Pour élaborer un plan de fuite vers l’équilibre financier, les actionnaires privés et publics d’Air Austral, compagnie aérienne réunionnaise, ont nommé, lors d’un conseil de surveillance vendredi 18 octobre, un nouveau président du directoire : Hugues Marchessaux. Ce dernier remplace Joseph Brema qui a officiellement démissionné, mais qui, de fait, a été évincé.
Selon une source interne, il lui aurait été reproché un manque de transparence quant à la réalité de la situation financière de l’entreprise, jugée plus dégradée qu’annoncée. Les actionnaires de l’entreprise cherchaient depuis plusieurs mois un nouveau dirigeant. En mars dernier, l’État avait fait connaître son fort mécontentement face à la situation de l’époque, estimant que les difficultés résultaient « des erreurs de prévision et la non-mise en œuvre de mesures de restructuration ».
Agé de 57 ans, Hugues Marchessaux occupe depuis près de trente ans des postes de direction dans le secteur aérien. Il a travaillé chez Corsair, Air France, Bolloré Transports et Logistics, ASL, Air Cargo chez CMA-CGM, avant d’être nommé directeur général d’Air Caribbean Atlantique.
Objectif : « à l’équilibre en 2025, rentable en 2026 »
A la tête d’Air Austral, son nouveau président entend « surmonter les difficultés avec l’aide des salariés et des actionnaires pour assurer l’avenir ». Le gestionnaire annonce une stratégie pour les trois prochaines années décrite comme « simple et modeste : une croissance rentable ». Avec l’objectif « atteindre l’équilibre en 2025 et être rentable en 2026 ». « Il faut remettre les piliers en place pour que l’entreprise puisse se développer, dit M. Marchessaux. L’entreprise a un avenir devant elle. Je veux rassurer nos clients. Elle va continuer à voler et à progresser. »
Le dernier exercice (d’avril 2023 à mars 2024) d’Air Austral a affiché un chiffre d’affaires de 440 millions d’euros avec un résultat net négatif « de plusieurs millions d’euros », selon les dirigeants qui expliquent également avoir « purgé des problèmes au cours de cet exercice ». Face à des difficultés de trésorerie, les membres du comité social et économique (CSE) ont décidé mi-septembre de déclencher un droit d’alerte économique.
Air Austral a continué à produire des dettes et a souffert de coûts de production trop élevés. Parmi les principales causes de ces pertes d’argent : baisse de fréquentation en juillet-août 2024 sur la ligne Réunion-Paris en raison de la réticence des passagers à se rendre à Paris où se déroulaient les Jeux Olympiques ; les pertes d’exploitation causées par des pannes moteurs sur deux Airbus 220 utilisés pour les liaisons régionales (Madagascar, Maurice, Mayotte) et sur un Boeing 787. Mais aussi les coûts de retour de deux Boeing 737, soit 37 millions en 2023 et 2024.
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Le conseil départemental a refusé de mettre au pot
« Pour nous permettre de traverser notre activité de début d’année et notre point bas de trésorerie, les actionnaires sont prêts à se recapitaliser », annonce Hugues Marchessaux. Avec un engagement de 15 millions qui sera réalisé en novembre prochain. Soit 8,5 millions pour l’actionnaire privé Run Air et 6,5 millions pour l’actionnaire public, principalement le conseil régional de La Réunion. Fin mars, les actionnaires avaient déjà été contraints de réinjecter des fonds en votant un « plan d’action et de restructuration » de 10 millions d’euros de contribution financière.
Lorsque l’entreprise a été privatisée en janvier, dans le cadre d’un plan de sauvetage de l’entreprise (jusqu’alors majoritairement détenue par le conseil régional), les actionnaires avaient déjà investi 30 millions d’euros d’argent frais provenant de l’entreprise. part de Run Air et 25 millions d’euros de la Sematra (dont 15 millions d’euros du conseil régional de La Réunion, 5 millions d’euros du Département et 5 millions d’euros de la Chambre de Commerce et d’Industrie de La Réunion). Cette fois, le conseil départemental a refusé de retourner à la marmite. « On ne peut pas aller plus loin. a déclaré son président Cyril Melchior au Quotidien de La Réunion. Les entreprises réunionnaises se sont mobilisées et c’est très bien. »
Dettes
Air Austral doit aussi encore lutter pour étaler ses dettes qui s’élèvent à plus de 90 millions, dont 14 millions de nouvelles dettes fiscales et sociales entre janvier et mai 2024. Avec l’idée de prioriser ses fonds vers l’exploitation. Cette dette, selon le nouveau pilote à la tête de l’entreprise, n’est pas « pas exceptionnel par rapport à d’autres sociétés ». « Fin septembre, un deuxième protocole intermédiaire de conciliation a été signé devant le tribunal de commerce, observe Harold Cazal, membre du directoire aux côtés d’Hugues Marchessaux. Ce qui nous donne quatre mois pour renégocier notre dette. » Jusqu’en janvier prochain avec une prolongation possible. Environ 38 millions concernent des dettes bancaires. Air Austral compte renégocier les taux d’intérêt. De son côté, l’État a accepté « une pause » dans le remboursement de ses dettes.
Pour rappel, dans le cadre de la survie de l’entreprise, la première procédure de conciliation, en janvier 2023, avait permis l’effacement de 185 millions d’euros, dont 105 millions d’euros de dettes bancaires et de prêts garantis par l’État. La Région Réunion avait abandonné 70 millions d’euros de dettes.
Tout plan social exclu
Le nouveau président du directoire exclut tout plan social, rappelant qu’en mai 2024 un accord de performance collective (APC) a été signé pour permettre à l’entreprise d’économiser 11,6 millions sur deux ans. Les salariés acceptent alors la suppression du treizième mois et de certaines primes, la réduction des heures supplémentaires et l’abandon des jours de congés.
La décision de changer la gouvernance d’Air Austral est chaleureusement saluée par le syndicat des pilotes de ligne, le SNPL France Alpa. « Nous n’avons rien contre M. Marchessaux mais il a très peu d’expérience dans la gestion d’une entreprise, regrette Vivien Rousseau, délégué syndical SNPL chez Air Austral. Pour traverser un cyclone, on préfère Éric Tabarly à la barre plutôt qu’un élève des Glénans. » Le responsable syndical critique également le rôle consultatif de la société Aérogestion auprès du directoire d’Air Austral. Une société dirigée par Marc Rochet, qui siège au conseil d’administration d’Air Caraïbe et de French Bee, concurrent d’Air Austral.
« L’entreprise n’est pas menacée de fermeture »
» Inquiet « Pour l’avenir à moyen terme d’Air Austral, Vivien Rousseau rappelle que le cabinet d’audit Accuracy, mandaté par l’Etat et le comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), estime le besoin de nouveaux capitaux entre 35 et 60 millions d’euros. Le délégué syndical dit prendre acte de la volonté du nouveau président d’Air austral de créer une entreprise « rentable ». « On attend de savoir quand, comment et avec quoi, il réagit. D’abord sur le financement de l’entreprise. Ensuite sur le projet de renouvellement de la flotte et les axes stratégiques du réseau Air Austral, qui sont les éléments essentiels garantissant la pérennité de la compagnie. »
« Nous avons besoin de sérénité et d’unité » répond Hugues Marchessaux. Au milieu des vives critiques du SNPL, le nouveau président estime que « L’entreprise se mobilise pour surmonter les difficultés. Il ne faut pas se tirer une balle dans le pied et inquiéter inutilement nos clients. L’entreprise n’est pas menacée de fermeture. »