location d’une chaise longue et d’un parasol peuvent atteindre 340 euros, avec une moyenne de 226 euros, selon une étude réalisée en juin par l’association de consommateurs Altroconsumo.
Les partisans du statu quo soutiennent que l’ouverture à la concurrence déroulerait le tapis rouge aux multinationales étrangères, entraînant une hausse des prix et une dilution de « l’italianité » du secteur.
D’autres évoquent le risque d’infiltration de la mafia.
Mare Libero réclame que 50% des plages soient considérées comme « gratuites » et accessibles à tous. Aujourd’hui, elles sont souvent petites, mal entretenues et difficiles à trouver.
À Fregene, un panneau à peine visible indique le chemin vers la plage gratuite de la ville où Primo Massimiani, 70 ans, se prélasse sur sa serviette.
Il proteste contre « l’esclavage du parasol, de l’entrée payante, du transat ».
« Je considère à juste titre qu’il s’agit d’une forme d’esclavage, d’une exploitation quasi illégale de ce qui est un bien commun : les rivages et les plages. »
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