« La rapidité de construction des EPR est une question fondamentale », a rappelé le PDG d’EDF lors d’une audition à l’Assemblée nationale. Cet été, il a annoncé avoir mis ses équipes « l’objectif très ambitieux de démontrer que nous les construirons en 70 mois entre la première mise en service concrète et industrielle. Ce ne sera pas le cas sur le premier, qui sera le premier de sa série, mais l’objectif est d’atteindre les 70 mois le plus rapidement possible.soit de la paire du Bugey, soit même de celle de Gravelines. Les équipes d’EDF ont jusqu’à la fin de l’année pour trouver des solutions. La marche est très haute.
Un gain de trois ans pour construire les EPR
70 mois, c’est moins de six ans – contre 105 mois (près de 9 ans) prévus pour le premier EPR2 à Penly. L’objectif du sixième EPR2, construit dans le Bugey, était de 90 mois. Ce n’est donc plus 15 mois qu’il faut gagner entre le 1er et le 6, en bénéficiant de retours d’expérience et d’optimisations d’un site à l’autre, mais 35 mois… soit trois ans ! C’est énorme, d’autant qu’il n’y a déjà aucune garantie que les délais de construction visés pour l’EPR2 seront respectés.
Pour rappel, la construction de l’EPR de Flamanville (Manche), dont la mise en service industrielle est désormais prévue pour 2025, aura pris 18 ans. « Dans le monde, la durée moyenne de construction est encore d’environ 10 ans.rappelle l’analyse nucléaire Mycle Schneider, très dubitatif sur les objectifs d’EDF, même si les Chinois annoncent qu’ils construiront leurs nouveaux réacteurs dans moins de six ans. « Compte tenu de ses erreurs passées et présentes, la société EDF a perdu toute crédibilité quant à sa capacité à prédire la durée de construction d’un réacteur nucléaire »objecte-t-il.
EDF pourra déjà s’appuyer sur les enseignements tirés du projet EPR de Flamanville, dont les causes du retard ont été mises en avant dans le rapport Folz 2019 commandé par le précédent PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy.
Une nouvelle organisation interne
Pour respecter les coûts, la qualité et les délais, EDF a d’ores et déjà décidé de construire les EPR2 en série, et par paire. L’exploitant a également décidé de simplifier la conception de l’EPR dans son modèle EPR2, en standardisant tout ce qui pouvait être fait en matière de génie civil et d’équipements jusqu’à la préfabrication d’éléments ou de bâtiments entiers, comme la piscine combustible du bâtiment réacteur.
EDF a également travaillé avec ses fournisseurs dans le cadre du plan qualité Excell. Et ses deux filiales, Framatome et Arabelle Solutions, vont investir pour adapter leurs outils industriels à la production en série de générateurs de vapeur et de groupes turbocompresseurs EPR2.
En interne, EDF a créé en 2022 un poste de client interne, confié au haut responsable de l’énergie Nicolas Machtou, qui avait beaucoup manqué à Flamanville 3. Et le 1er avril 2024, l’entreprise s’est également dotée d’une nouvelle organisation des activités nucléaires avec une stratégie, des technologies , un service innovation et développement dirigé par Xavier Ursat qui est en charge de la maîtrise d’œuvre du nouveau projet nucléaire, un service projets et construction assurant la maîtrise d’œuvre de l’EPR2 dirigé par Thierry Le Mouroux, et un service ingénierie et supply chain, dirigé par Alain Tranzer. , ancien de PSA qui a piloté le plan Excell d’EDF pour retrouver la confiance dans le nucléaire.
Une revue de projet externe
De son côté, le gouvernement a créé en novembre 2022 une direction interministérielle du nouveau nucléaire (DINN) dirigée par Joël Barre, ancien délégué général à l’Armement, qui doit superviser la maîtrise d’œuvre du projet sur l’ensemble de sa partie publique. « Notre mission est de garantir que le programme ERP2 se déroule dans les meilleures conditions possibles »résume Joël Barre, rassurant sur l’objectif de 70 mois. « Lors du plan Messmer, le délai de réalisation était d’environ sept ans. Et la dégression que vise EDF, en annonçant l’objectif de 70 mois, correspond aux ordres de grandeur que l’on peut rencontrer dans les programmes industriels de masse, d’armement ou spatiaux.
Inspirés par les grands programmes d’armement et spatiaux, la DINN et EDF ont également mis en place une revue générale de maturité du projet, confiée à une équipe d’une quinzaine d’experts, dont un tiers d’experts nucléaires d’EDF, un tiers d’experts de l’Etat, la DINN et la DGA et un tiers d’experts industriels. Ils ont travaillé de mars 2023 à juillet 2024. Leur premier rapport de novembre 2023 concluait notamment que la conception de base n’était pas suffisamment mature pour passer à la phase de conception détaillée, c’est-à-dire les plans de construction définitifs. «Le comité d’experts a formulé 89 recommandations, qui ont toutes été acceptées par Luc Rémont, notamment celle de la mise en place d’un comité de suivi»précise Nicolas Machtou, directeur du nouveau programme nucléaire en France.
En juillet 2024, le deuxième rapport Guillou donne le feu vert au lancement des plans détaillés, qui doivent être finalisés à 75 % lors du premier bétonnage du premier EPR2 à Penly, prévu en 2028, soit dans à peine quatre ans. Des experts extérieurs réclament une régulation plus sécurisée, le lancement d’un nouveau programme nucléaire en France devant faire l’objet d’une loi qui n’a toujours pas été votée. Ils demandent également de sécuriser le mode de financement, alors qu’EDF aura déjà dépensé 3 milliards d’euros sur le projet fin 2024 et doit encore en dépenser 2 milliards en 2025 et 3 milliards en 2026.
Une task force « 70 mois »
Mais pour relever le nouveau défi de 70 mois, « Nous avons créé il y a quelques mois un groupe de travail pour rechercher de bonnes idées dans d’autres secteurs ainsi qu’à l’étranger et rechercher des innovations »explique Nicolas Machtou. Les équipes supply chain d’EDF se sont déjà rendues en Chine, où leur réacteur de Hualong a été construit en 68 mois.» Un modèle dont EDF veut s’inspirer pour optimiser l’organisation du génie civil, de l’aménagement, des transports et l’organisation des chantiers.
Ce sont les équipes de Gabriel Oblin, directeur du programme EPR2 depuis 2014, qui travaillent sur ces bonnes pratiques qui devront être partagées avec Eiffage, qui a remporté le marché de génie civil de Penly pour 4 milliards d’euros. Pour atteindre l’objectif de 70 mois, il ne faudra plus, comme avant, attendre la fin du génie civil, qui dure 3 à 4 ans, pour lancer l’assemblage électrotechnique, mais le commencer seulement 18 mois après le démarrage. du travail. , explique un cadre d’EDF.
Si l’objectif ambitieux se veut aussi mobilisateur, sa faisabilité reste néanmoins incertaine. « Nous dirons d’ici la fin de l’année comment nous allons atteindre cet objectif »assure le directeur du nouveau programme nucléaire France. Échouer ou retarder n’est de toute façon pas une option. Le directeur de la DINN attend le nouveau chiffrage d’EDF en novembre pour pouvoir l’auditer. «Nous travaillons pour converger vers un devis, un calendrier et un modèle de financement d’ici la fin de l’année», explique Joël Barre.explique Joël Barre. Ce dernier rappelle que « Au final, le coût de l’électricité produite par les réacteurs dépend du temps de construction ». C’est donc aussi le maintien des industries électro-intensives sur le territoire et l’attractivité du site France qui sont en jeu.