LL’élection du 5 novembre aux Etats-Unis décidera non seulement du nom du prochain locataire de la Maison Blanche, mais aussi de la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants.
La campagne qui s’achève a été ponctuée par les excès de Donald Trump dans des discours ouvertement racistes et misogynes et par des appels plus ou moins sourds à la violence politique pour intimider ses adversaires, faisant planer le spectre de l’attaque du Capitole le 6 janvier 2020 par des partisans de l’ancien. président. La campagne a également été marquée par l’acceptation croissante de ce type de discours, désormais considéré et traité comme « normal » par une partie importante des médias et de la population américaine.
L’attitude du monde des affaires reflète cette normalisation. Si une bonne partie de l’élite économique avait misé sur Hillary Clinton plutôt que sur Donald Trump en 2016, elle a su très bien s’adapter à la politique mise en œuvre par ce dernier, notamment en matière de baisse d’impôts. A l’inverse, les mesures prises par l’administration de Joe Biden pour tenter de rééquilibrer quelque peu le partage des richesses dans le pays, et sa position plus agressive dans la lutte contre les monopoles dans le numérique et au-delà, n’étaient pas de leur goût.
Financer des projets de déréglementation radicale
Si tous les partisans traditionnels du Parti démocrate ne sont pas allés jusqu’à choisir ouvertement Trump, ils se sont largement détournés de Joe Biden, et son remplacement par Kamala Harris n’a que partiellement changé la donne. Les partisans de cette dernière, comme le milliardaire Mark Cuban, poussent pour qu’elle revienne à un positionnement plus centriste et « pro-business », au risque de s’aliéner une partie de l’électorat démocrate de gauche comme cela avait été le cas. C’est le cas en 2016. Une bonne partie de l’establishment économique semble adopter une position de prudence et d’attente, mettant les deux candidats sur le même plan. Comme en témoigne la décision de Jeff Bezos, ancien patron d’Amazon, d’empêcher le Washington Postdont il est désormais propriétaire, pour soutenir officiellement la candidature de Kamala Harris, comme sa rédaction s’apprêtait à le faire.
Cette tiédeur ne fait que donner davantage de relief à l’activisme de certains partisans de Donald Trump, à commencer par Elon Musk, le patron de Tesla, SpaceX et X (ex-Twitter). En plus de faire ouvertement campagne en personne, le milliardaire finance les équipes et groupes de Donald Trump qui mènent des campagnes de désinformation dans les principaux États électoraux. Si le candidat républicain réussit, Musk devra présider une commission chargée de rendre le gouvernement fédéral plus « efficace » – en d’autres termes, opérer des coupes claires dans les départements et agences ainsi que dans les réglementations qu’ils sont chargés de mettre en œuvre. . Il aurait ainsi sous son contrôle les autorités publiques dont dépend la fortune de ses entreprises (comme la NASA pour Space X) et d’autres avec lesquelles il est actuellement en conflit. (1). Ce projet radical de dérégulation s’inscrit dans la lignée de celui formulé dans le « Projet 2025 » de la Heritage Foundation, membre du réseau Atlas, qui se veut le programme politique d’une future administration Trump.
Sanofi pro-républicains
Comme l’avait fait l’Observatoire des multinationales lors des précédentes élections, nous nous sommes penchés sur le financement politique des filiales des groupes français aux Etats-Unis, à partir des données compilées par OpenSecrets. (2). Les sommes des groupes français en jeu sont évidemment plutôt modestes comparées à celles qui ont été débloquées par des géants américains comme ExxonMobil ou Alphabet, la maison mère de Google. Il n’en demeure pas moins que, même en se concentrant sur l’argent qui transite par le « comités d’action politique » (PACs), les entreprises françaises ont versé de l’argent aux candidats au Sénat ou à la Chambre des représentants, privilégiant souvent le camp républicain.
Dans de nombreux cas, ce financement était même destiné aux hommes politiques de la faction la plus extrémiste du Parti républicain, qui contestent encore aujourd’hui la légitimité des élections de 2020 et ont refusé d’en approuver officiellement les résultats. Alors que tout porte à croire que Donald Trump et ses partisans contesteront leur défaite si Kamala Harris est déclarée vainqueur après le 5 novembre, ces candidats pourraient être amenés à jouer un rôle clé dans le sort de la démocratie américaine dans les semaines à venir.
Quels sont les groupes français concernés ? Celui qui arrive en tête de liste ne devrait pas surprendre puisqu’il est désormais, du moins dans l’esprit de ses dirigeants, plus américain que français : le géant pharmaceutique Sanofi. Son PAC a déclaré à ce jour 409 000 $ de contributions à la campagne, la majorité étant versée aux Républicains. Par exemple, il a fait don de 30 000 $ à chacune des commissions nationales républicaines du Sénat et du Congrès, et a financé les campagnes de plusieurs candidats qui ont refusé de reconnaître les résultats des élections de 2020, comme John Joyce Lloyd Smucker, Guy Reschenthaler et Mike Kelly de Pennsylvanie, Buddy Carter de Géorgie, Jason Smith du Missouri, Richard Hudson et Greg Murphy de Caroline du Nord. Une orientation politique plutôt trumpiste qui s’explique peut-être par la volonté affichée par Joe Biden et son administration de limiter le prix des médicaments dans le pays.
A quoi jouent les filiales des entreprises publiques françaises ?
Une autre catégorie d’entreprises françaises, plus inattendue, se distingue également par son financement politique : les groupes à capitaux publics comme Airbus, EDF, Engie et Thales. La première, contrôlée conjointement par la France, l’Allemagne et l’Espagne, affiche 276 000 dollars de cotisations, en grande majorité en faveur des Républicains. Selon l’organisation Donations and Democracy, l’Airbus US PAC a soutenu pas moins de 28 candidats républicains qui ont voté contre l’approbation des résultats de l’élection de 2020. Sur les six candidats ayant bénéficié chacun de la somme maximale versée (10 000 dollars), cinq ont refusé de reconnaître officiellement la défaite de Donald Trump.
LE comité d’action politique d’EDF aux Etats-Unis, où le groupe est principalement présent dans le secteur des énergies renouvelables, a versé 151 800 dollars de cotisations, dont 58 % pour les candidats démocrates. Toutefois, parmi les bénéficiaires de cette générosité de l’entreprise publique, on retrouve des républicains alignés sur le déni électoral trumpiste comme Bob Good (Kansas) ou Ben Cline (Virginie), ainsi qu’un versement de 10 000 $ au Comité national républicain pour le Sénat.
Le constat est le même chez Thales – qui affiche 54 500 $ de financement politique, à parts égales entre Républicains et Démocrates, mais avec des bénéficiaires comme John Carter (Texas), Frank Lucas (Oklahoma), Guy Reschenthaler (Pennsylvanie) ou Scott Franklin (Floride) – ou Engie, avec un financement de 27 000 $ dont bénéficient notamment Jason Smith (Missouri) – qui a notamment voté contre l’aide financière et militaire à l’Ukraine – ou encore Jeff Duncan (Caroline du Sud), opposé à la loi sur l’avortement, hostile à la lutte contre les discriminations à l’école ou aux mesures visant à limiter le réchauffement climatique. Dernier groupe concerné : Orano (ex-Areva), dont le PAC déclare seulement 2 500 $ de dons, à Chuck Fleischmann du Tennessee, également soutenu par EDF, qui a également voté contre l’approbation du résultat des élections de 2020.
Hors de la sphère publique, un autre groupe français se démarque : Pernod-Ricard consacre près de 63 000 $ de financement via son PAC, à 78 % pour les Républicains, dont plusieurs ont refusé de reconnaître le résultat des élections de 2020 : Carol Miller (Virginie occidentale), Jodey Arrington. (Texas), Tom Cole (Oklahoma), Garret Graves (Louisiane). Idem dans une certaine mesure pour Air Liquide, dont le PAC déclare 21 000 $ de financement, 83 % pour les Républicains. Parmi les autres groupes du CAC40, seuls ArcelorMittal et TotalEnergies semblent avoir mis en place un PAC, pour des montants négligeables. (3).
Un reflet des préférences des chefs d’entreprise ?
Lorsqu’elles sont pointées du doigt pour ce type de contribution politique, les entreprises concernées se défendent généralement en arguant qu’il ne s’agit pas de financement direct de leur part, mais de dons de leurs salariés transitant par une structure certes liée à l’entreprise. , mais indépendant de celui-ci. En réalité, la constitution d’un « comité d’action politique » est décidé par l’entreprise, qui a le pouvoir de désigner les personnes qui décideront à qui seront destinés les dons. Ce sont généralement les dirigeants de l’entreprise qui apportent les apports financiers. Les deux principaux donateurs du PAC d’EDF sont Tristan Grimbert, PDG de la filiale américaine, et Jim Peters, vice-président en charge du financement des projets. Son trésorier est Virinder Singh, responsable des affaires législatives et réglementaires – principal lobbyiste de l’entreprise à Washington.
À l’inverse, les contributions directes ne sont qu’un moyen parmi d’autres pour une entreprise ou un homme d’affaires d’influencer les campagnes électorales. Les PAC présentent en effet l’inconvénient d’être soumises à des obligations de transparence. Il est possible de contourner cet obstacle en acheminant l’argent via des structures plus opaques et en dirigeant la majorité des fonds vers des entités comme les « Super PAC ». Ces derniers, qui interviennent dans les campagnes, mais sans lien formel avec un candidat, sont souvent utilisés pour des campagnes de dénigrement ou de désinformation. Ils constituent l’un des instruments d’influence privilégiés des milliardaires sur la politique américaine. Elon Musk a en fait créé le sien cette année. Une autre façon pour les entreprises de rester discrètes sur leur soutien est d’acheminer les financements via des associations professionnelles sectorielles, comme la PhRMA qui regroupe toutes les multinationales pharmaceutiques, dont Sanofi évidemment. PhRMA a déclaré à ce stade 550 000 $ de contributions financières à la campagne 2024 et a également financé la Heritage Foundation, l’organisation ultraconservatrice derrière le « Projet 2025 ».
Les financements accordés par les PAC de groupes français comme Sanofi, Airbus ou EDF à des candidats républicains extrémistes constituent-ils une approbation de toutes leurs positions sur le climat, les droits sexuels, la migration ou le recours à la violence politique ? Dans la plupart des cas, non. Le choix des bénéficiaires reflète avant tout une bonne dose d’opportunisme et d’intérêts bien compris. Si Airbus se montre si généreux avec les candidats de l’Alabama et du Mississippi, deux Etats dominés par les républicains, c’est évidemment dû à l’implantation de son unique usine dans le pays. Mais ces contributions montrent aussi justement que pour les industriels, lorsqu’il s’agit de continuer à faire des affaires, la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas n’existe pas.
Olivier Petitjean (Observatoire des multinationales)
Photo d’un seul : Donald Trump et Kamala Harris sur la chaîne ABC News lors de leur débat du 11 septembre 2024 / © Romain Costaseca (Hans Lucas)