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Ecologistes, achetez des actions TotalEnergies !

Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, le savait : en déclarant le 26 avril à l’agence Bloomberg qu’il envisageait de déplacer la cotation principale de l’entreprise à la Bourse de New York, il allait déclencher de très vives réactions dans les milieux économiques et financiers français. . Son groupe a longtemps été la plus grande capitalisation de la Bourse de Paris et n’a été dépassé qu’il y a sept ans, en mai 2017, par LVMH.

Il est également évident que l’État ne peut ignorer ce qui se passe au sein du groupe national pétrolier et gazier, qui joue un rôle déterminant dans notre approvisionnement énergétique. Trois jours plus tard d’ailleurs, Patrick Pouyanné lui-même, lors de son audition par une commission sénatoriale, rappelait que Total est né il y a un siècle de la volonté de dirigeants politiques qui avaient compris, au moment de la Première Guerre mondiale, qu’il fallait absolument pour sécuriser l’accès aux hydrocarbures.

Pourquoi être coté à New York ?

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a rapidement fait savoir qu’il se battrait pour que ce transfert à la Bourse de New York n’ait pas lieu. Le groupe lui-même a œuvré pour calmer le jeu : même s’il était coté à New York, il resterait coté à Paris et son siège social resterait en France. En tout cas, aucune décision n’a encore été prise : il faudra attendre les conclusions de l’étude que le conseil d’administration du groupe réalisera d’ici l’automne.

Quelle que soit son issue, l’épisode est intéressant, car il révèle ce qui se passe actuellement dans le monde de l’énergie. Pourquoi le groupe irait-il à New York pour s’inscrire ? Parce que les actionnaires nord-américains jouent un rôle déterminant. Selon les dernières informations publiées, au 31 décembre 2023, ils détenaient 39,7% du capital, devant les actionnaires français (26,7%), les actionnaires des autres pays de l’Union européenne (16,9%) et ceux du Royaume-Uni ( 11,5 %). Le principal actionnaire était, avec 6,5% du capital, la société new-yorkaise Blackrock, premier gestionnaire d’actifs mondial.

Les propos tenus par Pouyanné suggèrent que la situation a encore évolué : les investisseurs nord-américains détiennent désormais 47% du capital de TotalEnergies, tandis que les investisseurs européens ne manifestent plus d’appétit pour ce type d’actifs. Le groupe aurait perdu 7% de ses actionnaires français en quatre ans.

Une situation étrange

En s’introduisant à New York, où l’on ne semble pas réticent à acheter les actions des producteurs d’énergies fossiles, le groupe pourrait en théorie espérer voir sa valeur boursière encore augmenter : les différentes comparaisons faites avec les sociétés américaines ExxonMobil ou Chevron montrent qu’il est sous-évalué par rapport à eux d’au moins 30 %. Mais ce n’est pas garanti. Il le serait encore plus si TotalEnergies entrait dans l’indice S&P 500 de la Bourse de New York, ce qui n’est pas acquis tant que le groupe reste basé en France (seule hypothèse possible actuellement).

En fait, on peut se demander si les dirigeants de TotalEnergies ne brandissent pas cet épouvantail pour éviter une éventuelle taxe de 1% sur les rachats d’actions, une pratique dont le groupe est très friand (pour un montant de 9 milliards de dollars l’an dernier), comme ses concurrents anglo-saxons, ou pour inciter les investisseurs européens à s’y intéresser davantage.

Il est vrai que la situation chez TotalEnergies est assez étrange. Outre-Atlantique, les considérations climatiques sont peu prises en compte par les investisseurs. Ceux d’entre eux qui y attachent une certaine importance ne sont pas bien vus dans plusieurs Länder dirigés par les Républicains : après que la Floride a retiré 2 milliards de dollars qui avaient été confiés à sa gestion et que d’autres États ont adopté des positions de principe similaires, Blackrock est désormais beaucoup moins disponible sur la question des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).

Les financiers ne sont pas trop tentés d’inciter des groupes comme TotalEnergies à investir dans les énergies renouvelables : dans un premier temps, les investissements dans le solaire, l’éolien ou la biomasse ne sont pas aussi rentables que ceux qui ont été réalisés dans le gaz ou le pétrole. Nous trouvons donc normal de moins valoriser une entreprise énergétique qui fait plus que d’autres en matière d’énergie bas carbone.

Des accusations contradictoires

En Europe, le climat est radicalement différent. En France par exemple, pour obtenir le label officiel ISR (Investissement Socialement Responsable), un investisseur ne doit plus détenir de titres dans une entreprise exploitant du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels comme le pétrole ou le gaz de schiste, selon les critères définis par Bercy.

TotalEnergies fait venir du gaz naturel liquéfié (GNL) du Texas qui ne lui permet plus d’obtenir ce label. A Bercy, on garde toujours le sourire, car ce gaz permet à l’Europe de faire face à l’arrêt des importations de gaz russe via les gazoducs (sachant que le GNL russe continue de nous être livré par bateau). Ce que fait TotalEnergies est donc à la fois du bon et du mauvais…

Si les Européens pesaient davantage dans l’actionnariat du groupe, ils pourraient peut-être orienter son action dans un sens plus favorable au respect de nos objectifs climatiques.

Le groupe affirme haut et fort qu’il place le développement durable au cœur de sa stratégie et prévoit de continuer à investir dans la production d’électricité à hauteur de 4 milliards de dollars par an d’ici 2030. Mais les défenseurs de l’environnement lui reprochent de ne pas en faire encore assez dans ce domaine et de continuer à investir dans la production d’électricité. trop investir dans les énergies fossiles. Exactement le contraire de ce que certains lui reprochent outre-Atlantique.

Pouyanné assure qu’il serait ravi si davantage d’actionnaires européens achètent TotalEnergies, car cela le convaincra que le maintien de la cotation primaire à Paris est une bonne idée. Cette affirmation, faite sous forme de plaisanterie, doit être prise au sérieux. Car si les Européens pesaient davantage dans l’actionnariat du groupe, ils pourraient peut-être orienter son action dans un sens plus favorable au respect de nos objectifs climatiques.

La demande de pétrole toujours en hausse

Quand on objecte à Pouyanné qu’il continue de faire de nouveaux investissements dans le pétrole alors que l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) réclame leur arrêt pour atteindre zéro émission nette en 2050, sa réponse est très claire. Il explique qu’un gisement de gaz ou de pétrole perd naturellement 4 % par an de sa capacité de production. Or, ces 4 % correspondent exactement à la réduction de production qui serait nécessaire chaque année pour atteindre la neutralité carbone en 2050, selon les calculs de l’AIE.

Cette dernière est donc logique lorsqu’elle affirme qu’il suffit de cesser d’investir dans la recherche et l’extraction d’hydrocarbures pour atteindre l’objectif choisi. Sauf que, note Pouyanné, qu’une baisse linéaire de la production de 4 % par an est très théorique ; dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça. Il y a des plateaux, des périodes de pause et d’autres de déclin plus rapide.

De plus, on constate que la demande a tendance à augmenter en raison de l’augmentation de la population mondiale et de celle du niveau de vie dans les pays en développement. En 2026, la demande, contre 98 millions de barils/jour de pétrole en 2020, devrait s’établir à 105,6 millions de barils/jour. Or, si nous avions suivi le plan théorique de réduction de la production, nous aurions à cette date une production de 80 millions de barils/jour. Cela poserait problème et se répercuterait sur les prix pratiqués sur le marché.

Il faut donc continuer à investir dans le pétrole pour répondre à la demande. Nous ne pourrons arrêter d’investir que lorsque la demande chutera de plus de 4 % par an. Nous n’en sommes pas là…

La loi de l’offre et de la demande

L’argument de Patrick Pouyanné apparaît parfaitement logique : un producteur d’énergie responsable ne peut raisonnablement agir sur son approvisionnement sans se soucier de l’évolution de la demande. Si la demande de pétrole est là et que son groupe n’investit pas suffisamment pour y répondre, d’autres producteurs se chargeront de faire les investissements nécessaires, sa part du marché mondial diminuera et cela ne changera rien en termes d’émissions de gaz. Effet de serre.

Mais en réalité, la relation entre l’offre et la demande est plus complexe que cela. Si une énergie sans carbone est disponible à un coût raisonnable, elle peut remplacer l’énergie fossile là où cela est techniquement possible. L’augmentation de la demande de pétrole n’est pas une fatalité et les producteurs d’énergie, en modifiant leur offre, peuvent influencer la demande.

La transition énergétique coûtera cher. Il est clair que les groupes pétroliers, qui ont gagné beaucoup d’argent grâce au pétrole et au gaz, ont un rôle à jouer.

On peut aussi reprocher aux dirigeants de TotalEnergies, comme à tous les groupes pétroliers et gaziers, de donner trop de place au gaz comme énergie de substitution dans la période de transition. Certes, le gaz est l’énergie fossile la moins polluante et cela représente un progrès. Mais quand on investit dans une centrale au gaz, c’est pour plusieurs décennies. Choisir le gaz, c’est allonger encore la durée d’utilisation des énergies fossiles.

Il est vrai que ces centrales ont un avantage : leur fonctionnement est très flexible et permet de remédier à l’intermittence des énergies renouvelables, qu’elles soient éoliennes ou solaires, alors que la solution de stockage reste encore très coûteuse. Bref, il sera difficile de se passer très rapidement du gaz, mais on peut encore privilégier d’autres solutions là où elles sont déjà possibles et œuvrer à les rendre disponibles de plus en plus souvent.

Pouyanné n’est pas le diable

Bref, Pouyanné n’est pas le diable. TotalEnergies mène une politique beaucoup plus équilibrée que la plupart des autres groupes pétroliers, et le fait d’avoir ajouté Energies (avec un s) à son nom n’est pas qu’une opération de écoblanchiment. Mais il serait possible de l’inciter à avancer encore plus vite sur la voie de la décarbonation. Et ce ne sont pas les actionnaires américains qui le feront.

En vue de l’assemblée générale du groupe du 24 mai, une société de gestion a souhaité déposer une résolution demandant l’arrêt des rachats d’actions afin de consacrer davantage d’argent aux investissements dans les énergies renouvelables. Pour que cette résolution soit présentée à l’assemblée, il aurait fallu qu’elle lève 0,5% du capital ; il n’a récolté que 0,11%… Des actionnaires moins soucieux du retour sur investissement immédiat et plus portés sur le long terme seraient les bienvenus !

Il ne faut pas se faire d’illusions. Ce n’est pas en allant manifester devant le lieu où se tiennent les assemblées générales de TotalEnergies qu’on fera beaucoup avancer le schmilblick. Tous les économistes le disent : la transition énergétique coûtera cher. Il est clair que les groupes pétroliers, qui ont gagné beaucoup d’argent grâce au pétrole et au gaz et qui continuent à en gagner, ont un rôle à jouer.

L’avenir ne se construira pas contre TotalEnergies, mais avec TotalEnergies. Être actionnaire de ce groupe et le pousser à aller dans le bon sens est un moyen d’action à ne pas négliger pour peser sur l’offre d’énergie décarbonée. Ce qui n’empêche pas chacun d’entre nous, dans notre vie privée comme dans notre vie professionnelle, de pouvoir agir sur la demande et montrer à Pouyanné que la consommation de pétrole n’est pas inexorablement en hausse et qu’il est possible de l’influencer. C’est le cas dans nos pays développés comme dans les pays à faible revenu, où le développement peut emprunter une autre voie, moins destructrice de l’environnement, que celle que nous avons suivie. Ecologistes de tous pays, unissez-vous et achetez des actions TotalEnergies !

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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