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En Colombie, attendre la paix sur un champ de mines


Rio Atrato, rio Bojaya, Rio San Juan (Colombie), envoyé spécial

En quittant Medellin, le petit avion vole droit vers l’ouest, traverse les montagnes pour finalement survoler les méandres de la rivière Atrato. Une ligne boueuse qui dessine des lignes sur un green uni. C’est, en effet, un axe de vie pour les communautés qui peuplent son parcours.

L’avion se pose enfin sur une piste d’atterrissage que l’on pourrait croire clandestine car invisible et surtout courte. Un bateau nous attend, direction Vigia del Fuerte, une petite ville du département d’Antioquia, que baigne la rivière. C’est une étape presque obligatoire pour pénétrer plus profondément dans cette région, via la rivière Bojaya. Un réseau fluvial particulièrement contrôlé par les différents groupes armés qui y ont établi leurs bases.

La rivière Bojaya est un réseau fluvial particulièrement contrôlé par les différents groupes armés qui y ont établi leurs bases.

On retrouve ici la guérilla de l’Ejército de Liberación Nacional (ELN, Armée de libération nationale, inspirée de Guevara), unités dissidentes des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) qui ont refusé l’accord de paix de 2016, le redoutable Clan del Golfo, principal gang de trafiquants de drogue dans le pays, ou même l’armée régulière. Celui-ci n’a pas encore perdu ses vieilles habitudes répressives, malgré l’arrivée au pouvoir d’un président de gauche, Gustavo Petro, l’été dernier.

Ce contrôle n’est pas seulement théorique. Les équipes de Médecins du Monde (MdM), qui y ont mené des actions sanitaires, doivent donc attendre l’accord de ces groupes – obtenu via le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) – pour se rendre dans les villages.

« Nous montons un projet de longue haleine, explique Chiara Santoro, assistante de coordination générale chez MdM en Colombie. Nous ne voulons plus seulement aller et venir, mais consolider les actions dans la durée avec une action médicale de base, une intervention psychosociale et de la prévention autour de l’eau et de l’assainissement. »

Un parcours enchanteur au milieu d’une végétation luxuriante

C’est ainsi qu’un matin nous pouvons quitter Vigia del Fuerte à bord de petits bateaux à moteur pour rejoindre la rivière Bojaya. Premier arrêt, Pogue, peuplé d’Afro-Colombiens.

Nous nous déplaçons dans des canoës à fond plat, capables d’affronter les courants souvent bouillonnants et d’éviter les obstacles qui surgissent tout le long. Il faut parfois descendre et passer par une sorte de chemin de halage pour pouvoir continuer et éviter que les bateaux trop chargés ne s’écrasent sur les rochers.

Un parcours étrange, envoûtant même, au milieu d’une végétation luxuriante, des lianes qui se déploient, des arbres plus denses les uns que les autres aux racines profondément enfoncées dans un sol presque vertical.

Au détour d’un large coude, la rivière s’élargit, son cours ralentit. Quelques petites têtes gambadent dans l’eau. Des enfants qui se redressent, mi-corps, surpris par l’arrivée d’une telle armada, eux qui voient d’habitude peu de visiteurs. Les femmes trempent le linge dans la rivière avant de l’essorer, de le battre puis de repartir, une bassine dans un bras, un enfant dans l’autre.

Sur le t-shirt de Basilio Olea Doirama, on peut lire, en anglais : « Never forget the world is yours ». Un monde qui leur a été volé il y a des siècles.

Chano est un village lacustre où vivent 151 familles de 779 habitants, des indiens Embera. Des maisons sur pilotis qui surplombent un sol en terre battue pour le plus grand plaisir des cochons en liberté. Ici, l’eau et la terre ne font qu’un, composant l’espace d’existence de chacun.

Mais derrière ce paysage serein et rude se cachent de nombreuses difficultés. Le zarra (le gouverneur de la localité) qui nous accueille, Basilio Olea Doirama, porte un T-shirt en forme de clin d’œil. Il se lit, en anglais : « N’oublie jamais que le monde est à toi ». Un monde qui leur a été volé il y a des siècles, et que, même réduit à aujourd’hui, ils ont du mal à naviguer.

La « garde indigène », une centaine de volontaires femmes et hommes

« Nous avons beaucoup de difficultés avec les groupes armés, dénonce-t-il. Vous ne pouvez pas vraiment bouger du village. Il y a des mines antipersonnel partout. Du coup, l’alimentation devient problématique puisque les agriculteurs n’ont plus accès à leurs champs de maïs, de plantains ou de rizières. La parole est également confisquée. La zarra ne parle pas des champs de coca éparpillés autour du village et que nous ne verrons pas. Mais c’est le but de la présence des groupes paramilitaires.

L’alimentation devient problématique puisque les agriculteurs n’ont plus accès à leurs champs de maïs, de plantains ou de rizières.

Le « blocus » mis en place vise à forcer la main des villageois pour étendre cette culture de base pour la production de drogue. « Nous vivons dans la peur », certifie la zarra. « Les gens ont sauté sur les mines. Sur la rivière, il y a des points de contrôle réguliers. Si nous apportons du riz ou de la nourriture, nous sommes saisis. »

Parmi les anciens, Antero fait partie de ceux qui n’ont pas peur de témoigner. « Les groupes armés demandent beaucoup de nourriture, mais nous résistons. Nous avons vu d’autres communautés accepter de les nourrir, puis ils se sont installés. »

Une centaine de volontaires, hommes et femmes également, font partie de ce qu’on appelle ici la « garde indigène », comme il est écrit sur leur chasuble. Équipés de sarbacanes et de fléchettes empoisonnées, ainsi que d’un long bâton, ils patrouillent chaque jour. « Ils empêchent souvent les jeunes d’être recrutés de force dans un groupe armé », explique Basilio Olea Doirama.

Le « bâton du pouvoir », symbole de défense de la terre

Luis est l’un de ces gardes. Il connaît tous les passages qui mènent à la montagne d’en haut. Il les promène tous les jours. Il sait où mettre les pieds pour ne pas s’enfoncer dans la boue, distinguer un sifflement humain de celui d’un animal, et perçoit très vite un mouvement derrière le feuillage.

« Notre rôle est de défendre la terre de la communauté », dit-il fièrement. Sans la terre, nous ne sommes rien. » Comment empêcher des hommes lourdement armés d’entrer sur les terres du village ? « Nous avons avec nous le bâton du pouvoir, c’est un symbole de la défense de la terre », vante-t-il.

Souvent, les hommes ne savent pas comment trouver une solution. Nous sommes plus écoutées par les groupes parce que les femmes c’est la vie, nous avons un lien avec la Pachamama (Mère nature – NDLR) ». Yala, garde indigène

Son collègue, Walter, explique aussi que les gardiens vont voir la jabaina (médecin traditionnel). « Il nous donne des onguents avec lesquels nous enduisons notre peau. C’est comme un rituel qui va nous protéger et apporter le respect des autres. Les deux hommes admettent que « le plus compliqué est avec les paramilitaires, pas avec l’Armée de libération nationale (ELN), car ils sont tout le temps en mouvement et il est plus difficile de les rencontrer pour dialoguer ».

Yala, 28 ans et deux enfants, également garde indigène, insiste sur l’importance de la présence des femmes « car, souvent, les hommes ne savent pas comment trouver une solution. Nous sommes plus écoutées par les groupes parce que les femmes c’est la vie, nous avons un lien avec la Pachamama (Mère nature – NDLR) ».

Preuve en est leur capacité à récupérer des jeunes « recrutés » par les troupes factionnelles. Mais tout a ses limites. Les femmes qui sortent du village ne parlent pas espagnol et ne peuvent répondre si elles croisent des combattants.

« Ils ont très peur, beaucoup d’enfants ne mangent pas bien et développent des maladies. Cette situation de confinement vécue par les Embera provoque aussi des violences familiales et une augmentation des cas de suicide que les équipes de MdM tentent de gérer avec la psychologie.

La transformation de la coca se fait avec des produits chimiques qui sont déversés dans la rivière

Au sud-ouest, sur le fleuve San Juan, les communautés Wounaan font face aux mêmes pressions sanitaires. « Tous les problèmes de peau, de parasites et autres viennent de l’eau de la rivière que les gens boivent ! Jasir Banguero, ethno-éducateur, se fâche. Il n’y a pas de système d’égouts, tout est jeté dans la rivière.

Les combattants de l’ELN et ceux du Clan del Golfo s’affrontent régulièrement. Avec un pieu, mettez la main sur les villages situés tout le long des fleuves Calima et San Juan, voie de sortie de la cocaïne vers le Pacifique.

Et, en amont, bien plus haut, « l’extraction de l’or se fait avec des métaux lourds, notamment du mercure », dénonce encore l’homme. « Le Rio San Juan est également stratégique car il relie le Choco et la vallée du Cauca. La transformation de la coca se fait avec des produits chimiques qui sont également déversés dans la rivière. »

Ici, au milieu de la jungle et des mangroves, les combattants de l’ELN et ceux du Clan del Golfo s’affrontent régulièrement. Avec un pieu, mettez la main sur les villages situés tout le long des fleuves Calima et San Juan, voie de sortie de la cocaïne vers le Pacifique.

Près de 300 000 déplacés victimes du conflit armé ont trouvé refuge dans les quartiers pauvres du port de Buenaventura, route majeure d’exportation de la drogue vers les États-Unis, où toute l’économie locale est également étouffée par l’extorsion. .

Icône CitationAvant le vote, nous nous sommes réunis et avons décidé que tout le village voterait pour Petro parce qu’il avait dit qu’il allait aider les indigènes. » Basilio Olea Doirama, la zarra de Chano

Dans la périphérie rurale de Buenaventura, la guerre pour le contrôle des routes de la cocaïne fait rage et vide les villages du Pacifique colombien depuis des années. Le 30 janvier, neuf membres de la guérilla de l’ELN sont tués par l’armée colombienne, non loin du grand port du Pacifique, et 21 capturés. L’ELN négocie non sans mal depuis fin 2022 avec le nouveau gouvernement de gauche. Un nouveau cycle de négociations pourrait s’ouvrir, avec une trêve bilatérale à l’ordre du jour. Le projet de « paix totale » du nouveau président concerne également les trafiquants de drogue qui accepteront de se rendre à la justice en échange d’avantages légaux.

Il leur a fallu deux jours pour se rendre au bureau de vote pour y glisser leur bulletin

L’élection de Gustavo Petro, l’an dernier, a suscité de l’espoir en Colombie, notamment parmi ces populations du fleuve. Le zarra de Chano, Basilio Olea Doirama, raconte : « Avant les élections, nous nous sommes rencontrés et avons décidé que tout le village voterait pour Petro parce qu’il avait dit qu’il allait aider les indigènes. »

Alors que, lors du référendum de paix en 2016, les autorités de Quibdo, chef-lieu du département du Choco, leur assuraient ne pas pouvoir y participer, elles ont cette fois obtenu « l’autorisation des commandants des groupes armés ».

Les 325 électeurs de Chano sont ensuite descendus sur l’eau, en canoë, jusqu’à Bellavista. « Seuls quelques gardes sont restés avec les enfants. Il leur a fallu deux jours pour se rendre au bureau de vote pour y déposer leur bulletin et deux jours pour revenir. Quatre jours pour garder leur espoir vivant. « La paix totale prônée par Petro serait bonne, nous serions plus libres », veut croire Basilio Olea Doirama.


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Cammile Bussière

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