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Économie de mort : quand la Russie attire à grands frais des soldats pauvres pour grossir ses rangs

Difficile de connaître précisément le nombre de soldats russes tués depuis le début de la guerre en Ukraine. Les chiffres diffèrent selon les sources et chaque camp conserve ses secrets. Selon les estimations du Wall Street Journal, qui s’appuient sur des estimations confidentielles, il y aurait près de 200 000 morts côté russe et 80 000 côté ukrainien.

Pour les hommes russes issus des régions les plus pauvres du pays, l’enrôlement est extrêmement rentable : le salaire d’un soldat est jusqu’à cinq fois supérieur au salaire moyen. Et si le soldat est tué au front, sa famille sera généreusement indemnisée par le gouvernement.

L’économiste russe Vladislav Inozemtsev a calculé que la famille d’un homme de 35 ans qui a combattu pendant un an et a été tué sur le champ de bataille recevrait environ 14,5 millions de roubles, soit 150 000 dollars, au titre du salaire de son soldat et de son indemnité de décès. Le salaire d’une vie. « Aller au front et se faire tuer un an plus tard est économiquement plus rentable que le reste de la vie d’un homme »explique Vladislav Inozemtsev dans les colonnes du WSJ, qui qualifie ce phénomène de « l’économie de la mort.

Compagnons à quatre pattes des soldats ukrainiens

« Time of Heroes », le programme de recrutement de l’armée russe

La guerre en Ukraine change profondément le visage de la Russie. Les usines d’armement tournent à pleine capacité, offrant des salaires élevés à leurs employés, les dépenses militaires atteignent des sommets et les revenus générés par la guerre permettent même au pays de compenser les sanctions imposées par l’Occident. Et ce malgré une inflation galopante, sur des produits aussi basiques que le beurre, qui commence à grincer des dents chez ceux dont les salaires n’ont pas bénéficié de ce « coup de pouce » militaire.

« Aujourd’hui, des prestations de décès de plus en plus élevées injectent de la richesse dans certaines des régions les plus pauvres de Russie, en échange d’un flux constant de soldats pour l’effort de guerre. »observe le WSJ. Et les carrières militaires attirent à nouveau, notamment grâce au programme gouvernemental « Time for Heroes » qui propose de former des soldats pour occuper des postes dans l’administration.

La guerre en Ukraine offre à ces hommes non seulement des salaires attractifs, mais aussi la possibilité d’une réelle promotion sociale. Une « nouvelle élite », pour reprendre les mots du président russe Vladimir Poutine. Embrasser une carrière militaire apparaît aujourd’hui comme le chemin le plus court pour accéder à une certaine forme de reconnaissance, que l’on revienne ou non du combat.

La Russie a développé un narration désormais bien implanté. Les soldats revenant du front sont accueillis comme des héros, se rendant dans les écoles pour donner des conférences. Quant aux soldats morts au combat, leur postérité est assurée. « Les bureaux sont laissés vides en l’honneur d’un héros local qui n’est jamais revenu du front, avec des détails biographiques écrits dessus et même des objets de la vie du soldat tombé au combat »explique le média américain.

Des sommes inimaginables pour ces pauvres soldats

Impossible de blâmer ces pauvres soldats qui s’engagent par cupidité, plus que par patriotisme. Et le gouvernement russe l’a bien compris. «C’est de l’argent que la plupart des habitants de ces régions reculées n’ont jamais vu de leur vie, il n’est donc pas étonnant que beaucoup d’entre eux l’acceptent.»analyse Vasily Astrov, économiste à l’Institut viennois d’études économiques internationales.

« Pour le Kremlin, assurer une bonne rémunération aux soldats est le seul moyen de maintenir l’effort de guerre avec un haut niveau de soutien national »ajoute-t-il. Alors que le salaire mensuel moyen en Russie est de 75 000 roubles (environ 720 euros), le gouvernement verse aux soldats un salaire mensuel minimum de 210 000 roubles, soit un peu plus de 2 000 euros. Sans parler des bonus.

Les autorités font preuve de pragmatisme dans les discours qu’elles adressent aux familles en deuil. Un père décédé en échange de l’assurance que ses enfants seraient en sécurité pour toujours, avec l’espoir d’une vie meilleure.

Et si ces compensations creusent le déficit budgétaire du pays et induisent une pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs, l’arrière-pays russe se transforme et profite de la guerre. Les restaurants et les magasins ont vu leur chiffre d’affaires augmenter, les dépôts bancaires explosent. Mais ce sont aussi ces régions qui paient le plus lourd tribut.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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