Plus d’un milliard de tonnes. Cette quantité, difficile à imaginer, représente les déchets plastiques qui pourraient s’accumuler en 2060 dans le monde si rien ne change, selon une projection datant de 2022 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). À Busan, en Corée du Sud, 175 pays se réunissent actuellement, jusqu’au 1er décembre, pour tenter de conclure un traité international sur la pollution plastique. L’objectif pour les plus ambitieux : parvenir à un accord contraignant afin de réduire la production de plastiques, ce qui s’annonce difficile.
Henri Bourgeois-Costa, directeur des affaires publiques de l’économie circulaire et de la pollution plastique à la fondation Tara Océan, est présent sur place en tant qu’observateur. Il nous explique pourquoi ce texte est fondamental pour la protection des océans (entre autres).
En 2024, 353 millions de tonnes de déchets plastiques ont été produites. En 2060, l’OCDE prévoit 1 014 millions de tonnes si rien ne change. Quel impact cela aurait-il sur le monde ?
Les conséquences sont plus ou moins mécaniques, c’est-à-dire qu’on s’attend à ce que la production de plastique soit presque multipliée par trois, et donc presque par trois les déchets. Tout simplement parce que nous n’avons pas d’amélioration significative envisagée dans les systèmes de collecte-traitement. La modélisation de l’OCDE nous laisse imaginer que nous passerons de 9 % de collecte et de recyclage du plastique au mieux aujourd’hui à 12 % en 2060.
Une autre conséquence importante est la contribution majeure de la production de plastique aux émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, nous sommes à 4% des émissions mondiales, et les projections officielles sont à 15% d’ici 2050. Concernant les dimensions toxiques du plastique, on sait désormais que 16 000 molécules chimiques sont impliquées dans la production et la dégradation des plastiques, dont 4 200 sont identifiées comme toxique pour la santé humaine et l’environnement.
Ce n’est donc pas avec une démarche de collecte et d’amélioration du recyclage que l’on pourra résoudre ce problème. Cela nous ramène vraiment à un impératif de réduction.
Quel impact cette pollution aurait-elle sur les océans ? Les continents dits plastiques pourraient-ils s’étendre ?
Ces zones de concentrations de plastique, que l’on retrouve dans tous les océans et toutes les mers, en Méditerranée, dans l’Atlantique Sud ou Nord, etc., ont retenu l’attention du public et des médias, mais il ne s’agit pas uniquement de pollution plastique. Il y a notamment tous les plastiques qui ont une forte densité et ont tendance à polluer les fonds marins. Je ne me risquerais pas à faire des projections sur ces concentrations.
Mais ce que l’on sait, c’est que la pollution plastique aurait évidemment un impact bien plus important sur l’ensemble des écosystèmes, déjà très dégradés. Dans certaines zones, comme en Méditerranée, nous avons des concentrations qui dépassent largement la quantité de matière vivante. Les travaux de la mission Tara Méditerranée ont mis en évidence des zones de concentration où les gyres, ces courants qui rassemblent l’eau en un lieu donné, contiennent bien plus de 80 % de plastique dans la masse collectée.
Aux Fidji, la perte de rendement de la pêche liée à la pollution plastique a été estimée à 600 000 dollars. Nous nous dirigeons vers un monde invivable puisque les plastiques détruisent notre alimentation, notre santé, notre cadre de vie. C’est un peu horrible de dire ça comme ça, mais ce terme « habitabilité » de la Terre va prendre de plus en plus de sens.
La Fondation Tara documente depuis vingt ans la pollution plastique des océans. Comment avez-vous vu la situation évoluer ?
Nous nous sommes beaucoup intéressés aux océans car c’est là que nous avons découvert le problème dans les années 1970. Les macro-déchets d’abord, puis avec le travail Tara sur les micro-déchets.
Il existe une inertie très importante entre l’essentiel de la production, de la consommation, de la pollution plastique qui se produit sur terre et en mer. C’est-à-dire qu’il faut beaucoup de temps pour remarquer des changements. dans un sens ou dans un autre, concentration ou dégradation. La part des macrodéchets, donc des gros déchets visibles, diminue légèrement, et celle des microdéchets augmente légèrement.
Notre dossier sur les plastiques
Quand on regarde les rivières, comme nous l’avons fait avec la mission microplastiques Tara, on constate qu’il y a déjà beaucoup de microplastiques dans l’eau douce. Cela révèle probablement un gigantesque stock terrestre. Et chaque fois qu’il y aura un épisode climatique assez fort – des orages, des pluies un peu violentes – cela va emporter des zones urbaines et des zones agricoles qui contiennent beaucoup de plastique déposé au fil du temps ou plus récemment.
Et le problème, c’est qu’il n’y a pas d’effet immédiat. Nous ne sommes pas immédiatement giflés lorsque nous jetons du plastique. Mais nous devons être conscients que ce que nous faisons actuellement est très grave et prend des proportions complètement folles.
La pollution plastique constatée il y a vingt ans venait d’une époque où l’on consommait infiniment moins qu’aujourd’hui. Il y a une urgence absolue non pas à se concentrer sur la manière d’éliminer ce qui est déjà dans les milieux naturels – car de toute façon, ce n’est pas réalisable -, mais sur la façon dont arrêter de continuer à déverser autant ?