Vue depuis l’Asie, la guerre en Ukraine, qui obsède les Européens et figurera au menu du sommet du G7 qui se tiendra du 13 au 15 juin en Italie, apparaît comme une tragédie périphérique. Deux autres sources de tension ont dominé le Dialogue Shangri-La, cette grand-messe annuelle des cercles de défense de l’Indo-Pacifique qui s’est déroulée à Singapour, du 31 mai au 2 juin : Taïwan, mais surtout, de manière plus inattendue pour un Observateur européen, la péninsule coréenne. Et ce, malgré la présence surprise à Singapour du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, accueilli en guest star par les organisateurs de l’Institut international d’études stratégiques.
Ce décentrement des regards s’est illustré de manière particulièrement emblématique lors de l’intervention du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à la tribune du Dialogue Shangri-La, le 1euh Juin. Invité à s’exprimer aux côtés de son homologue sud-coréen, Shin Won-sik, lors d’une séance dont le thème était « gestion de crise dans un contexte concurrentiel », le ministre français n’a eu qu’à répondre à une ou deux questions du public, composé principalement de fonctionnaires et de chercheurs spécialisés. A l’inverse, c’est une longue série de questions qui assaillent le ministre sud-coréen de la Défense assis à ses côtés.
Ce regain d’inquiétude est lié à différents facteurs. Tout d’abord, l’agressivité de plus en plus décomplexée envers Séoul de la part de Pyongyang, qui a inscrit son statut d’État nucléaire dans sa Constitution, fin 2023. Une agressivité qui passe par des lancements de missiles toujours plus nombreux. perfectionnés – notamment hypersoniques – et, plus récemment, par le lancement de ballons chargés de détritus. Ensuite, il y a le rapprochement de plus en plus visible entre le régime nord-coréen et la Russie, amorcé mi-2023 – notamment avec la fourniture d’obus d’artillerie de Pyongyang à Moscou. « On entend de plus en plus souvent en Asie que la situation dans la péninsule coréenne est en réalité plus dangereuse que celle autour du détroit de Taiwan. »confirme Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne.
Le virage économique de la Corée du Sud
Face à cette nouvelle équation, dans laquelle le rôle de la Chine reste ambigu, Séoul a donc amorcé un pivot à la fois économique et militaire. Alors que la Corée du Sud est en principe protégée par le « parapluie nucléaire » américain, Séoul a décidé, depuis le tournant des années 2020, d’investir dans la modernisation de sa défense anti-missile, afin de s’acquérir une forme d’autonomie de réponse en cas d’urgence. d’une crise. De même, alors que Séoul est en principe signataire du traité de non-prolifération nucléaire, une part de plus en plus importante de l’opinion publique sud-coréenne appelle à en sortir et à se doter d’un arsenal capable de rivaliser avec celui de la Corée du Nord.
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