« Si quelqu’un entre par effraction chez moi, il sera abattu », avait assuré Kamala Harris le 19 septembre devant Oprah Winfrey. Avant d’ajouter, avec un rire inimitable pour mille : « Peut-être que je n’aurais pas dû dire ça. » Mais derrière ce sourire, le vice-président américain avait certainement parachevé cette annonce. Car le démocrate est régulièrement accusé, notamment par la National Rifle Association of America (la NRA), le puissant lobby des armes à feu aux Etats-Unis, d’être un adversaire du deuxième amendement. C’est lui qui donne le droit à tous les Américains de posséder une arme à feu, dans un pays où 393 millions d’armes à feu sont en circulation, soit plus de 120,5 armes pour 100 habitants.
Donald Trump, soutenu par le lobby des armes, ne cesse de répéter que si elle est élue, la démocrate « retirera leurs armes aux Américains ». Une menace qui fait pâlir de nombreux citoyens des États-Unis. Surtout en Arizona. Dans ce « swing state », qui peut basculer du côté démocrate ou républicain selon les élections, les armes sont une véritable religion. Oui, plus encore que dans le reste des Etats-Unis, où l’adage « in Guns we trust » est presque aussi important que « in God we trust ».
Des lois « exceptionnellement laxistes »
Dans l’État du Grand Canyon, vous n’avez pas besoin de permis pour porter une arme, même si elle est visible. Il n’est donc pas rare de faire la queue pour un délicieux hot-dog de Sonora, spécialité locale, à côté d’un anonyme ostensiblement armé. « L’Arizona est l’un des États dotés des lois sur les armes à feu les plus permissives. Elle est notée F par le Giffords Law Center (la note la plus basse possible), un groupe de pression pour la régulation des armes à feu, analyse Didier Combeau, spécialiste des Etats-Unis et auteur de Les Américains et les armes : démocratie et violence aux États-Unis.
« Les lois sont exceptionnellement laxistes en Arizona », déclare Alex Young, professeur à l’Université d’Arizona. Et ils pourraient encore s’adoucir. « Les républicains, qui contrôlent le corps législatif de l’État, ont cherché à autoriser les armes à feu sur les campus de nos universités publiques », explique le spécialiste de la culture des armes à feu aux États-Unis. Près de la moitié des adultes possèdent une arme à feu dans cet État perpétuellement ensoleillé, frontalier du Mexique, selon le média CBS.
Le paradis des milices armées
Le long de la frontière américano-mexicaine, en Arizona, il n’est pas rare de croiser des groupes paramilitaires anti-migrants, en patrouille, armés jusqu’aux dents. En 2016, le journaliste Shane Bauer publiait une longue enquête sur son immersion au sein de la milice Three Percent United Patriots, dont l’objectif affiché était de « chasser les Mexicains », armés d’armes de guerre. Ces milices armées sont moins courantes de l’autre côté de l’échiquier politique, mais elles ont commencé à émerger ces dernières années. Il existe une branche de la Redneck Revolt, un groupe antifasciste et anticapitaliste qui porte ouvertement des armes, à Phoenix, la principale ville de l’Arizona. Il s’agit d’une émanation du John Brown Gun Club, dont les membres figurent sur la photographie illustrative de cet article.
Généralement associée à la droite, la question des armes à feu est donc plus complexe qu’il n’y paraît, outre-Atlantique. « De nombreux Américains de toutes allégeances politiques, de toutes origines géographiques, de tous genres, de toutes orientations sexuelles, de toutes couleurs et de toutes croyances possèdent des armes à feu », assure David Yamane, professeur de sociologie à Wake University Forest et auteur de Gun Curious : le voyage surprenant d’un professeur libéral dans la culture américaine des armes à feu. « Et les nouveaux propriétaires d’armes – surtout depuis 2020 – deviennent particulièrement diversifiés. Nous ne devrions donc pas être surpris que Kamala Harris, une femme métisse de gauche originaire de Californie, possède une arme à feu. Il ne faut pas non plus s’étonner qu’un professeur de sociologie américano-asiatique, de gauche et originaire de San Francisco, possède des armes à feu », souligne-t-il en référence à son cas personnel.
« Certains Américains peuvent se décider dans l’isoloir sur ce seul point »
« Le droit de posséder une arme est un élément central de l’identité régionale de nombreux Arizoniens, en particulier les républicains. Il n’est pas rare de voir des véhicules circuler sur les routes nationales avec le logo du deuxième amendement. sur leurs vitres arrière », illustre Alex Young. Pour de nombreux Américains, « le libre accès aux armes constitue un symbole de l’équilibre des pouvoirs entre l’État, notamment le gouvernement fédéral, et les citoyens. Ceux-ci, en possédant des armes, ont la possibilité de les prendre contre un gouvernement devenu tyrannique », explique Didier Combeau. Avant d’ajouter : « Et comment sait-on quand un gouvernement devient tyrannique ? Quand il se met en tête de contrôler les armes… » Dans ces conditions, le sujet est forcément explosif pour les candidats à la Maison Blanche. Car, assure Didier Combeau, « certains Américains peuvent se décider dans l’isoloir sur ce seul point ».
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La déclaration de Kamala Harris, se présentant comme une propriétaire d’armes capable de se défendre en cas d’intrusion, est « très politiquement chargée », concède David Yamane. Et, ajoute-t-il, il s’agit d’une « stratégie visant à détourner les critiques de ses opposants politiques qui la présentent comme anti-armes ». Une tactique particulièrement judicieuse en Arizona, où le le droit à la légitime défense est essentiel et où chaque voix compte. Joe Biden n’avait devancé Donald Trump que d’une courte tête en 2020, avec moins de 20 000 voix d’avance.