jePas de vendanges cette année pour Pascale Belliard. Au Château Sainte-Marotine à Targon, dans l’Entre-deux-Mers, la plupart de ses vignes ont disparu, emportées par la crise et les arrachages qui s’imposent dans un contexte économique d’une logique implacable : il y a trop de vin de Bordeaux par rapport à la demande. Au printemps, la vigneronne de 60 ans a arraché un peu plus de trois hectares, les mesures sanitaires lui permettant, grâce aux primes perçues, de replanter 11 hectares supplémentaires. Il lui reste un peu plus d’un hectare, du jeune malbec, posant fièrement devant sa maison. Elle l’a prêté à un jeune vigneron, sous forme de prêt, pour une durée de trois ans.
Sur son bureau, une pile de courriers de la banque encore cachetés : Pascale Belliard a dû stopper les dépenses et les dettes. Comme beaucoup d’autres exploitations girondines, les bilans comptables de ces dernières années laissaient craindre une faillite avec un prix du tonneau devenu famélique, à 750 euros pour un coût de production de 1 350. « Quand j’ai vu les prix de vente à partir de 2022, je me suis dit que c’était fini… » Et pourtant, elle a souvent été « au top » en termes de production, parvenant à réaliser des volumes alors même que le mildiou frappait partout ailleurs. Mais le soutien d’un œnologue lui a permis de décrocher des médailles d’or.
« Changement sociétal »
« Le problème, c’est ce capitalisme pourri », soupire la vigneronne, à six trimestres de la retraite. « Et puis, on a beaucoup trop planté pendant les années glorieuses, on n’a pas anticipé ce qui allait se passer. » Pour elle, ce sont des ventes directes en baisse et un partenariat avec les Grands Chais de France qui s’est brutalement arrêté en 2018, après 20 ans de collaboration. « Il y a eu un changement sociétal, les gens boivent beaucoup moins. »
A arracher, donc. Un crève-cœur, forcément, pour cette fille unique qui a pris la relève de son père. Pour une dizaine d’hectares, elle n’a pas sollicité le dispositif sanitaire qui lui accordait 6 000 euros par hectare. « Je ne voulais pas bloquer mes terres, les confisquer au fil du temps », dit-elle, évoquant les aides de l’État, conditionnées à un engagement sur 20 voire 30 ans de convertir les terres en zones naturelles ou boisées. Quant au plan du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), en vue de diversifier les cultures, cela impliquait de nouveaux et lourds investissements.
Parcelles abandonnées
Autour du Château Sainte-Marotine, le paysage change. L’Entre-deux-Mers, plombé par la crise, est une terre d’arrachage. Les mers de vignes laissent place à des parcelles abandonnées et d’autres rasées. Pascale Belliard vous invite à sortir pour montrer son terrain nu. « Vous verrez comme c’est moche… », dit-elle. La campagne d’arrachage s’est faite en deux temps : un premier choc en mars, le deuxième début juin. Elle a attendu plusieurs semaines avant d’affronter la vue de certains endroits qu’elle savait depuis toujours plantés. « Il faut s’y habituer, confie la Girondine. C’est quand même mieux qu’un cancer, il faut relativiser. »
Elle s’est séparée de son vigneron en janvier dernier, mais ce n’était jamais l’abondance : « Ce n’était jamais génial, il fallait se battre tout le temps. » Elle n’ira pas aux vendanges cette année et, en apparence en tout cas, elle en tire une certaine satisfaction, ou peut-être est-elle simplement résignée : « Au moins, je m’épargne les nuits stressantes, les réveils à 5 heures. Quand je vois le temps qu’il fait en ce moment, ça ne doit pas être facile pour les collègues. » Une heure plus tard, en faisant défiler sur son téléphone les images de ses anciens jolis rangs, la nostalgie la titille encore : « Mes vignes étaient belles… Mes collègues se moquaient de moi parce que j’étais si fière d’elles. » Autour d’elle, plusieurs voisins et collègues ont fait de même, rasant la plupart ou la totalité de leurs vignes.
Plus de 3 000 hectares arrachés sans prime
Le chiffre pourrait encore évoluer au cours des prochaines semaines. Pour l’heure, le CIVB a établi que « plus de 3 000 » hectares de vignes ont été arrachés sans recours au dispositif d’arrachage sanitaire. A cela, il faut ajouter les 8 000 hectares arrachés dans le cadre de la première vague du plan proposé conjointement par l’Etat et le CIVB. Une deuxième vague, uniquement disponible sur le volet renaturation (celui financé par l’Etat), est en cours de lancement : la fenêtre a été ouverte cet été. Elle devrait concerner un millier d’hectares.