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« Elle ne fera aucun cadeau », comment survivre à l’ascension de la Bonette à 2802m d’altitude ?

A deux jours de l’arrivée finale à Nice, la 19e étape du Tour de France propose ce vendredi un menu gargantuesque avec la très attendue ascension du col de la Bonette. La route asphaltée la plus haute du pays (2.802 m), qui n’avait plus été empruntée par la Grande Boucle depuis 2008 et le triomphe de Cyril Dessel, pourrait bien réserver quelques surprises.

« C’est une émotion indescriptible. Au moment où tu passes la ligne et que tu vois tous ces journalistes devant toi, tu te rends compte que sur la centaine de gars qui ont pris le départ le matin, c’est toi qui viens de gagner. Il n’y a plus de souffrance, ce moment est magique. » Quand Cyril Dessel se souvient du 22 juillet 2008, il n’a pas besoin de fouiller au plus profond de sa mémoire. Les souvenirs affluent, précis et vivaces. Le « numéro » de l’Allemand Stefan Schumacher sur les rampes de la Lombarde, le saut d’ange du Sud-Africain John-Lee Augustyn, « tombé dans un ravin mais sans trop de blessure », et surtout son « ultime effort » pour rattraper Sandy Casar et ses autres compagnons d’échappée à Jausiers. Ce jour-là, le Saint-Étienne de 33 ans, qui avait brièvement porté le maillot jaune deux ans plus tôt, remportait la 16e étape du Tour de France, disputée entre le Piémont et les Alpes du Sud. Pas le moins prestigieux, hérissé de deux ascensions hors catégorie dont le méconnu Col de la Bonette, trait d’union entre les Alpes-Maritimes et les Alpes-de-Haute-Provence.

« Elle n’a peut-être pas le prestige du Tourmalet ou du Galibier, ni le Stelvio ou le Zoncolan, mais c’est un morceau étrange, le sommet de la Bonette. Quand on est là, on a presque l’impression de toucher le ciel », sourit Cyril Dessel, directeur sportif reconverti de l’équipe Decathlon-AG2R La Mondiale, qui n’a pas oublié les « sensations uniques ressenties là-haut ». Seize ans après sa dernière apparition, la Bonette retrouve (enfin) les honneurs du Tour de France cet été. Inscrite au casting de la 19e étape, longue de 145km ce vendredi entre Embrun et la station d’Isola 2000, elle pourrait en surprendre plus d’un. Et punir la moindre imprudence chez les leaders du classement général.

Une fois le col de Vars (18,8km à 5,7%) digéré en guise d’apéritif, les coureurs se lanceront en groupe à l’assaut du monstre. La route goudronnée la plus haute d’Europe et ses confins mystérieux. Une montée de 22,9km avec une pente moyenne de 6,8%, des pourcentages raides et un point culminant perché à 2802m. « A l’entraînement, cela représente entre 1h15 et 1h30 de montée. C’est un col vraiment difficile, car à part un ou deux replats, on est toujours sur du pourcentage. Il faudra s’accrocher. Le passage à plus de 2000m d’altitude sera un moment difficile. En troisième semaine, avec la fatigue, l’altitude aura forcément son rôle à jouer, même si on s’entraîne tous en altitude », appuie David Gaudu, grimpeur de la Groupama-FDJ.

« Une plongée dans l’inconnu »

« Sur le papier, on peut dire qu’on a déjà vu des profils plus effrayants. Mais ce qui en fait un col fabuleux, c’est qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver à une telle altitude. La Bonette ne fera pas de cadeaux et, pour beaucoup, ce sera un plongeon dans l’inconnu. Ils n’auront plus de repères et il y aura automatiquement des échecs », prédit l’ancien professionnel Amaël Moinard, qui aimait défier la bête au moins une fois par an à l’entraînement, après être tombé sous son charme en 2008 lorsqu’il portait les couleurs de Cofidis. Ce n’est que la cinquième fois que le Tour s’élancera vers les pentes lunaires de ce joyau du Parc national du Mercantour, royaume des marmottes immergées il y a encore quelques semaines dans une immensité blanche. L’élégant et populaire grimpeur espagnol Federico Bahamontes fut le premier à le franchir en tête en 1962 et 1964, avant d’être imité en 1993 par l’Ecossais Robert Millar et en 2008 par John-Lee Augustyn. Plus récemment, le Giro s’y est également aventuré pour pimenter la fin de son édition 2016.

« C’est un terrain de jeu idéal pour faire des écarts, d’autant plus sur un format d’étape assez court en termes de kilomètres. On peut imaginer que tout le monde n’attendra pas Isola 2000 pour tenter une manœuvre et que certains voudront tenter une manœuvre avant la descente de la Bonette. A l’inverse, ça peut être terrible si tu es dans un mauvais jour, même pour des coureurs expérimentés, habituellement à l’aise en montagne. Tu peux avoir une grosse sélection, avec des gars éparpillés un peu partout. Le conseil que je peux donner, c’est de gérer son effort dès le départ et de ne pas sous-estimer ce qui se passe ensuite », prévient Amaël Moinard, qui a fait de son mieux sur l’étape de Jausiers pour suivre le jeune Vincenzo Nibali. Ne pas tout donner dès le départ, pour ne pas noyer ses jambes dans un bain d’acide lactique, c’est aussi ce que se répétait Cyril Dessel en 2008. « J’ai passé toute la montée à essayer de canaliser mon leader, le Slovène Tadej Valjavec, qui visait une belle opération au classement général et qui voulait qu’on roule fort tout de suite », rejoue-t-il. « Mais on se serait mis dans le rouge avant d’aborder les portions les plus dures. Et il a fini par craquer… On a tellement peu de marge qu’il faut être absolument sûr de soi quand on décide d’accélérer. Sinon on s’épuise et on explose. »

Un défi pour tout coureur lorsque l’air est rare

Là où les passages à plus de 24% du col de la Loze auraient pu tourner à la séance de torture l’an dernier sur le Tour, pour les naufragés du gruppetto et même pour un Tadej Pogacar en détresse, c’est davantage le manque d’oxygène qui peut être redouté dans la Bonette et ses 10km à plus de 2000m d’altitude. Un cap psychologique et physiologique pas si simple à comprendre quand la route se cabre et que l’air se raréfie. « Au niveau de la mer, on a 100% d’oxygène disponible. Jusqu’à 1000m, on dit que ça ne change pas grand-chose. Entre 1000m et 2500m, on parle de moyenne altitude. Ensuite, on est dans la haute altitude jusqu’à 5000m. Et au-delà, c’est vraiment de la très très haute altitude avec une dégradation de l’organisme. A 2800m, on va surtout constater une baisse des performances physiques. Au niveau du VO2max, la puissance maximale aérobie d’un cycliste, on peut perdre 10 à 15% sur nos performances habituelles. C’est assez variable selon les individus. A titre de comparaison, ce chiffre peut monter jusqu’à 40% à 4800m », souligne le professeur de physiologie Jean-Paul Richalet, qui a consacré sa carrière à l’analyse des réactions de l’organisme au manque d’oxygène en altitude.

« Plus on monte, moins il y a d’oxygène disponible pour le métabolisme et le fonctionnement musculaire », observe le Dr Alain Ducardonnet, consultant santé pour BFMTV et médecin sur la Grande Boucle de 1982 à 1993. « Le cœur bat plus vite, on doit respirer davantage, donc on atteint plus vite nos capacités maximales. Cela va jouer sur la fatigue et l’accumulation de lactate. Une personne qui n’a pas l’habitude de faire du sport va s’essouffler rien qu’en marchant un peu vite à 2000 m. Mais sur le Tour de France, on a affaire à des sportifs d’exception. » Des champions ultra-entraînés qui ont aussi l’habitude de migrer une partie de la saison aux Canaries ou dans la Sierra Nevada, spots parfaits pour affronter les effets de l’altitude. « Lors de ces stages, on cherche notamment à produire de l’EPO naturelle (l’érythropoïétine, une hormone qui stimule la production de globules rouges, ndlr). Le fait d’être en altitude va forcer l’organisme à s’adapter. Avec le manque d’oxygène disponible, qui ne peut pas être remplacé par la respiration, la moelle osseuse va être stimulée et le nombre de globules rouges va augmenter. Et quand on redescend au niveau de la mer, on est beaucoup plus efficace », note Alain Ducardonnet.

L’altitude et la déshydratation signifient « un échec certain »

Une telle préparation n’empêche pas toujours les mauvaises surprises. « Quand la respiration s’accélère et que le rythme cardiaque augmente, il faut être assez malin pour aller moins vite, ne pas suivre le même rythme que pour un col de 1 500 m, et accepter de garder quelques cartouches pour ne pas se retrouver en énorme difficulté dans la dernière partie de la Bonette. Et puis certains ont les yeux tellement rivés sur leur capteur qu’ils oublient parfois des règles simples comme boire ou manger… », constate Amaël Moinard, qui recommande « un apport en sucre toutes les 15 à 20 minutes » lors de l’ascension. Car la déshydratation combinée à l’altitude, « c’est l’échec assuré », acquiesce Jean-Paul Richalet. « L’air est sec en altitude, donc on se déshydrate plus vite, on hyperventile. On perd beaucoup d’eau et il faut vraiment penser à boire le plus possible, surtout en cas de très forte chaleur. Si on perd 2% de son eau corporelle, on perd 20% de ses performances. Il faut aussi bien s’alimenter pour éviter l’hypoglycémie et le crash brutal », insiste le docteur en sciences naturelles.

« Sur ce type de montée, ne pas manger suffisamment peut être dramatique. Je me souviens d’un coureur qui s’était écroulé à l’arrivée d’une étape avec quatre gros cols, il avait fait une énorme crise d’hypoglycémie », poursuit Alain Ducardonnet. Puisque les organisateurs ont opté pour un menu gargantuesque ce vendredi, à deux jours de la grande finale à Nice, l’enfer ne fermera pas ses portes une fois arrivé à la Cime de la Bonette. Il faudra encore endurer la montée décisive vers Isola 2000 (16,1 km à 7,1 %), et avant cela, négocier la périlleuse descente de la Bonette. « C’est toujours un moment délicat. Il faut en profiter pour récupérer mais rester vigilant et manger à nouveau. On pédale moins, le rythme cardiaque baisse, mais ce n’est pas un mince effort », explique Amaël Moinard. « Regardez ce qui est arrivé à Augustin… C’est peut-être l’effort violent qu’il a fourni dans le dernier kilomètre pour passer devant qui lui a fait perdre sa lucidité et entraîné sa grossière erreur de trajectoire au début de la descente », illustre Cyril Dessel. Projeté dans le vide, Augustin a dû s’accrocher aux rochers pour retrouver la route tel un alpiniste, aidé miraculeusement par un spectateur. Quant à son vélo, la légende raconte qu’il continue de rouler au fond des précipices.

Rodolphe Ryo, à Embrun (Hautes-Alpes)

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Jeoffro René

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