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Elections législatives 2024 : un électorat catholique déchiré

L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale a déjà réveillé les divisions entre catholiques. « Les amitiés se sont terminées et je me suis disputé avec ma mère »», affirme Édouard, 30 ans, catholique pratiquant, qui votera pour le Nouveau Front populaire dimanche 30 juin. Les divisions se font jour, notamment sur les réseaux sociaux. Ainsi, le 13 juin, le collectif écologiste chrétien Lutte et Contemplation critique ouvertement le député européen LR François-Xavier Bellamy, catholique revendiqué, qui affirme qu’il pourrait voter pour le RN afin de bloquer l’union de la gauche : « Rejoindre l’extrême droite, c’est nier deux mille ans de tradition chrétienne d’accueil des étrangers. »

Mais s’il est dans toutes les têtes, le sujet reste tabou chez les catholiques, notamment dans les paroisses, par crainte de diviser les communautés. D’autant que, selon une enquête Ifop pour La Croix, réalisé dimanche 9 juin, le vote des pratiquants réguliers est particulièrement dispersé de l’extrême gauche vers, dans des proportions plus importantes, l’extrême droite.

Déchirés, les catholiques doivent prioriser entre plusieurs sujets essentiels pour eux, comme la bioéthique, la lutte contre la pauvreté, l’écologie, mais aussi la défense de l’identité chrétienne ou celle des valeurs familiales traditionnelles. Comme le reste des Français, ils sont tiraillés : faut-il bloquer le RN ? Aux extrêmes en général ? Voter pour la majorité présidentielle, après d’âpres débats sur la fin de la vie ?

L’avocat Erwan Le Morhedec, 49 ans, a par exemple milité sans relâche contre l’euthanasie et le suicide assisté ces derniers mois. Alors qu’il n’aura le choix, dimanche 30 juin, qu’entre l’extrême droite, un candidat LFI et un candidat Renaissance – LR se désistant – cet homme fidèle à la « droite sociale » l’avoue.  » en colère « . Après s’être senti profondément discrédité par le gouvernement lors des débats sur la fin de la vie, il éprouve de l’amertume à l’idée d’être appelé au vote de la raison. « J’ai le sentiment que nous avons été piétinés pendant tout un mandat et que nous, les catholiques, sommes censés être sages et raisonnables et voter contre les extrêmes » il soupire, exaspéré.

Restaurer une fraternité endommagée

Pour Thomas (1), haut fonctionnaire de la « droite classique », ce qui importe le plus, c’est le rétablissement d’une fraternité endommagée. Ce trentenaire engagé auprès des Petits Frères des Pauvres place la reconstruction du « lien social distendu », qui s’incarne à travers l’engagement, le bénévolat« le fait de se tourner vers les autres pour se sentir membre d’une communauté ». Une sensibilité qui le tient à distance des fêtes « qui oppose les communautés les unes aux autres », c’est-à-dire, pour lui, l’extrême droite et La France insoumise.

D’autres catholiques ont choisi de mettre les préoccupations sociales et écologiques au premier plan. Pour la première fois le 30 juin, Édouard votera à gauche au nom du « défense des plus pauvres et des isolés ». Comme Camille, 24 ans, étudiante à Normale-Sup, engagée pour la transition climatique. Par son vote, elle espère participer à « une lueur d’espoir » et la construction d’un « un monde plus juste et positif ». Elle s’est largement appuyée sur la doctrine sociale de l’Église ainsi que sur les écrits de la philosophe Simone Weil. « Mon moteur est l’amour infini du Christ pour le mondeElle ajoute. Quand nous voyons comment Jésus se comporte avec les personnes les plus pauvres et marginalisées, cela nous montre comment nous devons agir. » Cependant, ce choix ne se fait pas sans tension avec d’autres valeurs. Camille relègue volontairement les questions de bioéthique à plus tard.

Contre les chrétiens qui, dans un forum à La Croix, appelant explicitement à voter contre l’extrême droite, Clément (1), catholique pratiquant, vote pour le RN. Ce communicant de 27 ans critique une société « sans éducation, sans principes moraux, là où la sécurité tombe à l’eau ». Rejeter le « Délire wokiste », il se dit attaché à la recherche d’un « société harmonieuse » qui préserverait un patrimoine culturel national et une anthropologie qui défendrait ce patrimoine« un homme est un homme, une femme est une femme ». « Je crois que les combats que je mène politiquement reflètent le désir de cette société harmonieuse inspirée par le Christ. »

Il reconnaît volontiers une tension entre sa foi et ses convictions politiques : « Et j’espère que pour chaque chrétien cette tension existe ! » S’il souvent « aidé les immigrés»il « distingue l’ouverture d’esprit sur le plan personnel et la rigueur à l’échelle nationale »parce que, il juge« L’immigration met en danger le bien commun ».

Mettre les extrêmes dos à dos ?

Certains n’hésitent cependant pas à affirmer que le christianisme exclut automatiquement certaines positions. Pour Erwan Le Morhedec, l’Évangile est un « force de modération » ce qui l’empêche de voter pour l’extrême droite. « Il ne me permet pas de regarder l’inconnu à travers le prisme de mes irritations passagères », il insiste. Selon lui, le RN entretient toujours une « compromis avec une violence raciste latente ». Même réserve pour Thomas. Tout en pensant que l’immigration pose des difficultés, il souhaite « qu’il soit ébranlé par la voix du pape ».

Pour certains, le rejet du RN va de pair avec celui de l’extrême gauche. Thomas estime que LFI a « entretient une forme d’antisémitisme ». Au « centre gauche » aussi, Véronique Fayet, ancienne présidente du Secours catholique, juge que l’extrême droite et LFI nourrissent des positions démagogiques et violentes. « Ce sont soit des discours contre les immigrés, soit contre les riches »déplore celui qui aspire à « des positions constructives qui nous permettront de vivre ensemble ».

Face à la polarisation de la vie politique, Véronique Fayet veut avant tout croire que « Les catholiques ont un rôle à jouer en tant qu’artisans de paix et de réconciliation. » Fustigeant la condamnation morale des électeurs RN « Qui sommes-nous pour juger de la moralité des gens ! » –, elle est favorable à un grand débat sur l’immigration, pour aborder ce sujet qui divise sur le fond et ainsi « déconstruire les discours démagogiques ».« Nous devons regarder ce qui nous unit en tant que chrétiens : accueillir les jeunes, les handicapés, les pauvres, y compris les migrants. » dit-elle en mentionnant les bénévoles du Secours catholique très impliqués auprès des migrants, qui ont pourtant voté RN. « Ce qui nous divise, ce sont les idéologies et les peurs : il faut prendre le temps du dialogue pour revenir vers les gens. » Et peut-être inventer des lieux de débat entre catholiques.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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Un vote fragmenté

Lors des dernières élections européennes, 18% des catholiques régulièrement pratiquants ont choisi le Rassemblement national, et 10 % d’entre eux Reconquête !, selon une enquête Ifop pour La Croix réalisée le 9 juin 2024. 42% de l’ensemble des catholiques pratiquants ont voté pour des listes situées à l’extrême droite. Au niveau national, le RN de Jordan Bardella a obtenu 31,4% et Marion Maréchal, 5,5%.

Par ailleurs, 16% des pratiquants réguliers ont voté pour François-Xavier Bellamy des Républicains, 10 % pour Valérie Hayer de Renaissance, 11 % pour Raphaël Glucksmann (Place publique-Parti socialiste) et 9 % pour Manon Aubry de La France insoumise.

Pendant ce temps, La Croix se veut un lieu de dialogue, notamment entre catholiques. Dans les prochains jours, des enquêtes ou des forums viendront enrichir les éclairages pour illustrer la diversité des opinions et entretenir le débat.

Les évêques doivent envoyer une prière cette semaine à distribuer aux fidèles rappelant les enjeux des élections.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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