Il s’agit d’une position assez rare pour un chancelier allemand. D’autant plus pour un homme aussi prudent qu’Olaf Scholz.
Dimanche après-midi, lors d’une interview accordée à la première chaîne de télévision allemande ARD, Olaf Scholz a mis les pieds dans le plat. Le chancelier a ouvertement exprimé son inquiétude quant à la situation politique en France.
« Je suis préoccupé par les élections en France, je veux le dire clairement », a expliqué le dirigeant. « J’espère que les partis qui ne sont pas celui de Le Pen, pour ainsi dire, gagneront les élections. Mais c’est aux Français et aux Françaises de décider.»
Quel que soit le résultat des élections françaises, « nous continuerons à voir le président français Emmanuel Macron dans les instances où je siège », a expliqué Olaf Scholz. « Mais ce serait quand même un changement. Les résultats dramatiques des élections européennes dans certains pays me dépriment au moins autant que le résultat que nous avons connu ici en Allemagne. »
Assis dans un fauteuil rouge, avec une vue panoramique sur Berlin derrière lui, le « sphinx allemand » a soigneusement pesé ses paroles et ses gestes tout au long de cet entretien de 30 minutes. Mais il a quand même franchi le rubicond.
« Le chancelier sait qu’il n’a pas grand-chose à perdre dans sa relation avec Jordan Bardella ou Marine Le Pen, en souhaitant publiquement la victoire de leurs adversaires », souligne Jacob Ross, chercheur à l’Institut allemand de politique étrangère.
Lors des élections européennes, le Parti social-démocrate a enregistré son pire score depuis 1949, avec à peine 13,9 % des suffrages. Mais si l’extrême droite allemande et des membres de la droite conservatrice ont appelé le leader à convoquer également des élections anticipées, Olaf Scholz s’est bien gardé de prendre une telle mesure.
Le coup de poker du président Macron est à des années-lumière des pratiques politiques d’un chancelier taciturne et ultra-cérébral comme Olaf Scholz.
Adepte des discours monotones, surnommé « Scholzomat » lors des élections législatives de 2021 pour sa propension à agir comme un automate et souvent dessiné avec le même visage impassible, qu’il soit heureux, triste ou colérique, Olaf Scholz répète souvent : « Je ne peux que dire quoi. peut être dit de manière responsable. »
Perçue comme un kamikaze, voire irresponsable, l’audace napoléonienne du dirigeant français en a en revanche surpris plus d’un, reflétant en partie les différences culturelles entre les deux pays.
En France, si la dissolution est décriée par les troupes présidentielles, elle s’inscrit toujours dans une tradition gaulliste d’appel au peuple. On y voit aussi la quintessence de la démocratie. En Allemagne, du fait du poids de l’Histoire, elle est plutôt perçue comme une forme de populisme dangereuse pour les institutions.
Dans les jours qui suivirent, il fut impossible pour un Français résidant en Allemagne de rencontrer quelqu’un sans qu’on lui demande ce qui était arrivé à Emmanuel Macron. Et à l’étonnement s’est vite ajoutée l’inquiétude, au vu des sondages.
Samedi, deux d’entre eux créditaient le RN et ses alliés de 35,5 à 36% des intentions de vote au premier tour des législatives, suivi par la gauche (27 à 29,5%), et loin devant le bloc centriste du président Macron. (de 19,5 à 20%).
Ces dernières années, la France a été la boîte à idées de l’Europe. Qu’adviendra-t-il de la politique européenne de la France si Emmanuel Macron doit gérer la cohabitation avec le Rassemblement national ? Qu’adviendra-t-il des négociations sur l’union des marchés des capitaux ?
Les députés du Rassemblement national n’ont cessé de dénoncer « le manque de fiabilité de Berlin » et « les dangers provoqués par les programmes européens SCAF et MGCS » sur l’avion et le char du futur. « Sur les programmes de défense, le RN sait que certains industriels français souhaiteraient quitter les programmes de coopération et joue là-dessus », estime Jacob Ross.
Mais avant d’affronter le résultat du second tour des élections françaises, Olaf Scholz devra gérer un problème plus immédiat : proposer d’ici le 3 juillet un projet de budget 2025, alors qu’il manque environ 25 milliards d’euros pour équilibrer les comptes et que sa coalition est déchirée. sur les économies à réaliser. « Nous devons nous débrouiller avec l’argent dont nous disposons. C’est la seule solution », a-t-il sobrement déclaré.
En septembre, il devra ensuite passer par des élections régionales qui s’annoncent désastreuses pour la coalition. Puis absorber l’impact d’une élection présidentielle américaine, où Donald Trump est jusqu’ici le favori.
De quoi faire ressembler les mois à venir à une descente aux enfers. Et testez encore un peu la résilience du « sphinx allemand ».
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