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Elections législatives 2024 : avec sa préférence nationale, le RN promet un « apartheid à la française »

L’égalité violée, la fraternité oubliée, la République piétinée. C’est la matrice de la « préférence nationale » (rebaptisée « priorité nationale » par le RN), mantra suprême du projet d’extrême droite. Un totem censé apporter, selon les lépénistes, une réponse à l’immigration, au chômage, au pouvoir d’achat des Français, au remboursement de la dette… Autant d’idées fausses propagées dans un seul but : séparer les étrangers – même binationaux – ceux qui possèdent un passeport franco-français.

En 2024, la « préférence nationale », théorisée par les fascistes dans les années 1980, reste plus que jamais l’élément central du programme RN. « C’est le but de ce parti, s’il abandonne ça, il n’est rien. »résume Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite.

Selon son programme présidentiel, Marine Le Pen souhaite introduire dans la Constitution « la priorité nationale dans certains domaines, notamment pour l’accès à l’emploi et au logement » en ajoutant « l’institution de sanctions pénales ou administratives ». Un employeur, un propriétaire et un bailleur social seraient donc contraints de choisir le dossier d’un Français, sous peine de sanctions. Une menace couplée à d’autres mesures, dont le durcissement des conditions d’accès à la nationalité française et « l’expulsion des étrangers au chômage depuis un an »vider la France de ses immigrés.

Des arguments qui n’ont aucune valeur économique

Concernant le logement social, Marine Le Pen a même laissé entendre qu’il fallait expulser les familles étrangères, exprimant le souhait, en 2022, de « remettre sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers ». Un chiffre qui ne correspond à aucune donnée officielle.

Sur l’emploi, le RN rejoue en réalité son vieux refrain « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop » et continue d’attiser le fantasme selon lequel « L’immigration à bas prix est utilisée depuis des décennies pour faire baisser les salaires ».

En plus d’être xénophobes, ces arguments n’ont aucune valeur économique, rappelle Anthony Edo, économiste au Centre de prospective et d’information internationale : « La plupart des études concluent que l’immigration n’a aucun impact sur le salaire moyen ou sur l’emploi des autochtones. »

Mais le RN veut aller encore plus loin. En janvier 2024, Marine Le Pen a déposé un projet de loi constitutionnelle prévoyant que le « priorité nationale » dans l’accès à l’emploi et au logement constitue « un droit constitutionnellement invocable ».

Des centaines de milliers de travailleurs potentiellement privés d’emploi

Ce texte vise même à « interdire l’accès aux emplois de l’administration, des entreprises publiques et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui ont la nationalité d’un autre Etat ». Cet extrait en dit long sur le projet RN qui cible non seulement les étrangers, mais aussi les binationaux, soit 3,5 millions de personnes.

L’extrême droite continue de discriminer les citoyens en fonction de leurs origines, ce qui finit toujours par se retourner contre tout le monde. « Les étrangers, et donc les doubles nationaux, sont automatiquement considérés comme déloyaux et, à ce titre, devraient se voir interdire l’accès à l’emploi public. Bonne chance ! Que ce soit pour les médecins, les enseignants ou encore les éboueurs, l’emploi public repose en grande partie sur des travailleurs de nationalité étrangère ou de double nationalité. souligne Ian Brossat, porte-parole du PCF.

Les conséquences du projet RN seraient en effet catastrophiques pour des millions de personnes étrangères ou binationales, mais aussi pour le fonctionnement des services publics, et donc du pays. En 2022, les immigrés – dont certains ont pu obtenir la nationalité française – représentaient plus de 340 000 agents publics selon l’Insee.

16 346 médecins exerçant en 2023 sont par exemple des diplômés hors Union européenne venus exercer en France. La SNCF, La Poste, EDF emploient des milliers d’étrangers. Il faut ajouter à ces chiffres les salariés non français et binationaux de toutes les entreprises de services, comme pour la maintenance, la sécurité, l’informatique, la gestion des déchets, etc. Le RN prépare donc une hécatombe économique, civique et morale pour le pays. .

Vers une interdiction de se syndiquer ?

Sa proposition de réforme constitutionnelle prévoit en outre que le législateur a la liberté d’élargir « les conditions et les domaines où la priorité nationale peut s’appliquer » et de restreindre « les conditions d’accès des étrangers à tout emploi public ou privé, à l’exercice de certaines professions, activités économiques ou associatives, fonctions de représentation professionnelle ou syndicale, ainsi qu’au bénéfice des prestations de solidarité ».

Les textes restent assez vagues, mais les responsables du RN interrogés sur le sujet n’ont jamais nié leur ambition d’interdire aux étrangers d’accéder aux aides sociales. Une manière de rendre la vie impossible aux étrangers en les jetant dans la pauvreté. Les étrangers qui ont la chance d’avoir un emploi pourraient également se voir empêcher d’être représentants syndicaux, voire d’adhérer à un syndicat.

Une nouvelle atteinte à leurs droits fondamentaux qui constitue une attaque contre tous les travailleurs, mis en concurrence pour mieux réduire leurs droits. « Quelqu’un qui travaille et produit comme les autres n’aurait pas les mêmes droits et ne pourrait même pas se syndiquer pour lutter pour les obtenir. C’est scandaleux « , s’exclame Ian Brossat.

Normalisation jusqu’à la Macronie

En plus d’être préjudiciable à la vie des gens et au pays, ce projet de « préférence nationale » est, par essence, raciste. La genèse de ce principe ne laisse guère de doute. Introduit en 1985 par le Club de l’Horloge, groupe d’extrême droite dirigé par l’idéologue Jean-Yves Le Gallou, ancien FN et Reconquête, dans l’ouvrage Préférence nationale. Réponse à l’immigrationelle est explicitement dirigée contre les Nord-Africains.

Quels sont ceux qui ne peuvent pas s’intégrer pleinement – ​​à cause de leur couleur de peau ? – et devraient être poussés à quitter la France en leur supprimant leurs droits. « Contrairement à l’immigration européenne, l’immigration maghrébine n’est pas « fongible » : elle ne disparaît ni par retour ni par « naturalisation » »nous lisons dans ce livre.

Jean-Marie Le Pen, alors président du FN, ajoutait en 1988 : « Les gens vont rentrer chez eux car ils ne seront plus soutenus par les contribuables français. » La « préférence nationale » est donc en réalité une manière de rendre xénophobe le vieux slogan. « La France aux Français » plus acceptable. C’est aussi un projet de « remigration » qui ne dit pas son nom et un « Apartheid à la française », fustigeait SOS Racisme en 1998.

Et pourtant, en décembre 2023, selon une enquête du CSA, 71 % des Français se disaient favorables à la « préférence nationale ». Critiquant le rôle des principaux médias dans la normalisation de cette idée ainsi que les biais qui accompagnent ce type de sondages, l’historien Gérard Noiriel analyse ce chiffre : « Etant donné que nos sociétés restent organisées sur une base nationale, la majorité des Français pense qu’il est normal que ceux qu’ils ont élus défendent en priorité leurs intérêts », il se lamente dans Préférence nationale. Leçon d’histoire pour les contemporains (« Tracts », Gallimard, 2024).

La loi asile-immigration de Gérald Darmanin, en introduisant la « préférence nationale » dans l’accès à certaines prestations sociales, a également fortement contribué à rendre acceptable ce concept. Cette mesure a été censurée par le Conseil Constitutionnel pour « jeu décisif », confirmant le caractère anticonstitutionnel du projet lepéniste. Le RN souhaite donc modifier la Constitution par référendum. Mais les constitutionnalistes s’accordent sur le fait qu’un simple recours au suffrage universel ne suffirait pas. D’une part, parce que l’adoption d’un projet de loi constitutionnelle en plusieurs articles nécessite la majorité des voix de chacune des deux Chambres et la convocation d’un Congrès.

Et d’autre part, parce que « la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 consacre le principe d’égalité, tout comme le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », assure Pascal Caillaud, chercheur au CNRS. Ce n’est donc pas simplement une révision constitutionnelle, mais bien une toute nouvelle Constitution anti-républicaine que le RN devra imposer s’il veut mettre en œuvre son projet.

Le cauchemar de la « préférence nationale » est donc loin d’être réalisé. Mais décrypter cette mesure révèle ce qu’est fondamentalement le RN. Censé être « prêt à gouverner », elle vise à priver des millions de citoyens de missions de service public, en plus de condamner les travailleurs à la pauvreté. Il fait de l’exclusion des étrangers la clé de voûte de sa politique. « Le projet RN est une discrimination inscrite dans la loi française, une mesure purement raciste », prévient Ian Brossat.

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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