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En Corée du Sud, une influenceuse vante les vertus d’une vie sans enfant dans un pays qui multiplie les incitations à procréer

En Corée du Sud, deux tiers des femmes préfèrent aujourd’hui rester célibataires pour poursuivre leurs ambitions. Parmi elles : Seen Aromi, 200 000 abonnés sur YouTube, qui résiste à l’injonction d’avoir des enfants.

À Séoul, mégalopole grouillante, tentaculaire et vibrante, on se demande : où sont passés les enfants ? Les chiffres apportent quelques réponses : avec 0,81 enfant par femme, la Corée du Sud a le taux de natalité le plus bas du monde. Et les choses ne sont pas près de changer : deux tiers des femmes sud-coréennes âgées de 19 à 34 ans (65,4 %) ont déclaré ne pas vouloir d’enfant, selon une enquête de l’Association coréenne pour la santé et le bien-être de la population en septembre 2022.

En gros, ceci accident de bébé est avant tout un symptôme des antagonismes qui régissent une société sud-coréenne multiforme. En Corée, c’est simple : les femmes doivent encore choisir entre vie professionnelle et vie personnelle, puisqu’elles ont toujours la responsabilité des enfants. De plus, le coût exorbitant de l’éducation d’un enfant représente un obstacle important à la maternité. A cela s’ajoutent des pressions sociales et familiales récurrentes : les femmes sont encouragées à se retirer de la vie professionnelle après l’accouchement et les horaires de travail exigeants (52 heures par semaine) sont souvent incompatibles avec la vie de famille.

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« Ne pas me marier est ma plus grande réussite »

Préoccupé par ce taux de natalité très bas, perçu comme un problème d' »urgence nationale », le gouvernement sud-coréen multiplie les incitations à procréer. Mais dans le pays, les résistances grondent. Une influenceuse est même devenue la voix des femmes célibataires et prône les délices d’une vie sans enfant. Son nom : Seen Aromi. Dans sa paisible maison de la campagne sud-coréenne, la jeune femme pratique le yoga, fait la grasse matinée et encourage ses plus de 200 000 abonnés sur YouTube à ne pas se sentir coupables de profiter de leur vie de célibataire. « Ne pas me marier est ma plus grande réussite », a confié à l’AFP la jeune femme de 37 ans, précisant n’avoir jamais considéré comme objectif de sa vie de devenir une « bonne » épouse ou mère. Alors que le choix des femmes de ne pas avoir d’enfants est perçu comme un « désastre » en Corée du Sud, Seen Aromi réfléchit aux « inconvénients potentiels de ne pas avoir d’enfants », et n’en voit « aucun ».

Dans son livre Je ne peux pas m’empêcher de bien vivre seulCe roman, qui a connu un succès inattendu, raconte la joie qu’elle a éprouvée à échapper aux attentes de la société et à profiter de sa vie de célibataire. Brièvement numéro un au Pays du matin calme, le livre a suscité l’enthousiasme non seulement chez d’autres femmes célibataires trentenaires, mais aussi chez une génération plus âgée, notamment des veuves et des divorcées.

Dans ce livre, Seen Aromi se réjouit d’avoir « la liberté d’être aussi paresseuse qu’elle le souhaite » sans avoir à subir de critiques. « Alors que certaines personnes se marient parce qu’elles n’aiment pas être seules, d’autres choisissent de ne rencontrer personne simplement parce qu’elles aiment se prélasser », écrit-elle.

Une entreprise sud-coréenne sous pression

Mais comment expliquer cette défiance envers la parentalité ? Selon les experts, de nombreux jeunes Coréens renoncent au mariage et aux enfants, en partie pour des raisons économiques, dans un contexte de croissance stagnante, de hausse des prix de l’immobilier à Séoul et d’intense concurrence pour les postes à responsabilité. D’autres évoquent des facteurs culturels plus larges. La Corée du Sud reste un pays socialement conservateur, où la monoparentalité est mal vue, le mariage homosexuel n’est pas reconnu et les femmes mariées finissent souvent par quitter le marché du travail. Elles consacrent en moyenne 3,5 fois plus de temps par jour aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants que leurs partenaires masculins. « Les attentes traditionnelles concernant les rôles des hommes et des femmes dans la sphère familiale, ainsi que les tensions entre les sexes, sont certainement liées au faible taux de natalité actuel », explique à l’AFP Hyeyoung Woo, professeur de sociologie à l’université de Portland.

Pour la YouTubeuse, renoncer aux signes du succès – un appartement à Séoul, un travail bien payé, un partenaire aimant – lui a permis de trouver le bonheur véritable. « Je n’ai jamais travaillé pour un grand groupe, je ne vis pas en ville et je n’ai jamais été mariée », a-t-elle déclaré à l’AFP. Elle a ensuite évoqué sa vie à Séoul comme une période misérable, avec des trajets épuisants et un travail stressant.

Après avoir vécu à l’étranger pendant des années, occupé différents emplois, comme femme de ménage dans un hôtel, emballeuse de viande dans une usine de poulet et publiant des vidéos sur sa vie en ligne, Seen Aromi est finalement revenue en Corée du Sud et s’est installée dans une ville rurale. Elle a rénové une vieille maison familiale et y a emménagé, et a développé sa chaîne YouTube, qui a fini par compter plus de 200 000 abonnés. Ses vidéos traitent de sujets allant de la vie en solo aux voyages en passant par le fitness et le yoga. Et cela a porté ses fruits : aujourd’hui, une seule vidéo YouTube lui rapporte cinq fois ce qu’elle gagnait en travaillant à Séoul, et elle peut « vivre une vie beaucoup plus indépendante, ce qui est incroyablement satisfaisant », dit-elle.

Un célibat qui suscite des critiques

Ses publications sur les réseaux sociaux faisant l’éloge de la vie de célibataire ont cependant suscité des attaques, certains internautes affirmant qu’Aromi devait être seule ou la qualifiant d’« égoïste » de ne pas se marier.

De son côté, la principale concernée affirme avoir eu plusieurs relations épanouissantes, mais aussi que son autonomie et son style de vie sont sa priorité absolue. Le succès de son livre démontre qu’on peut « être le meilleur dans quelque chose même si on mène une vie atypique », affirme-t-elle. La plupart des couples qui ont des enfants le font parce que cela les rend heureux, et les personnes qui vivent seules font aussi des choix pour leur bonheur, qu’il faut respecter, estime-t-elle. Si d’autres ont des enfants, la célibataire épanouie se dit fière de ses contributions en ayant « donné naissance à deux chaînes YouTube et à un livre ». Chacun a ses propres bébés après tout.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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