Dans les rues de Phoenix, l’organisation Aliento encourage les électeurs à se rendre aux urnes. Ils ont notamment en tête le sort des familles d’exilés, à l’heure où Kamala Harris et (surtout) Donald Trump font campagne sur le thème du contrôle de l’immigration.
L’énergie de Reyna Montoya déborde. Ses journées sont longues, mais la fondatrice d’Aliento, une organisation de jeunes sans-papiers et d’Américains nés de parents exilés, doit motiver ses troupes. « Demandez aux électeurs ce qu’ils pensent du vote » dit le trentenaire d’une voix forte. Devant elle, samedi 12 octobre, une vingtaine de jeunes s’apprêtent à faire du porte à porte dans les rues de Phoenix, sous un soleil écrasant.
Comme Reyna Montoya, beaucoup n’ont pas le droit de voter. Pourtant, chacun entend se faire entendre, à l’approche d’une élection présidentielle qui s’annonce des plus cruciales, notamment pour les immigrés aux Etats-Unis.
« Votre meilleur outil est votre propre histoire »raconte l’équipe Angel Palazuelos, 22 ans, un autre visage d’Aliento. L’organisation, née en 2016, lutte pour les électeurs hispaniques et de la jeune génération de se rendre dans les bureaux de vote de l’Arizona. Avec un sujet en tête : la défense des droits des familles immigrées. Le candidat républicain Donald Trump a fait du contrôle de l’immigration clandestine un thème central de sa campagne, matraquée, meeting après meeting, à grand renfort de fausses informations racistes. Consciente du poids du sujet dans l’opinion publique, sa rivale démocrate Kamala Harris entend également mieux contrôler les entrées sur le territoire.
« Venez en équipe ! »dit Reyna Montoya. Les membres d’Aliento partent par paires ou trios, à la recherche d’électeurs à mobiliser. Jeunes et Hispaniques « sont en faveur des immigrés, mais souvent ils ne votent pas. Comment combler cet écart ? », interrogéet la jeune femme. Depuis 2020, le sujet fait partie des priorités des membres de l’organisation. Encore plus en 2024.
Leurs efforts visent également la proposition 314, qui fera l’objet d’un référendum en même temps que l’élection présidentielle en Arizona. « Informer les électeurs de cette mesure. Expliquez-leur clairement pourquoi nous sommes contre », insiste Reyna Montoya lors de sa formation éclair en porte-à-porte. Si le « oui » l’emporte, toute entrée irrégulière dans l’État deviendra un délit. Les forces de l’ordre locales pourront arrêter ces migrants, et les juges de l’État pourront initier des expulsions, rapporte le site spécialisé de la vie politique américaine. Bulletin de vote.
L’idée est défendue par les élus républicains. « C’est un sujet que l’État doit résoudre, compte tenu de l’absence de contrôles aux frontières« , a plaidé le sénateur Ken Bennett. De son côté, le représentant Ben Toma défend un projet « contre l’illégalité, pas contre l’immigration ». « Il s’agit de sécuriser notre frontière, car le gouvernement n’a pas fait son travail. » En décembre 2023, les arrestations pour entrées irrégulières ont atteint un record à la frontière. Une majorité d’électeurs, 63%, semblent favorables à cette proposition, selon un sondage réalisé en août par l’institut Noble Predictive Insights.
La proposition 314 rappelle des souvenirs douloureux à Reyna Montoya. Celles de la fin de son adolescence, au tournant des années 2010, au moment de la loi SB 1070 qui durcissait les mesures contre l’immigration irrégulière. « Ma mère ne me laissait pas aller au cinéma avec mes amis. Nous ne voulions pas risquer d’être expulsés, elle témoigne. Les élèves n’allaient plus à l’école de peur que leurs parents ne soient expulsés. »
« La rhétorique anti-migrants est amplifiée. Nous voulons redonner du pouvoir à ces jeunes sans-papiers. Rappelez-leur qu’ils peuvent faire quelque chose, même s’ils ne peuvent pas voter.
Reyna Montoya, fondatrice d’Alientosur franceinfo
Angel Palazuelos frappe à une nouvelle porte, sous les décorations d’Halloween, au cœur d’un quartier résidentiel. L’homme qui ouvre la porte a entendu parler de la proposition, mais sa compagne veut en savoir plus. « Cela risque de séparer les familles (immigrés). J’avais 4 ans quand je suis arrivé aux Etats-Unis. » soutient le membre d’Aliento. Le jeune couple écoute, s’accorde et accepte de voter « non ». « Cela vous donne de l’énergie » Glisse Angel, un sourire discret.
D’une rue à l’autre, Angel Palazuelos combat aussi le discours qui décrit l’immigration « comme première cause des catastrophes » aux États-Unis. « Nous sommes des boucs émissaires », résume le jeune homme. Il oppose l’histoire de sa famille à celle d’une mère qui quitte le Mexique « chercher une vie meilleure et travailler dur »et un fils, récemment diplômé de l’Arizona State University, qui a l’intention de devenir ingénieur biomédical. « Je peux offrir un bien meilleur retour sur investissement pour l’Arizona. »il plaide. Le jeune homme rappelle que les sans-papiers paient des impôts, à hauteur de 700 millions d’euros par an dans l’Etat, selon l’American Immigration Council. « Alors quand j’entends qu’on mange des chats et des chiens, (comme l’a dit Donald Trump à propos des immigrants haïtiens dans l’Ohio), Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer. »
« Ces discours ont un impact sur chaque immigré. Les gens disent que nous sommes des criminels. Cela nous plonge dans une forme de honte. »
Ángel Palazuelos, membre d’Alientosur franceinfo
Quelques jours plus tôt, à Phoenix, Angel Palazuelos avait lancé une nouvelle session de « phone banking », ces appels adressés aux électeurs. Ce 7 octobre était le dernier jour pour les inviter à s’inscrire sur les listes électorales. Après une table ronde entre les membres d’Aliento pour faire connaissance, quelques confidences ont été échangées. « Je suis directement concerné : mes frères et sœurs sont citoyens américains et mes parents sont sans papiers », puis a livré Daniela Chavira, 22 ans, derrière de fines lunettes rondes. Elle-même, arrivée du Mexique à l’âge de 10 mois, est en situation irrégulière. « Je pense à l’impact majeur que le gagnant aura sur ma vie. »
En salle et en visioconférence, plus de 40 bénévoles et salariés se sont donnés. « Je vous appelle pour vous encourager à penser aux immigrants lorsque vous allez voter. » répétèrent Daniela et ses acolytes. Chaque élection est « essai » pour la jeune femme, mais celle-ci l’est peut-être encore plus. Il y a sept ans, l’administration Trump a commencé à séparer les familles de migrants à la frontière. a temporairement mis fin au programme « Dreamers ». Ces protections né sous Barack Obama, rétabli par la justice puis renforcé par Joe Biden début 2021permettre aux jeunes immigrés sans papiers, arrivés lorsqu’ils étaient enfants, d’étudier et de travailler aux États-Unis. Daniela n’a pas pu postuler, à son grand regret : « Ma vie aurait probablement été très différente. »
Sa plus grande crainte, en cas de victoire de Donald Trump, est d’être « persécuté » et que sa famille est déchirée par les expulsions. « Je ne veux pas vivre dans cette peur, voir mes parents avoir peur. » insiste-t-elle, sa voix douce mais sérieuse. L’ancien président veut lancer « la plus grande opération d’expulsion de l’histoire des États-Unis ». Il ciblerait 11 millions d’étrangers en situation irrégulière, dont Daniela et ses parents.
« J’aime ma culture, mais je serais renvoyé dans un pays que je ne connais pas du tout. J’ai grandi ici. C’est tout ce que je sais. »
Daniela Chavira, membre d’Alientosur franceinfo
À ses yeux, une présidence Harris serait plus rassurante, mais la jeune diplômée émet des réserves : « Il y a un candidat qui me déteste, qui déteste mon existence et celle de ma communauté. Elle, je ne sais pas si elle est avec moi ou contre moi. Le candidat démocrate a récemment soutenu « un chemin vers la citoyenneté », Et « une politique migratoire humaine en Amérique ». Mais elle défend aussi une posture plus ferme et plus sûre à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique..
En ce matin torride d’octobre, Saul Rascon rejoint Avril Valenzuela et José du porte-à-porte dans la « Vallée du Soleil », surnom de Phénix. Le « Dreamer » est revenu de Californie durant l’été pour prêter main forte à une équipe qu’il connaît bien. Il y a à ses yeux une urgence de mobilisation face à des discours qu’il considère comme étant « le plus conservateur depuis longtemps »y compris dans le camp démocrate. Le jeune homme fustige « un virage à droite »avec une priorité donnée à la sécurité des frontières. Son point de vue est tout aussi désillusionné à l’égard de l’administration sortante. En 2020, Joe Biden était un « moindre mal » face à Donald Trump, mMais quatre ans plus tard, Saul se sent « une profonde déception » devant le « manque d’action » pour les immigrés sans papiers.
Les électeurs sollicités sont parfois indifférents, voire hostiles. « Les gens vous diront que vous êtes un étranger en situation irrégulière. (…) Ils croient tout savoir à cause des discours qui les ciblent. Ça me brise le cœur », dit Saul Rascon. Il voit le trumpisme gagner du terrain autour de lui, notamment chez les hommes hispaniques, ainsi que chez d’anciens amis de lycée, pourtant enfants de sans-papiers. A Buckeye, la ville de ses parents, des drapeaux « Trump 2024 » flottent, représente-t-il. Un voisin a même tagué : « Rentrez chez vous, espèce de clandestins ! »
« Il y a des tensions. J’essaie de parler anglais quand j’entre dans un commerce »témoigne Nancy Salazar, la mère de Saul. « Je sens que le comportement des gens change dès qu’ils comprennent que je ne parle pas bien cette langue. »
Le 5 novembre prochain, Nancy Salazar et Saul Rascon devront se tenir à l’écart des bureaux de vote. Avril Valenzuela sera la seule de sa famille à voter, elle qui est née sur le sol américain il y a 22 ans. « Cette année, Je sais bien mieux ce qui est en jeu pour ma communauté », souligne la jeune femme, fille unique de parents sans papiers. Elle utilisera son bulletin de vote en pensant à eux, a « ces familles aiment (s)« Je ressens une immense pression. »