Cacher une relation amoureuse entre collègues peut entraîner un licenciement pour faute grave. C’est la décision rendue par la Cour de cassation. En cause, un échange d’informations confidentielles sur l’entreprise.
Rencontrer l’âme sœur sur son lieu de travail n’a rien d’exceptionnel : 55% des Français déclarent être déjà tombés amoureux au bureau, selon une étude récente. Parmi eux, près de 6 salariés sur 10 ont noué une relation avec leur collègue.
C’est le cas du cas de deux salariés d’une entreprise ardéchoise repéré par Le Figaro. Il a travaillé au service des ressources humaines; elle était représentante du personnel et détenait un mandat syndical. L’employeur a décidé de licencier son représentant.
« En temps normal, c’est le strict respect du droit à la vie privée dans le cadre professionnel qui prévaut », explique l’avocat en droit social Thierry Meillat.
« A partir du moment où il n’y a aucune conséquence et aucun préjudice pour l’employeur, c’est très surprenant, et je ne l’avais pas encore vu », poursuit-il sur le plateau de l’émission Avec Vous.
Un salarié a le droit de garder le silence sur ses relations intimes, y compris lorsque le couple s’est formé au travail.
Une relation restée secrète pendant 6 ans
Dans la présente affaire, « la relation entre les deux salariés avait commencé à prendre une tournure autre qu’amicale fin 2008 », précise l’arrêt de la Cour de cassation.
Son épouse a quitté l’entreprise en avril 2013. Ils ont donc travaillé ensemble au sein de l’entreprise Payen pendant 4 ans et demi.
Cependant, selon le recours no. 22-16.218 publiée le 29 mai, le chef de chantier et le représentant du personnel ont « participé à des réunions paritaires (…) sur des sujets sensibles », l’un assumant pour l’un la fonction de représentant de la direction et de délégué syndical.
Il défendait un plan social, elle menait la grève
Des rôles opposés qu’ils ont dû jouer dans la période 2009-2010. La salariée s’engage alors dans un mouvement de grève dans l’entreprise, pour s’opposer à la « mise en œuvre d’un projet de réduction des effectifs », soutenu par la direction… et donc par son compagnon ! Elle a même occupé un des établissements de l’entreprise en signe de protestation.
Les deux amoureux n’entretenaient pas de lien de subordination, mais la découverte de ce lien a poussé l’employeur à vouloir licencier son salarié en 2014. La direction considérait que le salarié avait « manqué à son obligation de loyauté ». il « impossible pour lui de rester dans l’entreprise ».
L’employeur critique un « manque de loyauté »
Un sentiment que comprend Pauline Moreau, spécialisée en droit social chez Voltaire Avocats.
« Les faits sont assez particuliers, nous avons une RH qui a une relation avec un représentant syndical, ce sont des interlocuteurs directs, avec des intérêts pas toujours communs. Je pense que c’est cette particularité qui conduit à cette décision », juge-t-elle, interrogée sur BFM Business.
Et cela malgré le fait qu’il n’y a pas nécessairement de préjudice pour la société. Personne ne fait état d’avantages obtenus lors de ces négociations autour du plan social. Le salarié peut toujours saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de son droit à la vie privée.
Faut-il déclarer ses relations intimes ?
Mais alors, dans quel cas faut-il considérer qu’un conflit d’intérêts est possible ? Faut-il déclarer des liens amicaux ou amoureux ?
« On entrerait alors dans une logique anglo-saxonne », explique l’avocat Thierry Meillat. « La ‘relation amoureuse’ où il y a des politiques internes à l’entreprise dans lesquelles nous sommes obligés de faire connaître nos liens à l’employeur. l’employeur qui décide en fin de compte si nous restons ou non.
Les avocats interrogés considèrent que nous n’en sommes pas là dans les entreprises françaises. « Il ne faut peut-être pas exagérer la portée de cette décision », tempère l’expert de l’émission Avec Vous. « Mais c’est très surprenant au vu des arrêts précédents de la Cour de cassation en la matière. » Il est vrai que la loi pose le principe du respect de la vie privée dans des cas similaires. D’autres employeurs ont vu leurs licenciements annulés devant les tribunaux.
Et pour cause, éloigner un conjoint d’une entreprise pour le seul motif de sa relation avec le bureau « pourrait relever d’une discrimination » pour l’avocate Pauline Mureau.
C’est à l’employeur et aux deux tourtereaux de trouver des règles pour ne pas partager d’informations sensibles.
«C’est un équilibre à trouver en management, entre une équipe où les gens travaillent juste ensemble et une équipe où ils travaillent ensemble ou sont amis»… ou plus, estime Emeric Lebreton, psychologue du travail.
Il constate qu’au travail, lorsque les salariés sont « trop amicaux », cela « complique la tâche du manager. Celui-ci pourra contester les décisions de certains managers ». La recette pour éviter ce type de situation au travail ? « Rappelez toujours aux employés que même s’ils sont proches à l’extérieur, il existe des obligations de confidentialité… et de loyauté. »
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