Ecomafia : en Italie, l’environnement victime du crime organisé
Le 11 juillet dernier, l’association environnementale italienne Legambiente a publié un rapport alertant sur les dérives environnementales de l' »ecomafia ». Ce néologisme a été inventé par l’organisation en 1994 pour décrire les effets pervers des activités mafieuses sur l’environnement et les conditions de vie des habitants. En 2023, les délits écologiques liés au crime organisé ont augmenté de 15,6 % par rapport à l’année précédente en Italie, ce qui pose question. L’ingérence de la mafia dans les services publics italiens, notamment dans le secteur du bâtiment, a un impact croissant sur les territoires. Mais comment expliquer les délits écologiques de la mafia italienne ? L’environnement est-il la cible directe ou la victime collatérale de ses activités ? Enfin, dans les régions contrôlées par la mafia, où règne la loi du silence, comment s’exprime et s’organise la critique écologique ?
Ecomafia, un mot-valise ?
Selon Fabrizio MaccagliaLe terme « écomafia » a le mérite d’identifier le problème, le fait que certaines activités pourraient avoir des répercussions sur le territoire, l’environnement et les conditions de vie des habitants. Cependant, c’est un terme créé par une association, ce n’est pas un terme issu des sciences sociales.
Si le terme « écomafia » n’a pas de contenu juridique, le terme « mafia » est lui strictement défini. Initialement poursuivie pour « association de malfaiteurs », la mafia est réglementée depuis 1982 sur la base de l’article 416 bis du Code pénal italien, qui prévoit des peines allant jusqu’à 18 ans de prison.C’est une définition relativement récente, et elle était nécessaire pour permettre des avancées législatives en Italie.« , note Bérengère Denizeau. Bien que l’histoire de la Mafia remonte au 19e siècle, « En 1982, c’est d’un drame, un double homicide, qu’est née cette première loi qui punit le délit d’« association de type mafieux ».
Le terme « écomafia » peut-il alors compléter cette définition juridique ? Déborah Puccio Den*, « avec l’ecomafia, nous réactivons un principe consubstantiel à la mafia, c’est le rapport au territoire. Elle n’existe qu’à travers un territoire sur lequel elle exerce son influence et son contrôle. (…) Il s’agit de détourner un certain nombre de biens communs, des choses qui appartiennent à l’État ou même à des individus, en se les appropriant selon les trois méthodes caractéristiques du modus operandi mafieux, à savoir l’intimidation, l’omerta et l’assujettissement. »*
La Mafia, une organisation aux contours flous
À travers la littérature et le cinéma, un imaginaire de la criminalité s’est greffé sur les mafias, une mythologie parfois romancée, au point d’occulter certains critères sociologiques. Fabrizio Maccaglia « La caractéristique de la mafia est de jouer d’une part un rôle d’intermédiation sociale, et d’autre part une capacité à réguler la vie des sociétés locales par le biais de la violence ou de la menace de son usage.. Il existe une tendance à privilégier la mafia en tant qu’organisation criminelle extérieure à la société, tout en agissant en son nom.. « Pour autant, la mafia ne peut être réduite à une société criminelle. La mafia est un point à partir duquel s’organise un réseau de relations à la fois dense et complexe, auquel participent des acteurs criminels et non criminels. »
L’opportunisme mafieux, producteur d’externalités négatives
Les mafias se caractérisent également par une forte capacité d’adaptation, qui est soulignée Déborah Puccio Den d’un point de vue historique : « Nous sommes passés d’une mafia agraire, celle des années 1950, à une mafia urbaine qui profite des opportunités d’enrichissement offertes par la spéculation. Aujourd’hui, les questions environnementales focalisent l’attention des pouvoirs publics sur le territoire. »
Bien que les activités mafieuses aient des conséquences négatives sur l’environnement, elles ne sont pas ciblées en tant que telles et l’appropriation des ressources naturelles sert les activités économiques de ces organisations criminelles.La mafia est un système profondément opportuniste, elle sait s’insérer là où il y a des besoins et des lacunes juridiques (…), par exemple dans le milieu agricole ou industriel, ou dans le cadre de la gestion du Covid« , précis Bérengère Denizeau.
Fabrizio Maccaglia ajoute : « Dans le cas du traitement des déchets, la mafia profite de l’incapacité des territoires, notamment de la Campanie et de la Sicile, à moderniser le secteur de la gestion des déchets. Que faire alors des déchets domestiques ? La mafia agissait par l’intermédiaire de sociétés écrans dans le transport des déchets et leur enfouissement. Elle venait donc résoudre un problème quotidien où il y avait un blocage, avec des conséquences importantes pour l’environnement et la santé publique. » . «
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