Le témoignage d’Aude, habitante du Finistère Sud, est émouvant. À l’âge de 11 ans, sa petite sœur Manon, alors en cinquième, sombre dans l’anorexie. Et à 23 ans, elle est décédée.
C’est son professeur qui fut le premier à tirer la sonnette d’alarme. Immédiatement, ses parents consultent leur médecin généraliste qui les oriente vers un psychiatre. « Non, c’est normal », leur dit-il. En fait, pas du tout : « Ce n’était pas seulement une crise d’adolescence », précise Aude.
Les repas deviennent conflictuels. « Manon jetait des verres d’eau. Elle a également arraché la peau de ses mains et de ses cheveux », se souvient-elle. Sa croissance s’arrête : il va descendre « en dessous de la barre des 30 kg sur 1,40 mètre ».
Aller-retour entre la maison et l’hôpital
Dès la 4e année, elle fait de fréquents déplacements entre la maison et l’hôpital. Quimper, Nantes, Rennes… Certains soignants ne sont clairement pas formés à cette pathologie. « Ils nous ont dit : « Tout ce qu’elle a à faire, c’est manger ! » » Mais « elle n’y arrivait pas ».
Il n’y avait aucun moyen qu’elle soit prête à guérir.
A certains moments, Manon est soumise à de lourds contrats (1). « Au début, elle ne pouvait pas nous appeler et les visites étaient interdites. » L’adolescente a fini par « mettre fin au système » : « Au moment des pesées, elle s’assurait d’avoir pris un peu de poids. Donc, elle avait droit à des sorties », se souvient Aude. Mais « en aucun cas elle n’était prête à guérir ».
En 2016, Manon décède d’un arrêt cardiaque, conséquence d’une hyperkaliémie, soit un taux élevé de potassium dans le sang. Son décès survient une semaine après l’accouchement d’Aude. « C’est la marraine de mon fils… »
Huit ans plus tard, elle s’en veut encore : « Étions-nous assez présents ? Beaucoup de questions se posent. Des questions pour lesquelles nous n’aurons jamais de réponses… »
« Un véritable parcours du combattant »
Selon l’Inserm, « environ 20 % des jeunes filles adoptent à un moment de leur vie des comportements restrictifs et de jeûne, mais seule une minorité d’entre elles deviennent anorexiques ». Et, si, selon le CHU de Nantes, l’anorexie mentale présente « le taux de mortalité le plus élevé des troubles psychiatriques », les patients survivent. Comme Anne-Lise, qui, après avoir « taquiné », est tombée dans l’anorexie à 14 ans. « J’en ai souffert pendant six ans, je pesais entre 45 et 37 kg avec une quinzaine d’heures de sport par semaine », explique la jeune femme, remise après quatre mois d’hospitalisation.
Estelle, qui vit désormais à Saint-Brieuc, a elle aussi réussi à vaincre ses démons. Mais cela a été douloureux, « un vrai parcours du combattant ». Le déclencheur de son anorexie ? « C’est une chose très stupide, à 13 ans », reconnaît-elle. « Un garçon m’a fait une remarque sur mon poids alors qu’à l’époque, je mesurais 1,62 m et pesais 53 kg. » A partir de là, elle commence à « faire attention ». Puis, tout s’accélère : en seulement six mois, elle passe de 53 à 34 kg. « Je ne mangeais que des pommes et des desserts à la vanille. »
« J’ai même pensé au suicide »
Sa mère décide de l’hospitaliser. « Elle ne voyait pas d’autre issue. » Après trois mois à l’hôpital du Morvan à Brest, elle est transférée en psychiatrie à Bohars. Elle y restera plusieurs mois. « Là, ils ont mis en place un contrat de poids. Pendant un mois, je suis resté enfermé dans ma chambre. » Dans cet univers plus que compartimenté, elle n’a pas le droit de lire, de porter autre chose qu’un pyjama… Pour aller aux toilettes, elle est accompagnée. « En fait, les médecins me donnaient des repas seulement pour m’occuper (…). C’était brutal. Je l’ai très mal vécu, j’ai même pensé au suicide. Mais en même temps, ça m’a sorti de là. »
Il y a cependant eu des rechutes. « Il y a eu des hauts et des bas, confirme-t-elle. En ville, elle est alors suivie par un pédopsychiatre. «J’ai aussi eu un traitement», ajoute-t-elle.
Je n’en pouvais plus, il fallait que ça s’arrête.
Nouvelle épreuve : au lycée, elle sombre dans la boulimie. « J’étais tellement frustré… Là, je me rassasiais, je mangeais beaucoup. Et puis je me suis fait vomir. Donc je ne prenais pas de poids. » Un deuxième trouble alimentaire – une « obsession » – auquel elle a été confrontée jusqu’à l’âge de 27 ans. L’élément déclencheur pour tout arrêter ? « Clairement, je n’en pouvais plus. Je me suis également séparé de mon partenaire. C’était un nouveau départ. »
A 30 ans, Estelle va rencontrer celui qui deviendra son mari. D’origine marocaine, il « cuisine très bien ». A ses côtés, « j’ai repris une alimentation normale », déclare-t-elle.
Comportement « autodestructeur »
Oriane est elle aussi revenue de l’enfer. A 33 ans, elle habite à Montauban (Tarn-et-Garonne). Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’elle a développé une anorexie. « Le facteur déclencheur, c’est le travail, confie-t-elle.
Insidieusement, le mal s’installe : « J’ai commencé à manger beaucoup moins. J’avais aussi des comportements de vomissement. » Elle va même jusqu’à prendre des laxatifs « à très fortes doses ». « Je n’étais pas limité à un ou deux comprimés, je pouvais en consommer un comprimé entier en une seule fois. » Comportements « autodestructeurs », combinés à une pratique sportive intensive. « À une époque, je devais faire 1 500 redressements assis par jour ; sinon, ça n’a pas marché. »
Je ne t’ai pas donné naissance pour te voir mourir. Cette maladie vous tue.
Son mari s’en rend compte. Il essaie de lui parler. Effort inutile. «Je ne l’ai pas entendu du tout», avoue Oriane. C’est une « dispute » avec son père, puis les propos de sa mère qui vont la faire réagir. « Ma mère m’a pris dans ses bras et m’a dit plein de choses, très calmement, notamment « Je ne t’ai pas accouché pour te voir mourir. Cette maladie vous tue. Le clic vient de là. » Elle pesait alors 37,5 kg.
Les médecins m’ont dit que j’étais fou de refuser l’hospitalisation.
Si elle accepte un traitement, elle exclut une hospitalisation. «Les médecins m’ont dit que j’étais folle de refuser», dit-elle. Elle a cependant entamé une thérapie et consulté une diététicienne. A ses côtés, il y a aussi son mari. « Il m’a aidée à sortir du drame de la prise de poids, en me parlant plutôt de « grammes de vie » », sourit-elle.
Cependant, cette période sombre laisse encore un héritage douloureux. « Et on ne parle jamais de ça », déplore-t-elle. « Lorsque votre corps entre en pause, ce qui est le cas de l’anorexie, le système reproducteur aussi. Mes règles ne sont jamais revenues. » C’est pourquoi ils se sont tournés vers PMA, toujours avec l’espoir de devenir parents.