En Cisjordanie, l’autre guerre menée à bas bruit par Israël contre les Palestiniens
Alors que tous les regards sont tournés vers la bande de Gaza, l’État hébreu intensifie sa répression dans ce territoire occupé, tout en gagnant du terrain pour étendre ses colonies.
Dans la vallée du Jourdain, entre les chaînes de collines brûlées par le soleil se nichent des champs verdoyants, ponctués ici et là de bétail et de villages. Cette vaste région agricole, située au nord de la Cisjordanie occupée, devrait voir une multitude de nouveaux bâtiments sortir de terre dans les prochains mois, alors qu’Israël a annoncé la saisie de 800 hectares de ce territoire palestinien. Il s’agit de « une nouvelle mesure spectaculaire et importante pour la colonisation » Juif, a annoncé Bezalel Smotrich, ministre israélien des Finances.
Située entre Israël et la Jordanie, la Cisjordanie est fragmentée depuis des années entre localités palestiniennes et colonies israéliennes, illégales aux yeux de l’ONU, mais pas aux yeux de l’État hébreu. La colonisation de ce territoire s’est encore accélérée au cours des six derniers mois, depuis l’attaque du Hamas en Israël et la riposte qui a suivi dans la bande de Gaza, il y a tout juste six mois ce dimanche 7 avril.
En 2023, les colons israéliens ont établi 26 avant-postes – souvent un ensemble de préfabriqués placés près d’une colline sans autorisation fonctionnaire de l’État hébreu –, selon un rapport de l’association Peace Now (en PDF). « Un nombre record » depuis 1996, assure l’ONG israélienne, qui milite pour la solution à deux États. Au total, plus d’un tiers d’entre eux (dix avant-postes) ont été installés depuis les attentats terroristes du 7 octobre. « Les colons ont vu la guerre entre Israël et le Hamas comme une opportunité d’établir de nouveaux avant-postes, les yeux rivés sur la bande de Gaza »» déclare Allegra Pacheco, chef de projet au West Bank Protection Consortium, un réseau d’ONG internationales opérant en Cisjordanie.
La plupart des avant-postes sont situés dans La zone C de la Cisjordanie, qui représente 60 % du territoire et dont Israël est chargé d’assurer la sécurité et l’administration. L’Autorité palestinienne est responsable de la zone A et gère également l’administration de la zone B, dont la sécurité est cependant confiée à l’État hébreu. « Une fois établis, les avant-postes ne sont pas reconnus par Israëlexplique Pierre Motin, porte-parole de l’ONG française Plateforme pour la Palestine (PFP). Mais le La plupart du temps, ils attireront de plus en plus d’Israéliens à travers le développement des activités pastorales et agricoles… Jusqu’à ce qu’ils soient légalisés par les autorités israéliennes. » Toujours selon Peace Now, 15 avant-postes ont été régularisés en 2023.
Les Palestiniens contraints de partir
A proximité de ces installations, les affrontements entre colons et Palestiniens sont fréquents. Mais les violences commises par les Israéliens ont augmenté en nombre et en intensité. Les attaques de colons sont passées de trois par jour en moyenne avant le 7 octobre à huit par jour, selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). « Avant, les Palestiniens s’étaient habitués aux violences régulières et aux tentatives d’intimidation de la part des colons »raconte Ana*, une humanitaire de Médecins du monde qui soutient les victimes d’attentats. « Maintenant, ils savent que s’ils tentent de leur tenir tête, ils se feront abattre. »
Selon les observateurs, les colons israéliens sont bien plus armés qu’avant. Le 10 octobre, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a distribué des fusils d’assaut et a annoncé l’achat de 10 000 armespour créer « une équipe de protection civile ». Certains ont commencé à revêtir des uniformes militaires, imitant les membres de l’armée. Dans un rapport, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) affirme avoir enregistré au cours des trois dernières semaines d’octobre « des dizaines de cas de colons portant entièrement ou partiellement l’uniforme de l’armée israélienne et équipés de fusils militaires, et harcelant et attaquant des Palestiniens ».
« Les Palestiniens ne savent pas à qui ils font face. Mais ils savent qu’ils peuvent être attaqués à tout moment. »
Ana, humanitaire en Cisjordanie pour Médecins du mondesur franceinfo
« Ces événements ont brouillé la frontière entre la violence des colons et la violence de l’État, y compris celle menée dans l’intention déclarée de transférer de force les Palestiniens hors de leurs terres. »dénonce le HCDH.
Face à ces violences, le nombre de départs forcés a également fortement augmenté. Entre le 7 et le 31 octobre, 878 personnes issues des communautés d’éleveurs palestiniens ont été déplacées, soit presque autant qu’entre janvier 2022 et septembre 2023, lorsque 1 105 personnes sont parties, toujours selon l’agence onusienne. Parmi eux se trouvent par exemple des membres de la communauté bédouine de Wadi As-Seeq, située autour de la ville de Taybeh. Les colons « arrivés par dizaines, en uniforme militaire, avec des fusils. Ils sont entrés dans nos tentes, ont volé notre or, notre argent, nos vêtements, des jouets d’enfants, deux voitures »» a déclaré l’un des bergers à franceinfo le 17 octobre.
La vallée du Jourdain, un lieu stratégique
Ces départs forcés par centaines s’inscrivent dans une stratégie d’accaparement des terres par Israël. Déjà, avant l’attaque du 7 octobre, l’État juif ne cachait pas son ambition d’étendre les colonies existantes dans le territoire occupé. Entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, « la construction d’environ 24 300 logements a été initiée ou approuvée » par le gouvernement israélien, « ce qui représente le nombre le plus élevé jamais enregistré depuis le début du suivi en 2017 »selon le HCDH.
Le nombre de personnes vivant dans les colonies de Cisjordanie reconnues par Israël (environ 500 000 selon les chiffres du Bureau central israélien des statistiques publiés mi-septembre), devrait donc augmenter. Cela représente 5 % de la population israélienne et 13 % de la population totale de Cisjordanie, qui comprend 3,2 millions de Palestiniens.
« Nous ne sommes plus dans une situation d’occupation, mais d’annexion qui ne dit pas son nom. »
Pierre Motin, porte-parole de l’ONG française Plateforme pour la Palestinesur franceinfo
« Deux raisons sont avancées pour justifier la colonisation : le sionisme messianique, qui considère que le véritable Israël inclut tous les territoires palestiniens, ou des considérations stratégiques et sécuritaires »dit Pierre Motin. Sur ce deuxième point, la vallée du Jourdain ne manque pas d’intérêt pour l’Etat hébreu. En 2020, le chef du gouvernement israélien, Benjamin Netanyahu, avait annoncé son intention d’annexer la région. Cette bande de terre, qui représente 30% de la Cisjordanie, « est la région la plus fertile de Palestine »explique le PFP sur son site. « Le climat permet aux agriculteurs de récolter trois à quatre récoltes par an à condition d’avoir accès à l’eau, qui est abondante dans le sous-sol. »
Là encore, depuis le 7 octobre, les colons israéliens ont renforcé leur contrôle sur la vallée du Jourdain. « Les colons se sont emparés de 400 hectares supplémentaires et ont clôturé les zones saisies » avant le début de la guerre à Gaza, rapporte l’ONG B’Tselem, le centre d’information israélien sur les droits de l’homme dans les territoires occupés, dans un rapport datant de mars. « Ils ont également installé des barrages routiers pour empêcher les Palestiniens d’accéder aux routes agricoles qu’ils utilisaient dans le passé. »
L’impuissance de l’Autorité palestinienne
En zone C, l’Autorité palestinienne est impuissante. « Israël, en tant que puissance occupante, a l’obligation de protéger les Palestiniens. Ils ne peuvent pas compter sur les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne parce que les accords d’Oslo de 1993 leur interdisent d’opérer dans la zone C. La communauté internationale n’assure pas de protection.« , insiste Allegra Pacheco. Dans le reste de la Cisjordanie, l’inertie de l’entité gouvernementale est pointée du doigt.
« Une très grande partie de la population critique l’Autorité palestinienne pour son rôle de substitut aux forces d’occupation israéliennes. »
Pierre Motin, porte-parole du PFPsur franceinfo
« Sortez ! », « Le peuple veut la chute du président ! »», pouvait-on entendre dans les manifestations qui ont secoué le territoire à la mi-octobre, après le début de l’offensive israélienne à Gaza. Une référence à Mahmoud Abbas, à la tête du pays depuis près de vingt ans, mais totalement impuissant face à la montée des violences dans le territoire occupé et qui a vu son gouvernement voler en éclats en février. « Abbas a et avait déjà une très faible crédibilité. On lui reproche de ne pas avoir obtenu grand-chose sur le plan politique, d’avoir adopté des modes d’action qui ne portent pas de fruits et de continuer à coopérer avec les autorités israéliennes sans obtenir d’avantages politiques ».analysait fin octobre Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche au CNRS, pour Indiquer.
Mais au-delà de la zone C, les libertés des Palestiniens sont également menacées. Depuis le 7 octobre, les autorités israéliennes ont installé de nouveaux points de contrôle en Cisjordanie et bloqué les routes reliant les villages palestiniens. « La plupart des routes principales ont été fermées. Un trajet qui vous prenait normalement dix minutes vous prend désormais une heure et demie. Et quand on arrive à un checkpoint, on peut attendre des heures. »souligne Kareem Issa Jubran, membre de l’ONG israélienne B’Tselem.
Des mesures toujours plus restrictives
Les camps de réfugiés palestiniens sont également de plus en plus la cible de raids et de groupes armés. Ces attaques sont présentées par les autorités israéliennes comme « opérations antiterroristes ». Par exemple, les maisons du camp de Nur Shams, dans le nord de la Cisjordanie, ont été détruites par des bulldozers en octobre, tandis que le camp de Jénine a fait l’objet d’un raid de trois jours mené par l’armée israélienne en décembre.
La communauté internationale a dénoncé à plusieurs reprises la violence des colons et le processus de colonisation. « Il n’appartient pas au gouvernement israélien de décider où les Palestiniens doivent vivre sur leurs terres »La France a déclaré en janvier, lorsque Joe Biden a qualifié les violences de « menace grave pour la paix, la sécurité et la stabilité » de la région.
En février, Paris a interdit l’entrée sur le territoire français à 28 colons israéliens. « extrémistes » et Washington a décrété de nouvelles sanctions financières. Des mesures encore trop faibles, selon Pierre Motin : « Ce que nous attendons, c’est que ces sanctions soient étendues aux organisations de colons, aux ONG qui soutiennent la colonisation ou aux dirigeants des colonies. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
*Le prénom a été modifié.